L’opéra comme au cinéma – Le -

L’opéra comme au cinéma – Le -
L’opéra comme au cinéma – Le -

C’est un projet fou, avec un planning fou. Le Teatro Regio de Turin a voulu célébrer de manière originale le centenaire de la mort de Puccini, et le choix s’est porté sur Manon Lescaut qui a été créée dans ce théâtre. L’idée de créer une sorte de festival autour des opéras d’après le roman de l’abbé Prévost s’ensuit. J’ai conçu trois décors imposants, trois univers inspirés du cinéma français. Le premier évoque l’univers de Méliès, le second celui du film réaliste à la Jean Renoir, le troisième les années 60, Manon reprenant la silhouette de Brigitte Bardot. J’ai regardé 100 films pour concevoir ce triptyque.

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Portrait d’Arnaud Bernard. — © DR

Quels sont les points forts de votre style de mise en scène ?

C’est aux autres de répondre, mais je cultive un grand amour du cinéma. Pour moi, la modernité ne réside pas dans un mur LED en fond de scène mais dans le réalisme cinématographique de la performance des chanteurs, sans qu’ils fixent le chef d’orchestre ou le public. Cela dit, je travaille chaque série comme un fou, avec une vraie passion documentaire, à tel point que j’estime que mes productions n’ont rien de systématique. A la différence de ces machines à produire des spectacles, ces spécialistes de l’abattage, qui reproduisent le même univers quelle que soit l’œuvre, tel qu’on en croise sur les routes de l’opéra mondialisé.

Quel sera l’univers de Fedora, l’opéra d’Umberto Giordano que vous mettrez en scène à Genève ?

Cet opéra composé en 1898 fait partie du répertoire réaliste et vériste que je connais. C’est un thriller et un mélodrame, avec une musique sublime. Je l’aborde pour la première fois, et ce sera dans un esprit non traditionnel, à la demande du directeur du Grand Théâtre Aviel Cahn.

Où placeriez-vous l’œuvre qui suit les aventures de Russes aisés, exilés à Paris puis à Gstaad, sur lesquels plane le spectre des complots de la cour du tsar ?

À ce monde de Russes extrêmement riches errant dans les palais européens au XIXe siècle, je substituerai celui des oligarques frauduleusement enrichis après la chute de l’URSS, que l’on a vu se pavaner à Saint-Tropez, Portofino ou… Gstaad, dans une double vie de exil et luxe. Et comme c’est en Suisse que se termine le drame, je me suis inspiré de l’affaire Mabetex, cette société tessinoise qui avait obtenu le projet de rénovation de la Douma et du Kremlin en échange d’importants pots-de-vin versés à la famille de Boris Eltsine. C’est grâce à la diligence du patron du KGB, aujourd’hui FSB, un certain Vladimir Poutine, que le procureur russe Skouratov, sur le point de révéler le scandale, a été piégé par un « kompromat » : une vidéo le montrant dans un Chambre d’hôtel à Moscou en compagnie de deux femmes… sans qu’on sache si la personne filmée était bien lui. Cette méthode est courante en Russie depuis longtemps. On dit que chaque palais de Moscou possède une salle équipée de caméras du FSB. Skouratov a été rapidement éliminé et l’affaire a fini par être contestée devant les tribunaux suisses. C’est ainsi que Poutine a gagné sa place de successeur de Boris Eltsine : il avait entre les mains la preuve que le président avait parrainé le complot visant à éliminer Skuratov.

Vous êtes habitués à ce type de transposition d’une époque à l’autre…

Cela n’a rien de systématique, mais je l’ai utilisé dans plusieurs émissions importantes au cours de ma carrière. Comme le Nabucco de Verdi aux Arènes de Vérone, où j’avais reconstitué, à droite de l’immense scène de pierre, les loges et un parterre de la Scala de Milan, où les contemporains de Verdi contemplaient le spectacle des Hébreux opprimés. Ou encore, du même Verdi, l’opéra Luisa Miller que j’avais plongé dans l’ambiance champêtre du film Novecento de Bernardo Bertolucci.

D’où vous vient votre passion pour le théâtre ?

