Un café avec le psychiatre Gilles Chamberland

Dans son quotidien, le Dr Gilles Chamberland est aux premières loges pour observer toute la complexité de la nature humaine. Même après 30 ans de psychiatrie à l’Institut Philippe-Pinel, il ne cesse d’être surpris par ce qui se passe dans la tête de ses patients.

« Il y a tout le - quelque chose qui sort du champ gauche. On se dit : « Bon, voyons ! D’où ça vient ? Ce sont des scénarios qu’Hollywood n’oserait pas imaginer. »

Dans son petit bureau délabré, il me donne l’exemple de cet homme schizophrène qui parlait à peine. Il ressemblait plutôt à un grognement. Il vivait dans son propre monde. Un jour, pendant un karaoké, il prend le micro et chante « toute une chanson, vraiment bien, avec une belle voix ».

Tout au long de ces épisodes inattendus, les discours absurdes – délivrés avec un excellent vocabulaire et sur un ton standard – sont monnaie courante.

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PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le Dr Gilles Chamberland est psychiatre à l’Institut Philippe-Pinel depuis 30 ans.

Une personne d’apparence tout à fait normale peut me dire qu’elle a couché avec le Père Noël et qu’elle a ensuite donné naissance à une banane. Et elle est convaincue de ce qu’elle dit.

Le Dr Gilles Chamberland, psychiatrist at the Philippe-Pinel Institute

Quand Gilles Chamberland dit avoir choisi la psychiatrie plutôt que la chirurgie parce qu’il ne voulait pas d’une « routine plate », on se dit qu’il est servi.

Le citoyen lambda rencontre également toutes sortes de personnages aux discours décousus. On les trouve principalement à proximité des entrées de métro. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre dire que Montréal est devenue un hôpital psychiatrique à ciel ouvert. En milieu de travail, les troubles de santé mentale n’ont jamais coûté aussi cher aux assureurs. Dans les écoles, le nombre d’élèves médicamentés pour troubles anxieux explose. Et qu’en est-il des enfants ? Le matin même de mon rendez-vous avec le Dr Chamberland, Tel-jeunes venait d’annoncer que des jeunes de 6 à 11 ans l’appelaient avec des pensées suicidaires.

C’est dans ce contexte que j’ai souhaité m’asseoir avec un expert du cerveau pour comprendre ce qui se passe. Sommes-nous de plus en plus fragiles ?

Le Dr Chamberland ne le croit pas. « Il est clair que la vie est de plus en plus stressante, que la vie est de plus en plus exigeante. Nous jonglons avec plusieurs balles en même -, au détriment de notre sommeil, au détriment de plein de choses. » Même si les experts tirent la sonnette d’alarme, l’importance du sommeil continue d’être sous-estimée, tant pour le développement des adultes que pour le développement des enfants. Nous disposons d’un outil gratuit et efficace pour mieux travailler, mais préférons faire autre chose de notre -.

Les heures au lit sont insuffisantes, tandis que celles où l’on est debout entraînent une fatigue mentale sans précédent, notamment pour les professionnels dont le travail exige d’être alertes et concentrés.

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PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

« C’est clair que la vie est de plus en plus stressante, que la vie est de plus en plus exigeante, souligne Gilles Chamberland.

Nous sommes approchés partout, nous sommes approchés par Internet, la télévision, le téléphone, par un million de choses que nous n’avions pas avant. Nous avons plus d’obligations, plus de stress. Et ce stress finit par ronger. On finit par ne plus pouvoir fonctionner.

Le Dr Gilles Chamberland

Le Dr Chamberland souligne un autre facteur : dans les organisations, dit-il, « personne n’est plus responsable de quoi que ce soit » et les équipes changent constamment. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la santé mentale des personnes « un peu obsessionnelles », observe-t-il dans son cabinet privé où il exerce un jour par semaine.

« Ce sont surtout des filles. C’est une qualité, parce qu’ils font bien les choses, mais en même -, ces gens sont trop responsables. Ils compenseront les autres. Ils voient que s’ils ne font pas le travail, ça ne marche pas. Dans notre monde, être perfectionniste n’a pas de sens », explique le docteur spirituel.

Quant à ceux qui errent dans la rue, mais qui devraient plutôt être soignés, le psychiatre regrette que la société ait choisi de « traiter la maladie mentale de la même manière que la maladie physique », car il est « illusoire » de penser qu’une personne qui souffre de la maladie mentale demandera des soins. Plus une personne est malade, « moins elle l’est dans la réalité et plus elle se méfiera des soins ».

