pourquoi l’Office français de la biodiversité cristallise-t-il la colère des agriculteurs ?

L’Office français de la biodiversité cristallise la colère des agriculteurs. En pleine mobilisation, la police de l’environnement est régulièrement la cible de dégâts et ses agents subissent des menaces, voire des attaques. L’établissement, chargé d’étudier la faune et la flore ou de sensibiliser la population au respect de la nature, assure également des fonctions administratives et judiciaires de police de l’environnement, pour contrôler ici l’arrachage illégal de haies, là l’irrigation en période de sécheresse… Une mission de police qui agace une partie du monde agricole.

La semaine dernière en Creuse, les agriculteurs ont forcé dans les locaux de l’OFB de Guéreta défoncé la porte d’entrée à coups de pieds et de parpaings, avant de jeter dehors des dossiers pris au hasard, le tout ponctué d’insultes et de menaces contre le directeur local, qui a porté plainte. À Beauvais, des agriculteurs de l’Oise déversent pneus et fumier devant l’OFB, après avoir érigé un mur en parpaings. Ce mardi encore, plusieurs centaines d’agriculteurs ont manifesté à Montbard, devant l’Office français de la biodiversité, à l’appel de la FDSEA de Côte-d’Or.

Une trentaine d’agriculteurs ont pénétré de force et endommagé les locaux de l’Office français de la biodiversité à Guéret. © Maxppp
BARLIER Bruno

La voiture de l’agent sabotée

Beaucoup plus grave, début octobre, le chef de l’OFB du Tarn-et-Garonne a déposé une plainte après le sabotage de sa voiture, en marge d’une réunion sur les contrôles des exploitations agricoles. Après cette réunion à la Chambre d’Agriculture de Montauban, “J’ai constaté un comportement inhabituel sur mon véhicule”says Jérémie Rapaud. « En me garant, j’ai remarqué l’absence des cinq écrous qui maintiennent normalement la roue arrière gauche. Heureusement, la roue est restée en place avec le poids du véhicule.

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Lors des manifestations agricoles de janvier et février, l’OFB avait déjà été la cible de nombreuses protestations, avec des dégâts dans plusieurs antennes locales. Des agents s’étaient plaints d’attaques à leur encontre. Quelques ont même été ciblés nommément. « Cela a eu un impact sur nos familles. Mon partenaire a peur de trouver du fumier devant la porte ou devant la maison taguée”témoigne un agent de l’OFB, qui préfère rester anonyme, franceinfo. « Nous comprenons les difficultés que traversent les agriculteurs, mais il y a des lignes rouges à ne pas franchir ». Dès le 12 novembre, l’OFB indiquait à franceinfo avoir déposé une cinquantaine de plaintes pour dommages et menaces à l’échelle nationale.

Des agriculteurs en colère brûlent des déchets devant les locaux de l’OFB à Marmilhat (Puy-de-Dôme) en janvier. © Radio-
Emma Saulzet

“Bouc émissaire”

“Toutes les attaques qui visent l’intégrité physique de ces agents (…) sont inacceptables”, a prévenu la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, sur Sud Radio ce mercredi. “Si nous avons des critiques sur la loi, sur les règlements, il faut s’adresser à ceux qui les font, les ministres, les parlementaires”, elle a continué, “mais on ne peut pas reprocher à un agent qui a une mission de service public d’accomplir cette mission.” La veille, Arnaud Rousseau, président du syndicat majoritaire FNSEA, avait promis de nouvelles actions contre “tout ce qui gêne la vie des agriculteurs (…), des administrations, d’un certain nombre d’agences”suscite l’inquiétude au sein de l’OFB.

L’Office français de la biodiversité fait office de “bouc émissaire”estime Guillaume Rulin, coordinateur national du syndicat EFA-CGC à l’OFB. “Il y a une volonté d’empêcher des contrôles, qui pourtant garantissent l’équité” entre les agriculteurs qui respectent la réglementation et les autres, selon lui. Selon Olivier Thibault, directeur général de l’OFB, interviewé dans France Agricolesi ses agents sont visés, c’est “pour la simple raison qu’ils portent un uniforme” et qu’ils « sont dépositaires d’une part de l’autorité de l’État ».

“C’est très difficile psychologiquement pour les équipes” témoigne en tout cas Patrick Bertrand, réalisateur de l’OFB en Hauts-de-Franceon France Bleu Picardie. « On entend très bien le mécontentement des agriculteurs, les difficultés que connaît aujourd’hui la profession : nous sommes en contact quotidien avec eux, nous le voyons très clairement. Cependant, rendre l’OFB responsable de ces difficultés crée chez nous un manque de compréhension. Notre objectif premier est justement d’avoir un dialogue permanent avec la profession agricole, pour tenter ensemble de construire des solutions en faveur d’une agriculture plus durable.assure-t-il. « Nous ne voulons pas être les ennemis des agriculteurs, mais plutôt leurs alliés pour construire l’avenir ».

