En signant l’accord mondial sur la biodiversité à Montréal en 2022, les pays du monde se sont engagés à protéger au moins 30 % des terres et des eaux intérieures, ainsi que 30 % des zones marines et côtières.
Il s’agit d’un défi monumental, compte tenu de ce que nous avons réussi à protéger jusqu’à présent.
Les derniers chiffres dévoilés lors de la conférence des Nations Unies sur la biodiversité à Cali, la COP16, rappellent tout le travail qui reste à accomplir. D’après le rapport Planète protégéepublié le 28 octobre par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), nous devons redoubler d’efforts : la superficie des zones protégées doit doubler sur terre et tripler en mer d’ici cinq ans.
Pour donner un ordre de grandeur, il faudrait encore protéger l’équivalent de la superficie de la Russie pour les terres et l’équivalent de l’océan Indien pour les espaces maritimes.
En effet, à peine 17,6 % des terres et 8,4 % des mers sont désormais protégées à l’échelle mondiale. Le Canada et le Québec ne sont pas en reste. Ils ont protégé respectivement 13 % et 17 % des terres et à peine 10 % des mers.
Comme nous pouvons le constater, il reste un long chemin à parcourir.
Même si nous y parvenions, même si un tiers de la planète était préservé, cela signifie-t-il que le problème est résolu ? Que nous n’avons plus à nous soucier des 70 % restants ?
Bien sûr que non.
Vue aérienne d’une parcelle agricole et d’une forêt dégradée dans le département de Guaviare, en Colombie.
Photo : AFP / RAUL ARBOLEDA
Se concentrer uniquement sur les 30 % pourrait s’avérer, au moins en partie, être une fausse bonne idée. La création de zones protégées est probablement la partie la plus facile de la tâche qui nous attend pour protéger les écosystèmes de la planète.
Soyons clairs : ce n’est pas que ce soit facile, mais c’est peut-être moins compliqué. Plus facile, car mieux défini. Il y a un objectif précis à atteindre, il y a un accord mondial qui donne une légitimité politique aux décideurs pour agir, il y a des outils développés par les scientifiques pour le faire, et il y a la motivation pour pouvoir montrer aux électeurs et au reste de la population le monde que nous avons atteint nos objectifs.
Ce n’est pas le cas du reste des territoires. Toutefois, le fait qu’ils ne soient pas désignés comme protégés ne signifie pas qu’il soit permis de les saccager. Quoi qu’il en soit, aucun gouvernement ni aucune industrie n’en bénéficieraient. Nos économies dépendent en grande partie de la nature et des services que nous fournissent les écosystèmes.
Pour préserver les 70 % restants, nous devons faire face à une réalité bien plus complexe, politiquement et économiquement.
Ce que nous mangeons
C’est une question éthique et philosophique
m’a dit le Philippin Oliver Oliveros, lors d’une réunion à la COP16 à Cali. Il coordonne le Coalition Agroécologieune organisation basée à Rome et créée avec le soutien de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
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Le Philippin Olivier Oliveros est coordinateur de la Coalition Agroécologie et expert en développement rural.
Photo: Radio-Canada / Étienne Leblanc
Que signifie nourrir la planète ? Produisons-nous uniquement ce dont nous avons réellement besoin ?
se demande-t-il. Il s’agit avant tout de penser et d’agir pour transformer la manière dont nous produisons et consommons les aliments qui nous nourrissent.
En effet, selon le dernier rapport duIPBES – l’équivalent de GIEC pour les enjeux de biodiversité – parmi les cinq principales causes accélérant la perte de la nature, le facteur majeur de dégradation est la manière dont l’humanité utilise les terres et la mer. Il convient de souligner la conversion d’occupations du sol telles que les forêts ou les zones humides à des fins agricoles et urbaines.
En fait, l’expansion agricole reste le principal moteur de la déforestation, de la dégradation des forêts et de la perte de biodiversité forestière.
Selon un rapport de PNUEles systèmes alimentaires mondiaux sont les principaux facteurs de perte de biodiversité (Nouvelle fenêtre)l’agriculture étant à elle seule la menace perçue pour plus de 85 % des 28 000 espèces menacées d’extinction.
S’attaquer au système agricole mondial n’est pas une tâche facile, mais au vu des données scientifiques que nous transmettent chaque jour les experts, c’est l’un des principaux projets à lancer pour préserver les 70 % des territoires restants.
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Vue aérienne de chèvres dans l’État de Bahia, Brésil. Cette région a perdu près de 40 % de son territoire agricole traditionnel, avec des terres désormais utilisées pour l’agriculture intensive.
Photo : AFP / PABLO PORCIUNCULA
Systèmes de valeurs
Produisez, produisez, produisez ! Pourquoi toujours produire plus ?
