Procès simulé à Lausanne –
L’agriculture suisse échappe à une condamnation pénale
Le parquet du contentieux du rumin a voulu l’obliger à soigner une addiction aux produits phytosanitaires. Mais l’accusé a su toucher le cœur des jurés.
Publié aujourd’hui à 17h12
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Mauvais temps pour les idoles, démystifiées et traînées en justice, qu’importent leur grand âge et le respect qu’on leur témoigne. Samedi soir, c’est l’agriculture, 10 000 ans serrés, qui devait affronter un jury populaire au Palais de Rumine. Son principal crime, selon l’acte d’accusation du procureur David Raedler : avoir violé la norme pénale de la loi sur la protection de l’environnement par son « usage addictif, et souvent disproportionné, de certains produits et substances toxiques aux effets délétères pourtant bien connus ».
Défendu par Me Claude Ramoni, l’accusé plusieurs fois millénaire, affichait un visage fringant, sous les traits de Steve Montandon, président des Jeunes Agriculteurs Vaudois. Sa ligne de défense était claire : rien de honteux sur le territoire suisse, où la transition écologique est en marche depuis longtemps.
Reconnaît-elle au moins les excès du passé ? lui demande le procureur. L’accusé recadre : « A la fin de la guerre, les gens avaient faim. Il y a eu le baby-boom et l’exode rural, ce qui a fait qu’il y avait de moins en moins de personnes pour aider à travailler la terre. Il fallait trouver des solutions. La mécanisation et l’approvisionnement en intrants chimiques ont permis de doubler notre productivité et d’éviter la famine en Suisse.»
Nourrice avant tout
Du défilé des témoins à charge et à décharge, l’assemblée a conclu que l’agriculture biologique fait partie de la réponse au problème environnemental, mais qu’en raison de son rendement, elle ne peut pas à elle seule nourrir la population. «Le rôle de l’agriculture suisse est d’offrir des prix abordables à l’ensemble de la population, y compris aux familles à faible revenu», a déclaré l’accusé.
Cette agriculture nourricière se demande pourquoi elle est là, seule. Le procès met en évidence la complexité de l’affaire. La directrice de la Fédération romande des consommateurs, Sophie Michaud Gigon, est appelée à la barre. La présidente du tribunal, Marie-Pomme Moinat, passe à l’action : « Le consommateur suisse veut des fraises en hiver et ne semble pas prêt à payer le juste prix pour une alimentation sans pesticides. Quelle est sa responsabilité dans les crimes reprochés à l’agriculture ? Long silence.
Sophie Michaud Gigon évite, puis cible la grande distribution, « qui, en pleine saison, augmente ses marges sur les tomates cerises suisses, vendues 10 francs. par kilo, car ils bénéficient d’une protection douanière. Le consommateur ne comprend pas pourquoi ce prix est si élevé.
Relation toxique
Migros, Coop, Lidl, Aldi, etc. : principaux clients et profiteurs de l’agriculture ? L’agroéconomiste Guyliane Leuba pose le diagnostic : “La grande distribution exploite les faiblesses du système et il serait juste qu’elle accepte de revoir ses marges à la baisse au profit des producteurs.” Bref, « l’agriculture se retrouve dans une relation amoureuse toxique avec la grande distribution », résume le procureur.
Une relation polyamoureuse, car l’agriculture ferait également des compromis avec la droite et les lobbies économiques bernois, en échange de leur soutien aux paiements directs, affirme-t-il. Ce qui amène par exemple l’Union suisse des paysans à recommander oui à l’élargissement des autoroutes, «même si cela sacrifierait 50 hectares de terres agricoles».
David Raedler requiert une journée de privation de liberté, mais surtout un traitement forcé pour sa toxicomanie. Sans surprise, Me Ramoni plaide l’acquittement : « Tout le monde pollue ! Il n’y a pas d’alternative à l’agriculture et elle est un acteur vertueux dans un monde pourri. »
État de nécessité
Le verdict tombe peu après : l’agriculture est acquittée. Si le jury estime qu’elle a commis une faute dans l’utilisation de produits phytosanitaires, elle a agi “par nécessité”, “afin de nourrir la population”. L’affaire s’ajoute toutefois aux poursuites en cours contre le consommateur, la grande distribution et l’administration publique. “Pour mieux déterminer les responsabilités pénales de chacun.”
Peut-être le jury a-t-il été touché par les dernières paroles de l’accusé avant le délibéré. S’exprimant en dernier, Steve Montandon a voulu sortir de son rôle d’un soir pour exprimer, ému, son ras-le-bol d’un métier dont les efforts sont minimisés : « Non, nous ne sommes pas accros, nous essayons de nous passer de produits phytosanitaires. Rien n’est tout noir ni tout blanc. Notre métier est de trouver un compromis entre le bien-être animal, le climat, la biodiversité et la meilleure solution pour garantir la sécurité alimentaire. Et d’ajouter : « Si vous me condamnez, apportez-moi une corde jusqu’à ma cellule. Car derrière mon sourire et ma positivité se cache une agriculture fatiguée d’être montrée du doigt.
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