Entre le 1er avril et le 30 septembre 2022, 209 phoques morts ou malades ont été signalés dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. L’augmentation des décès estivaux chez les phoques communs et gris était près de quatre fois supérieure aux données historiques. Pour plusieurs spécimens, la souche H5N1 de la grippe aviaire a été identifiée comme cause du décès.
Les résultats d’une enquête publiée dans les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) suggèrent que la présence d’un grand nombre de carcasses d’oiseaux infectés par le H5N1 sur les sites de débarquement des phoques a très probablement contribué à la propagation de l’infection des pinnipèdes.
Les données actuelles ne permettent pas de déterminer si une transmission entre phoques a pu se produire. « Dans l’épidémie que nous avons connue en 2022 notamment chez les phoques communs, il ne semble y avoir aucune preuve que le virus se soit transmis d’un phoque à l’autre. Ce qu’on peut penser, c’est que la maladie a été si aiguë, la mort si rapide, que les animaux n’ont pas eu le temps d’excréter le virus très longtemps », a expliqué le co-auteur de l’enquête. , Stéphane Lair.
Cela dit, la souche actuelle H5N1 a causé des décès « très importants » parmi les pinnipèdes, notamment les lions de mer en Amérique du Sud. « On parle de plusieurs milliers d’animaux qui sont morts, ce qui laisse penser que dans ces cas-là, il y a eu transmission d’une otarie à l’autre. Et dans ces troupeaux d’otaries, ils ont des contacts beaucoup plus étroits les uns avec les autres, ce qui aurait pu favoriser ce genre de transmission directe entre les otaries », estime M. Lair.
Ses travaux mettent en évidence que les mammifères marins pourraient servir de réservoirs au virus de la grippe aviaire H5N1, ce qui pourrait contribuer à augmenter le risque de mutations favorisant l’infection de nouveaux hôtes mammifères. Par conséquent, la surveillance de ce virus dans les populations de mammifères marins sauvages est essentielle pour évaluer le risque pour la santé publique associé à cette dynamique émergente pathogène-hôte, indique le rapport du CDC.
Plus récemment au Québec, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a mené deux enquêtes liées à la grippe aviaire chez les oiseaux domestiques. L’infection a été détectée les 17 et 18 novembre sur deux sites d’élevage de volailles en Montérégie.
Pas de panique, selon deux experts
Un premier cas humain de grippe aviaire H5N1 au Canada a été confirmé la semaine dernière en Colombie-Britannique.
Selon deux experts, il ne faut pas paniquer à l’idée que le virus se transmette entre humains puisque les cas sont peu nombreux. « Des cas ont déjà été signalés chez l’homme. Ce sont des cas assez limités en nombre, ce qui laisse penser que ce virus est peu adapté à l’homme», assure M. Lair, qui est également professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université. de Montréal.
« Ce qu’il faut comprendre avec les virus de la grippe, c’est qu’ils font des recombinaisons entre virus, des mutations. Et donc, ils peuvent évoluer avec le temps. Celle qui circule actuellement en Amérique du Nord est une souche eurasienne, différente de la souche asiatique qui a causé plusieurs cas humains. Cette souche semble beaucoup moins susceptible de se transmettre entre humains que la souche asiatique », explique-t-il.
Ce qui est plus inquiétant, selon M. Lair, c’est que ce virus peut muter et on ne sait pas ce que les générations futures du virus auront comme adaptation.
« La santé publique est toujours un peu plus inquiète lorsque ce virus aviaire commence à infecter les mammifères comme les phoques car cela démontre qu’il y a une certaine adaptation aux cellules des mammifères et comme nous sommes des mammifères, on peut se poser la question : sommes-nous les prochains sur la liste ? », demande-t-il.
Brian Ward, professeur titulaire au département de médecine de l’Université McGill et codirecteur du Centre d’études sur les vaccins du CUSM, a également des inquiétudes modérées. «C’est inquiétant, mais c’est inquiétant à un faible niveau», dit-il.
« Ces dernières années, il y a eu des cas chez des éléphants de mer, des animaux de ferme et des oiseaux domestiques. Mais chez les oiseaux sauvages, notamment les oiseaux marins, les oies et les canards, ces virus circulent très activement depuis des décennies. Nous avons maintenant des histoires de plusieurs clades et oui, il existe des mutations qui facilitent la transmission aux mammifères », décrit-il.
Jusqu’à présent, il n’y a eu aucun cas de transmission interhumaine. « Il n’y a pas de signe évident que cela va changer rapidement », commente M. Ward.
« La transmission chez les oiseaux se fait principalement par voie fécale-orale, les selles contiennent donc le virus. Il y a des oiseaux autour des phoques. Des aérosols se forment dans ces environnements. Il est possible que même sans récepteur approprié en cas d’infection, le phoque tombe malade à cause de l’intensité des aérosols », a déclaré M. Ward.
MM. Lair et Ward conviennent que la prochaine pandémie pourrait être celle de la grippe aviaire. Cependant, ils estiment qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure. « Ne paniquez pas encore, mais nous devons profiter de ce moment, pendant que ces virus retiennent notre attention. Nous devons utiliser cette motivation pour être mieux préparés lorsque l’un de ces virus apparaîtra ou un autre virus comme le SRAS-CoV-2. Nous devons nous préparer aux prochaines pandémies car elles sont inévitables », affirme M. Ward.