Northvolt est plus que jamais au bord de l’effondrement. Après avoir annoncé son placement sous la protection du chapitre XI de la loi américaine sur les faillites, le groupe suédois a indiqué ce vendredi que son PDG Peter Carlsson renonçait à son tablier. « C’est le bon moment pour moi de passer le relais à la prochaine génération de dirigeants »commente laconiquement le patron, qui conserve un rôle de « conseiller principal » et une place au conseil d’administration. Cet ancien employé de Tesla lâche ainsi la tête de la start-up qu’il a cofondée en grande pompe en 2016, avec l’ambition de devenir le fer de lance européen dans le domaine très stratégique des batteries pour véhicules électriques.
Voitures électriques : la douche froide de l’Europe sur le marché des batteries
Aujourd’hui, la fête est finie. Northvolt est désormais en jeu pour sa survie. Plié par une dette de 5,84 milliards de dollars pour seulement 30 millions d’euros de liquidités, l’industriel espère que son placement sous « Chapitre 11 » lui donnera le temps de se restructurer. Et surtout réunir les 1 à 1,2 milliard de dollars dont il a besoin, selon sa direction, pour se relancer. Y arrivera-t-il ? Pas sûr. Son dépôt de bilan révèle que sa direction n’a jusqu’à présent pas réussi à trouver de nouveaux investisseurs.
« Ils ont vu trop grand »
Northvolt, dont Volkswagen est le principal actionnaire avec une participation de 21 %, se trouve depuis des mois à la croisée des chemins. Son personnel, sans doute galvanisé par les 15 milliards de dollars levés depuis sa création, est accusé d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre. L’ancienne start-up a multiplié ces dernières années ses projets de méga-usines en Suède, mais aussi en Allemagne et en Pologne.
Son ambition ? Rien de moins que de maîtriser toute la chaîne de production des batteries électriques, de la fabrication des cathodes jusqu’au recyclage. Mais il fut rapidement dépassé par d’importants problèmes d’exécution.
« Ils ont vu trop grand », juge Pierre Paturel, directeur de recherche et spécialiste automobile chez Xerfi. Ils tentent la course à la taille et se heurtent à une réalité industrielle visiblement très compliquée. Au lieu d’attendre de maîtriser véritablement leurs procédés de fabrication dans leur première usine à Skelleftea, Northvolt a sans doute commis l’erreur de lancer la construction de plusieurs autres gigafactories. »
BMW quitte le navire
Les retards de production importants se sont révélés particulièrement dévastateurs. « S’ils manquent d’argent, c’est d’abord parce qu’ils n’arrivent pas à produire suffisamment de cellules »insiste Pierre Paturel. C’est pourquoi certains clients ont préféré quitter le navire.
Echaudé par les retards de livraison, BMW a notamment annulé une commande de 2 milliards d’euros en mai dernier. Pour Northvolt, le coup est sévère. Quatre mois plus tard, le groupe annonçait la suppression de 1 600 emplois sur 6 500, couplée au gel du développement de la production dans ses usines. vaisseau amiral de Skelleftéa.
Le choix de Northvolt de s’appuyer sur la technologie NMC (nickel, manganèse et cobalt) pour ses batteries est également souvent critiqué, alors que la demande de batteries LFP (lithium, fer et phosphate), moins chères mais à plus faible densité énergétique, va augmenter. crescendo. Mais selon Pierre Paturel, cela n’explique en rien les problèmes de Northvolt.
« En 2030, les projections précisent qu’en Europe, la demande sera équitablement partagée entre la NMC et la LFP »souligne-t-il.
Un signal d’alarme pour l’Europe
A ses yeux, l’argument du ralentissement des ventes de voitures électriques sur le continent, souvent invoqué pour justifier les déboires de Northvolt, n’est pas non plus recevable. “C’est une dissimulation pour ne pas dire qu’il y a des difficultés techniquesadds Emmanuel Hache, economist at IFP Énergies nouvelles. Les ventes de voitures électriques sont loin de s’être effondrées. »
Les tourments de Northvolt constituent, en tout cas, un signal d’alarme pour l’Europe. Le continent comptait sur cet acteur pour rivaliser, à terme, avec les champions chinois CTAL et BYD, qui dominent plus de la moitié du marché mondial. L’objectif de l’UE est clair : acquérir une certaine souveraineté dans ce domaine hautement stratégique, puisque la batterie représente 30 à 50 % du coût d’une voiture électrique. Mais les difficultés de Northvolt pourraient bien refroidir les investisseurs, et donc freiner le développement du secteur.
« L’Europe doit arrêter de tâtonner »
Emmanuel Hache met en cause la politique industrielle du Vieux Continent. «Cet épisode est représentatif de l’état d’impréparation de l’Europe face à cette nouvelle technologie»il claque. Alors que de nombreux projets de gigafactories échouent ou sont mis en attente, l’économiste juge que l’Europe est désormais “pris dans un étau entre la Chine et les États-Unis ».
Les deux superpuissances redoublent d’efforts en matière de batteries, via un financement énorme pour leurs programmes « Made in China 2025 » et la loi sur la réduction de l’inflation. « Soit l’Europe investit et finance substantiellement ce type d’entreprises, soit nous supposons, à partir d’aujourd’hui, que les véhicules électriques seront chinois.dit-il. Mais il faut arrêter de tâtonner ainsi. »