Cela remonte à loin. En fait, dans mon enfance, c’était la musique qui me magnétisait. Je tournais la tête chaque fois que j’entendais de la musique classique. Mes parents, sans être eux-mêmes musiciens, m’ont donc mis au violon. Je m’ennuyais à l’école, je ne rêvais que de faire de la musique de chambre. A 15 ans, j’ai reçu une place à l’Opéra de Paris pour mon anniversaire. J’y ai vu Le Vaisseau fantôme de Wagner, mis en scène par Jean-Claude Riber, qui fut le patron du Grand Théâtre dans les années 1970. Ce fut un choc décisif. J’adorais créer des mondes, des petits trains, des maquettes. Et là, c’était sur scène, en musique ! J’en suis sorti dépassé. J’ai compris que ce serait ma vie.

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Parmi les spectacles qu’il chérit, Arnaud Bernard cite La fanciulla del West de Puccini mis en scène à Saint-Pétersbourg, où il a pu donner toute la mesure de son amour du cinéma dans une production très occidentale. Et dans un opéra, le Théâtre Mariinski, qui a selon lui des « moyens hollywoodiens ». — © Théâtre académique d’État Mariinsky

Mais vous n’avez suivi aucun cours de théâtre…

Je n’avais ni réseau, ni soutien, par contre j’étais un bon violoniste. J’ai été engagé dans l’orchestre de l’Opéra de Strasbourg, ma ville natale. Mais j’ai pris le train de nuit pour aller à Milan voir les spectacles de Giorgio Strehler au Piccolo Teatro. Ce sont des cours de théâtre que je n’ai suivis nulle part ailleurs. Le théâtre ne s’enseigne pas. Soit vous l’avez, soit vous ne l’avez pas. Je rêvais en effet de rencontrer Jean-Pierre Ponnelle, qui a notamment marqué l’époque avec son cycle d’opéras de Mozart dirigé par Nikolaus Harnoncourt, à l’Opéra de Zurich. Malheureusement le contact n’a pas eu lieu mais j’ai rencontré un de ses assistants, Nicolas Joël, qui deviendra plus tard directeur de l’Opéra de Toulouse. Je suis moi-même devenu son assistant et j’ai définitivement déposé mon violon.

Comment votre métier de musicien s’intègre-t-il à votre travail de réalisateur ?

La musique est toujours restée une clé de mon travail. C’est ce que j’ai aimé chez Ponnelle : son approche profondément musicale de la mise en scène. La musique indique des couleurs, des mouvements, elle détermine tellement de choses… Je suis très agacé par les spectacles qui l’évitent. Il n’est pas nécessaire d’être musicien pour le ressentir. Patrice Chéreau ne l’était pas, mais ses productions reposaient sur une écoute exceptionnelle de la partition.

Grâce à Fedora, vous retournez dans le monde russe. Vous avez beaucoup travaillé dans ce pays, comment est-il aujourd’hui ?

Je suis immensément triste de la situation actuelle. J’ai une nostalgie particulière du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, dont le patron Valery Gergiev est aujourd’hui persona non grata en Europe pour sa proximité assumée avec Vladimir Poutine. J’y garde certains de mes meilleurs souvenirs artistiques. C’est un endroit fabuleux, une capacité de production hollywoodienne, et Gergiev est sans doute le meilleur chef d’orchestre d’opéra que je connaisse. Il dirige vraiment selon la direction. Et puis, j’aime le feu russe, comme j’aime la passion italienne…


Après des études musicales au Conservatoire de sa ville, Strasbourg, puis un passage à l’Orchestre de l’Opéra, Arnaud Bernard est embauché au Théâtre du Capitole de Toulouse où il est régisseur puis assistant metteur en scène. Il y monte son premier spectacle, Le Trouvère de Verdi, en 1995. S’en suivront toutes les scènes internationales les plus prestigieuses, de la Fenice de Venise aux Arènes de Vérone, du San Carlo de Naples au Bolchoï de Moscou, de l’Opéra de Rome à celui de Chicago. Il a également souvent travaillé à l’Opéra de Lausanne où il a présenté de nombreux chefs-d’œuvre du répertoire (Rigoletto, Falstaff, Traviata, Carmen entre autres). C’est la première fois qu’il intervient à Genève.


Feutre at the Grand Théâtre de Genève

Du 12 au 22 décembre 2024

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