Jeter Oliver Oliveros.
Si nous voulons que les territoires hors aires protégées restent sources de bien-être pour la population, nous devons travailler à changer notre système de pensée et notre système de valeurs, nous devons penser le développement économique avec une approche holistique.
dit-il.
Super programme. Mais force est de constater que la recette utilisée jusqu’à présent n’a pas vraiment fonctionné.
Protéger les 70 % restants nous oblige donc à remettre en question le système économique qui nous nourrit, et un mode de vie qui ne semble pas durable à long terme, du moins celui que l’on retrouve dans les pays industrialisés et de plus en plus dans les économies émergentes.
Cela s’applique à la protection de la nature qui contribue à notre bien-être, mais aussi à l’équilibre climatique de la planète.
La tâche, nous le comprenons, nous dépasse. De nos jours, entre souci de fin de mois et souci de fin du monde, le premier l’emporte souvent. Il s’agit d’une réaction cognitive normale.
Rediriger les ressources
Selon de nombreux experts, dont Oliver Oliveros, protéger les 70 % de territoires non protégés ne nécessite pas nécessairement un renoncement ou de grands sacrifices, mais plutôt l’acceptation de pouvoir réorienter les ressources.
Par exemple, de nombreux scientifiques affirment que nous devons soutenir davantage l’agriculture à petite échelle, plus respectueuse de l’environnement. Il en va de même pour l’agriculture biologique (qui utilise moins de pesticides et d’engrais chimiques) ou pour l’agroécologie (qui nécessite la présence d’un minimum de diversité biologique sur l’exploitation et qui favorise la richesse des écosystèmes dans un contexte agricole).
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La ferme agroécologique Pura Vida, dans le village d’Andalucía, à 130 kilomètres au nord de Cali.
Photo: Radio-Canada / Étienne Leblanc
Cela signifie-t-il que nous devons collecter cet argent dans les poches des citoyens ? Pas du tout, nous dit la Banque mondiale (Nouvelle fenêtre). Nous devons simplement mieux canaliser l’argent.
Les gouvernements du monde fournissent actuellement plus de 1 250 milliards de dollars par an en subventions à des activités nuisibles à la diversité biologique, telles que l’agriculture intensive ou l’industrie des combustibles fossiles.
L’accord mondial sur la biodiversité, signé à Montréal en 2022, demande aux gouvernements signataires de réduire les subventions néfastes à la nature de 500 milliards par an d’ici 2030 (objectif 18). (Nouvelle fenêtre)), de l’argent qui pourrait être orienté vers des activités agricoles plus respectueuses de l’environnement.
Un autre exemple est notre alimentation. Il ne s’agit pas de manger moins, mais de remplacer notre consommation de viande par des protéines végétales moins nocives pour la terre et souvent produites plus localement. La production de viande nécessite une agriculture intensive pour produire des aliments pour le bétail (soja, maïs) et une forte consommation d’eau.
Le Canada est le plus grand producteur mondial de lentilles et un important producteur de pois chiches. Comment se fait-il que ces légumineuses ne fassent plus partie de notre alimentation ?
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Au centre de distribution alimentaire CAVASA à Cali, il y a de nombreux sacs de haricots et de lentilles en provenance du Canada.
Photo : Radio-Canada / Victor Letelier
Encore faut-il qu’il y ait une sensibilisation pour nous inciter à changer nos comportements, et que l’alternative végétarienne soit attractive pour la majorité des citoyens.
Saviez-vous que les trois quarts de notre alimentation sur la planète dépendent de seulement 12 plantes (blé, riz, haricots, etc.) et de cinq espèces animales ? Cette homogénéisation alimentaire est portée par une industrie qui veut faciliter la vie. Les communautés locales et autochtones du monde entier ont développé des milliers d’aliments au fil des siècles, mais leur culture alimentaire est menacée par la dégradation de l’environnement et par un système économique qui ne les favorise pas.
Nous ne le savons pas, mais il existe des centaines de produits que nous pourrions consommer pour remplacer la viande et auxquels nous n’avons pas accès.
Sans parler du gaspillage alimentaire. À l’échelle mondiale, environ 13 % de la nourriture produite est perdue entre la récolte et la vente au détail, et 19 % de la production alimentaire totale est gaspillée dans les ménages, la restauration et la vente au détail.
Agir sur cette problématique est aussi un moyen de réduire la pression sur l’agriculture, et donc sur le climat et la biodiversité.
Toutes ces solutions possibles ne se développeront pas sans volonté politique, sans le soutien des gouvernements aux alternatives aux activités qui dégradent les territoires.
La question est surtout de ne pas choisir entre protéger 30 % des terres et des mers de la planète et laisser le reste se dégrader sans agir.
Ce serait un piège, au détriment de notre bien-être.