C’est sans compter que l’État a choisi de mettre « le pendule très du côté des libertés individuelles ». «C’est comme si, dans l’esprit du législateur, les médecins n’étaient pas fiables», déplore le Dr.r Chamberland. Comme si la famille n’était pas fiable, comme si personne n’était fiable. Nous ramenons donc tout devant le tribunal. C’est le tribunal qui prendra la décision à la place du patient. C’est absurde de penser qu’un psychiatre voudra garder un patient pour rien. » Aujourd’hui, chaque étape nécessite des avocats.

D’ailleurs, lorsqu’il a commencé à exercer, il n’y avait pas d’avocat dans les hôpitaux psychiatriques. Aujourd’hui, « il n’y a pas un hôpital qui ne dispose pas d’au moins trois avocats. « Ce sont des fortunes qui se dépensent… ».

Depuis des années, Gilles Chamberland est l’un des rares psychiatres à accepter de répondre aux questions des médias concernant des crimes violents ou des événements inédits que l’on tente d’expliquer. Il a notamment commenté les cas de l’ex-cardiologue Guy Turcotte, l’attaque au sabre dans le Vieux-Québec et, plus récemment, le procès de Dominique Pelicot à Mazan. Même si ses propos lui ont valu des critiques et des plaintes de la part du Collège des médecins, il continue de partager son expertise et sa passion, choisissant minutieusement les sujets qu’il aborde pour éviter les problèmes. Selon lui, le Collège « fait une discrimination avec la psychiatrie » qui peut aussi fournir des explications et des hypothèses sans poser de diagnostic, ce qui est interdit.

Il donne l’exemple d’un pneumologue qui, suite à la description des symptômes d’une personne, pourrait énumérer à la télévision la liste des maladies possibles. « Nous sommes bâillonnés sous prétexte que nous faisons des diagnostics, ce qui, à mon avis, n’a aucun sens. » Travailler dans le monde particulier des hôpitaux psychiatriques où cohabitent psychoses et délires requiert forcément des qualités et une personnalité particulière. « Il faut être assez humble, constate le principal concerné, car on n’a jamais vraiment de réussite. »

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PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

L’humilité est l’une des principales qualités requises pour être psychiatre, explique le Dr.r Gilles Chamberland.

Un chirurgien peut changer une hanche, un cardiologue peut débloquer une artère, mais en psychiatrie, “il faut toujours recommencer”, souligne le Dr Gilles Chamberland. Les patients rechutent constamment.

Sa satisfaction ressort donc de toutes petites choses. D’une personne qui ouvre suffisamment la porte de sa chambre pour laisser entrer un plateau rempli de nourriture, à une autre qui accepte de sortir au grand air.

Le psychiatre compare ses sentiments à ceux des parents qui assistent aux premiers pas de leur enfant, en extase, même s’il ne s’agit que de pas. « En psychiatrie, il faut voir les choses comme ça. Un pas en amène un autre. Et nous sommes heureux de savoir que tout pourrait s’effondrer à tout moment. » Voilà une attitude positive que certains perfectionnistes devraient sans doute chercher à développer… pour le bien de leur santé mentale.

Questionnaire sans filtre

Moi et le café : Je n’aime pas ça, mais ça devient bon avec de la crème et du sucre. Mais je l’apporte à mon équipe, c’est fédérateur, c’est social. C’est sympa même si ce n’est qu’un café. Et pour les patients, il est rare que le café ne soit pas un enjeu thérapeutique, il existe une dépendance à la caféine, cela fait même partie de nos diagnostics.

Qualités que je recherche chez les autres : J’apprécie les gens qui ont une certaine franchise, dans le sens où ils ont la capacité de s’interroger, de faire confiance, d’être facilement heureux, ce qui est le contraire d’être méfiant, superficiel ou calculateur. C’est une bouffée d’air frais et cela, pour moi, génère un certain respect. Je recherche également l’intelligence et la modestie.

Ce qui m’énerve : Mauvaise foi.

Les mots que je n’arrive plus à entendre : Je répondrais avec des mots perdus. Plus personne n’utilise d’adverbes, c’est déconcertant. On prend les adjectifs, qui qualifient les noms, puis on qualifie les verbes avec eux. Les adverbes n’existent plus !

Ce que je fais pour trouver un emploi : Je m’entraîne. Malheureusement, c’est toujours ce qui prend le dessus, car ce n’est pas à l’ordre du jour.

Qui est Gilles Chamberland?

  • Après avoir exercé le droit, Gilles Chamberland se tourne vers la médecine ;
  • Il est psychiatre à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, où il a été directeur des services professionnels. Il travaille également en pratique privée où il propose des évaluations et de la psychothérapie ;
  • Il a reçu la distinction Distinguished Fellow des associations psychiatriques canadienne et américaine;
  • Il agit régulièrement à titre de témoin expert pour la Couronne en psychiatrie médicale et médico-légale devant les tribunaux.
 
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