Seulement 10 % des exploitations contrôlées en 2023

Nous sommes souvent mis en avant car nous sommes facilement identifiables grâce à l’uniforme, mais nous contrôlons très peu d’agriculteurs sur le nombre total de personnes que nous contrôlerons sur une année. souligne également Thibaut Larduinat, le chef du service OFB dans la Sarthesur France Bleu Maine. Et même si les agents de l’OFB ne sont pas les seuls à rendre visite aux agriculteurs (Inspection du travail, Mutualité sociale agricole, Agence de services et de paiement, etc.), « on ne peut pas dire que nous recherchons des violations chez les agriculteurs, nous en sommes très, très loin », argumente-t-il.

En 2023, presque 90% des exploitations agricoles n’ont fait l’objet d’aucun contrôle administratifà peine 10 % ont fait l’objet d’un contrôle, et seulement 1 % ont fait l’objet de deux contrôles ou plus, toutes administrations confondues, selon un rapport interministériel révélé par Contexte. Concernant les contrôles effectués par l’OFB uniquement, l’agence inspecte moins de 1 % des fermes chaque année. « Si l’on compare le nombre d’inspections au nombre d’exploitations, une exploitation a la probabilité d’être inspectée une fois tous les 130 ans », calculates Émilie Ledein, directeur adjoint de l’OFB dans les Hauts-de-France.

En 2023, 10 % des exploitations auront été soumises à un contrôle administratif.
En 2023, 10 % des exploitations auront été soumises à un contrôle administratif. © Maxppp
Richard MOUILLAUD

En début d’année pourtant, au cœur de la crise agricole, l’ordre du ralentissement a été donné. « Fin janvier, soit nous avons arrêté, soit nous avons réduit les contrôles administratifs. Ils ont repris progressivement en mars »assure Olivier Thibault, le directeur général de l’OFB. Au cours des six premiers mois de l’année, le nombre de contrôles administratifs auprès des agriculteurs a augmenté diminué de 68% par rapport à la même période en 2023, selon un document interne consulté par franceinfo. Les contrôles judiciaires ont diminué de 37%. « Seuls les contrôles absolument nécessaires ont été autorisés » se souvient Sylvain Michel, délégué syndical CGT à l’OFB.

Par ailleurs, la Ministre de l’Agriculture Annie Genevard a annoncé fin octobre un contrôle administratif uniquesoit « une seule visite par an et par exploitation ». Cette unique visite n’inclura cependant pas les contrôles fiscaux et juridiques.

Agents armés

La Coordination Rurale critique également l’OFB pour l’attitude des agents et revendique le désarmement des agents de l’OFB lors des contrôles dans les exploitations agricoles. Fin octobre, une dizaine d’agriculteurs de la Coordination rurale de Haute-Saône ont ceinturé de barbelés l’entrée de l’Office français de la biodiversité à Noidans-lès-Vesoul.“Certains agents se prennent pour des cowboysa déclaré Florian Dirant, le président de la coordination rurale de Haute-Saône. Ils viennent chez nous armés et nous ne voulons plus de cela.»

Il nécessite également plus de flexibilité et le dialogue avec ces agents chargés d’effectuer les contrôles de conformité.« Ils sont beaucoup trop formels, ça nous met la pression, on n’en peut plus. Une petite erreur dans la taille des haies par exemple et paf, on prend une amende”, assures Florian Dirant.

« L’arme ne choque personne quand on voit un policier. Pourquoi cela choquerait-il quelqu’un quand on voit un policier de l’environnement ? interroge Patrick Bertrand, le réalisateur de l’OFB en Hauts-de-France. Sur les 3 000 agents de l’OFB, 1 700 agents sont là pour faire respecter le Code de l’environnement, mais aussi contrôler les chasseurs ou les braconniers. Comme tout officier de police judiciaire, ils peuvent procéder à des perquisitions, des interrogatoires et porter une arme. « Pour travailler en toute sécurité, les armes restent absolument indispensables »estimé Olivier Thibault, directeur général de l’OFBselon qui 85 agents de l’OFB ou des agences dont il est issu, ont été tués par le passé en mission.

Pour apaiser les tensions, on parle désormais d’agents intervenant les armes cachées. « Ce qui est inquiétant, c’est que les personnes contrôlées dictent ce que font les agents »s’alarme Thomas, un agent de l’OFB qui n’a pas souhaité donner son nom de famille.

«Pour travailler en toute sécurité, les armes restent absolument indispensables», estime Olivier Thibault, directeur général de l’OFB. ©AFP
François Laurens

« Surenchère » pour les élections syndicales

Une autre information explique la multiplication des actions contre l’OFB, selon Thomas : « Il y a une surenchère au sein du syndicat pour savoir qui sera le plus anti-réglementation, anti-OFB, en espérant récolter des voix lors des élections professionnelles » de janvier, déplore-t-il.

« Il y a une instrumentalisation de ce qu’on appelle les ‘contraintes environnementales’, » croit aussi Sylvain Michel, de la CGT Environnement. Mais selon lui, les relations quotidiennes avec les agriculteurs sont généralement cordiaux. « Nous comprenons très bien les raisons de la colère des agriculteurs, qui ont des conditions de vie difficiles et des revenus qui ne sont pas à la hauteur de leur travail. »

 
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