Prières en public | Le détournement inquiétant de François Legault

Prières en public | Le détournement inquiétant de François Legault
Prières en public | Le détournement inquiétant de François Legault

Après la diffusion de nouvelles allégations inquiétantes sur la laïcité dans les écoles, le premier ministre québécois François Legault veut… interdire les prières dans tous les lieux publics. Décortiquons tout cela avec trois juristes des droits de l’homme, ainsi qu’avec la Ligue des droits et libertés.

« Voir des gens à genoux, dans la rue, dire des prières, il faut se poser la question, je ne pense pas que ce soit quelque chose qu’on devrait voir. […] Voir des gens prier, dans les rues, dans les parcs publics, ce n’est pas quelque chose qu’on veut au Québec. Quand on veut prier, on va dans une église, une mosquée, mais pas dans les lieux publics», a déclaré vendredi M. Legault.⁠1.

Quel est le lien entre prières publiques et respect de la laïcité à l’école ? Il n’y en a pas.

“Ça devient difficile de ne pas voir [dans cette déclaration] une tactique de diversion pour éviter de parler de tout le reste», affirme Louis-Philippe Lampron, professeur en droits et libertés de la personne à l’Université Laval.

En effet, François Legault veut régler un problème… qui n’existe pas. Et fait diversion sur un enjeu important : la laïcité à l’école.

Combien de prières musulmanes collectives y avait-il au Québec dans un parc en 2024 ? Les critiques entendues ne concernent qu’un seul.

C’était à l’occasion d’une fête religieuse musulmane, l’Aïd al-Adha, dans un parc d’Ahuntsic. Les organisateurs avaient obtenu l’autorisation du district. La prière n’aurait duré que quelques minutes, dans un petit coin du parc⁠2.

Le même parc accueille également chaque année une messe catholique pour la communauté italienne, sans que cela ne dérange personne.

Et les prières musulmanes dans la rue ? Deux ont été signalés en 2024. À chaque fois, des dizaines de manifestants pro-palestiniens ont interrompu leur manifestation pour prier. Une fois en bloquant la rue Sainte-Catherine à Montréal, l’autre fois à la Place d’Armes.

Ces images de prière collective peuvent mettre mal à l’aise, mais il ne faut pas les interdire. Ils sont protégés par la liberté d’expression, la liberté de manifester et la liberté de religion, garanties par nos chartes. Défendre ces libertés, c’est parfois défendre des idées ou des actions qui peuvent déranger.

Bien entendu, ces libertés ne sont pas absolues. Ils peuvent être raisonnablement restreints. Ils le sont déjà : on ne peut pas manifester en obstruant la circulation, en faussant l’usage d’un lieu public ou en empêchant d’autres citoyens de profiter d’un parc, en vertu de la réglementation municipale.

« Il n’existe pas de droit à ne pas être offensé. Tant qu’elles ne nuisent pas à la circulation, à la sécurité, à l’usage du parc, il faut vivre avec ce genre de manifestations dans une société qui se dit libérale et plurielle», estime Pierre Bossé, professeur des droits et libertés. à l’UQAM.

Dans sa déclaration de vendredi, M. Legault a ciblé une religion en particulier, l’islam (en réponse à une question sur « l’entrisme religieux »). C’est déplorable. D’autant que M. Legault a clairement une indignation sélective lorsqu’il est question de manifestations religieuses dans les lieux publics.

Pour le Vendredi Saint, un organisme catholique organise chaque année une Marche du pardon à Montréal. En 2024, il a fallu bloquer… 25 rues lors de l’événement.

Depuis trois ans, la plus grande manifestation religieuse dans l’espace public a été… la visite du pape François, chef de l’Église catholique, à Québec en 2022. Lors de cette visite, les rues ont été bloquées, le pape a notamment béni des enfants dans l’espace public, un la messe papale a été diffusée sur des écrans géants sur les plaines d’Abraham. M. Legault lui-même a participé aux festivités – ce qui est normal d’ailleurs.

La laïcité et la neutralité de l’État signifient que, tout en étant laïc, celui-ci ne favorise ou ne défavorise aucune religion. Il ne s’agit pas de nier toute trace de religion, toute manifestation religieuse dans l’espace public.

On peut raisonnablement concilier liberté de religion et laïcité de l’État. La visite du Pape, la Marche du pardon et la célébration de l’Aïd al-Adha à Ahuntsic sont autant d’accommodements très raisonnables.

Pour interdire les prières en public, François Legault étudie la possibilité de recourir (encore) à la disposition dérogatoire, qui permet la violation des droits et libertés dans les chartes.

« Voulons-nous construire une société juste sur le recours fréquent à la clause d’exonération ? », demande Pierre Thibault, professeur de droits et libertés à l’Université d’Ottawa.

Le gouvernement Legault devrait se concentrer sur un enjeu réel et important : le respect de la laïcité dans les écoles et le droit à l’éducation dans toutes les écoles du Québec.

À l’école de Bedford, un clan dominant d’enseignants fondamentalistes musulmans a pris le contrôle de l’école pendant sept ans. Ils niaient les troubles d’apprentissage ou le spectre autistique, ne respectaient pas les programmes d’enseignement scientifique et d’éducation sexuelle. Une situation totalement inacceptable.

Le ministère de l’Éducation procède à des contrôles de laïcité dans 17 écoles.

Vendredi dernier, mes collègues Katia Gagnon et Caroline Touzin ont révélé les allégations dans une école de Laval (qui ne faisait pas partie des 17 visées). Certains enseignants laissent les élèves prier en classe.⁠3.

Le gouvernement Legault promet de renforcer le Loi sur la laïcité. Sur le plan politique, c’est sans aucun doute intelligent. Cependant, plusieurs lois québécoises, dont Loi sur l’éducation publiqueinterdisent déjà ce type de pratique.

Ce qui se passait à l’école de Bedford était illégal.

Le problème ne vient pas de nos lois. C’est l’application de celles-ci et des directives du ministère de l’Éducation sur le terrain.

« Les gestionnaires [dans les écoles et les centres de services scolaires] nous avions tous les outils en main », affirme le professeur Louis-Philippe Lampron.

«Tous les étudiants ont droit à une éducation de qualité», affirme Laurence Guénette, de la Ligue des droits et libertés. « Si cela n’a pas été respecté, nous devons intervenir. »

1. Lire « Legault veut interdire les prières en public »

2. Lire « La célébration d’une fête musulmane dans un parc suscite des réactions »

3. Lire « Des allégations inquiétantes dans une école de Laval »

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