Tout coureur s’en doute : un jour, peut-être, viendra la dernière course. À 84 ans, le marsouin marathonien Paul Lajoie ne le sait que trop bien.
(L’Isle-aux-Coudres) Le jour de son 80e anniversaire, Paul Lajoie a regardé par la fenêtre. C’était un 1est novembre. Il faisait beau à L’Isle-aux-Coudres.
Le vieux marathonien – il a couru 42 marathons – n’a pas hésité. Il a attaché ses chaussures et est sorti. Cela faisait des années qu’il n’avait pas visité son île. Ce jour-là, il a couru 23 kilomètres et plus encore.
«Ça s’est bien passé. Comme s’il n’y avait rien là-bas. J’ai marché jusqu’à un seul endroit, la côte là-bas», raconte Paul Lajoie en désignant au loin une vague pente qu’on imagine gênante.
Paul Lajoie est revenu heureux. La course venait de lui redonner cette sensation dont il bénéficiait depuis 40 ans. Ce sport lui a tellement apporté. Il s’est fait beaucoup d’amis et a visité de nombreuses villes. Au début de la quarantaine, il a même arrêté de boire.
« À un moment donné, je suis arrivé et j’ai dit à ma femme : ‘Soit je continue à me faire frapper et j’arrête de courir, soit j’arrête de me faire frapper et je continue à courir.’ J’ai pris la bonne décision. Depuis 1985, je n’ai pas bu. »
Soyez content
Paul Lajoie n’a jamais été un marathonien d’élite, même s’il était rapide. A 50 ans, à Boston, il réalise l’un de ses meilleurs - : 2 h 55 min. Mais sur l’île, il est devenu une sorte de célébrité locale que l’on pouvait voir défiler sous sa fenêtre été comme hiver, même sous la tempête.
À son apogée, Paul Lajoie courait 150 km par semaine. Il n’était pas rare qu’il fasse le tour de l’île deux fois par semaine.
Mais Paul a vieilli. Après la tournée pour ses 80 ans, il s’est dit qu’il allait recommencer chaque année. « Mais les autres années, c’était méchant. Et puis après, je me suis déchiré le tendon d’Achille. »
Paul Lajoie s’est blessé alors qu’il travaillait dans un hôtel de l’île, en 2021. Marin toute sa vie sur le traversier, le marsouin – comme on appelle affectueusement les habitants de L’Isle-aux-Coudres – a pris sa retraite à 65 ans. Mais il a continué à travailler pour joindre les deux bouts.
Depuis sa blessure, il ne court plus. A 84 ans, l’ancien marathonien a dû faire le deuil de la course à pied. C’est compliqué, admet-il, « mais c’est la vie ».
«J’y suis arrivé. J’ai écrit l’autre jour à un ami québécois, avec qui j’ai couru pendant des années, et je lui ai dit : «Je te regarde courir et tout ce que tu fais, je n’en suis plus capable.» Il a répondu : « Un jour, j’y viendrai aussi. » À un moment donné, il faut être content. »
Il n’a pas dit son dernier mot
Sa femme est décédée en 2013. L’oiseau qu’elle lui a laissé, un inséparable, est décédé cinq ans plus tard. C’est la vie, philosophe Paul. Il faut apprendre à laisser aller les choses.
Quand ma femme est décédée, ce n’était pas un cadeau. Mais il faut se faire une idée : elle n’est plus là.
Paul Lajoie
Paul Lajoie n’a toutefois pas dit son dernier mot. Maintenant, il marche presque tous les jours. Il part 30 minutes, parfois une heure, pour arpenter les sentiers de son île. « Marche rapide », prend-il soin de préciser.
«Mais c’est difficile», admet Paul. Cela fait 40 ans que je cours et je me rends compte maintenant que je ne suis plus capable de courir. »
Marcher, c’est bien. Mais le rythme de la course, le ” rythme “comme il le dit. Au moins, il est toujours en forme, même s’il a du ventre, dit-il en se tapotant le ventre des deux mains.
« Il y en a qui sont pires que le reste d’entre nous. Je regarde les enfants handicapés sur Facebook… Cela me rend triste. Je suis vieux, c’est tout ! »
À la mort de sa femme, Paul s’est mis à l’accordéon. Enfant, il rêvait de jouer de la musique. Mais à 16 ans, son premier travail à la tourbière lui rapportait 50 cents de l’heure. « Je n’étais pas riche, je n’avais pas les moyens d’acheter un accordéon. »
Il en a acheté une il y a dix ans pour « se débarrasser de l’ennui ».
Lors d’un autre accident du travail, en 2019, il a perdu son majeur alors qu’il posait un tuyau en béton dans un champ d’épuration. Un autre de ses doigts ne se plie plus. Il a appris à jouer avec deux doigts. Il s’adapte. Paul Lajoie le prouve : il sort son accordéon de sa boîte et se met à jouer C’est à peu près le jour du Nouvel An.
Puis il enfile son manteau et ses chaussures et sort. Le journaliste veut le prendre en photo pendant qu’il marche.
Il fait quelques pas, puis dit : “Je vais essayer de courir un peu, ça faisait longtemps.” »
Là, il enchaîne les foulées, lève la tête, sourit et dit : « On dirait que ça tient. » Je pense que je vais essayer de recommencer à courir. J’ai encore une bonne respiration, je le jure ! »