Vote fédérale du 24 novembre –
Autoroutes : Pierre Maudet et Alfonso Gomez croisent le fer
La Ville de Genève est opposée à l’élargissement de l’A1, le Canton y est favorable. Explications.
Publié aujourd’hui à 8h28
Abonnez-vous maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.
BotTalk
- Le Canton de Genève soutient l’élargissement du tronçon Nyon-Vengeron, contrairement à la Ville.
- Alfonso Gomez pointe le risque d’une arrivée massive de voitures dans le centre-ville.
- Pierre Maudet défend l’initiative, jugeant un périphérique nécessaire pour améliorer la mobilité.
Il ne reste que trois semaines avant le vote fédéral sur l’élargissement de plusieurs tronçons autoroutiers. A Genève, c’est l’axe Nyon-Vengeron qui déchaîne toutes les passions. Et les autorités ne font pas exception : si le Canton soutient cet objet, la Ville s’y oppose fermement. Pour la Tribune de Genève, le conseiller administratif Alfonso Gomez et le conseiller d’Etat Pierre Maudet expliquent les raisons de leur désaccord.
Le Conseil d’Etat et la première ville du canton sont opposés sur le vote de l’élargissement de l’A1. Pour quoi?
Alfonso Gomez (AG) : Nous sommes extrêmement préoccupés par cette évolution. Les villes souffrent déjà énormément de la pollution et du bruit. Si l’élargissement est accepté, près de 44’000 voitures supplémentaires arriveront chaque jour à Genève !
Cet élargissement est en totale contradiction avec le Plan Climat de l’État… qui prévoit une réduction de 40 % des déplacements en voiture d’ici 6 ans !
Pierre Maudet (PM) : La position de la Ville est égoïste et manque de cohérence. Pourquoi veut-elle élargir le pont du Mont Blanc et pas l’autoroute ? La mobilité est un tout. En s’opposant à cet objet, elle empêche le bon développement global des transports dans le canton.
Comme M. Gomez, je souhaite un centre-ville avec plus de transports en commun et de mobilité douce. Mais pour cela, nous avons besoin d’un véritable appareil auquel les voitures puissent se rapporter.
Alfonso Gomez, vous reconnaîtrez que l’autoroute est souvent bouchée. Cela a des conséquences sur les nerfs des automobilistes, mais aussi sur leur sécurité et sur l’économie…
AG : Bien sûr ! Mais si nous en sommes là, c’est que les solutions avancées ne sont envisagées qu’à court terme. Selon Ofrou (ndlr : l’Office fédéral des routes)l’A1 sera à nouveau saturée une dizaine d’années après son élargissement. L’office affirme même que le trafic a doublé en quelques années seulement… Faut-il continuer à appliquer les recettes des années 1970, qui nous ont conduits dans cette impasse ? L’élargissement de l’A1 est certainement une solution du passé.
Au lieu de consacrer 900 millions aux routes, il faudrait les investir dans les transports publics régionaux en attendant le développement du rail. Quant aux idées de covoiturage sur l’autoroute, on sait que c’est une démarche insensée.
PM : Ce n’est pas vrai ! La mobilité partagée présente un immense potentiel. Quant aux 900 millions investis, je rappelle que près de 10 % sont consacrés à la lutte contre le bruit ou à la création de pistes cyclables.
Pierre Maudet, l’autoroute va vite être saturée… N’est-ce pas une fuite en avant ?
PM : C’est le contraire. Oui, il y aura une augmentation du trafic, mais elle est souhaitée et assumée. Tout l’objectif de cet élargissement est de pacifier la circulation dans les villages riverains du lac, où les riverains subissent un trafic d’évitement important.
Pour limiter la circulation à 30 km/h à Bellevue ou Versoix, il faut envoyer les voitures quelque part. J’ajoute que cinq P+R seront construits pour absorber le trafic et que l’autoroute de contournement est avant tout une voie de transit vers la France voisine. Alors, quand vous nous parlez d’autoroute « à vide automobile », vous nous imposez votre vision de société !
AG : Je conteste ce qui vient d’être dit. Seul un tiers des véhicules partent en France ! Le reste afflue vers Genève et sa périphérie. Et pour absorber l’ensemble des 44 000 voitures supplémentaires, il ne faut pas cinq P+R, mais 80 ! Quant au trafic induit, il existe. Un exemple: six ans après l’extension du tunnel du Baregg à Zurich, les embouteillages se sont aggravés. À l’époque, les médias titraient : « Zurich fait sauter les bouchons ». C’est tout le contraire qui s’est produit. Le trafic y a augmenté de 40 %, contre 20 % dans le reste de la ville.
Alfonso Gomez, certains électeurs de gauche sont obligés d’utiliser la voiture, compte tenu des prix prohibitifs et des horaires indésirables du train…
AG : C’est vrai. Mais c’est précisément pourquoi nous devons encourager les investissements dans le rail. Ici, nous allons dans une toute autre direction où, dans dix ans, le problème se répétera. Nous allons donc nous étendre davantage ? Quand est-ce qu’on s’arrête ?
PM : Les comportements changent, ça prend juste du temps. Nous travaillons au développement des transports publics, mais pour l’instant nous n’avons pas d’alternative. De nombreuses familles de la classe moyenne ont malheureusement encore besoin d’une voiture. C’est comme lorsqu’une personne a un problème cardiaque : avant de traiter les causes de la maladie, un stent est inséré. Parce que si nous ne faisons rien, il mourra.
Comme à leur habitude, les Verts sont dans une position moralisatrice. Ils veulent forcer tout le monde à manger du quinoa et à abandonner la voiture. Nous sommes dans une proposition plus pragmatique. Pourquoi toujours monter les uns contre les autres ?
Alfonso Gomez, vous manquez de pragmatisme ?
AG : Je veux rééquilibrer la mobilité, pas m’y opposer. En Suisse, 88% de l’espace dédié à la mobilité est occupé par la route. D’autres solutions sont nécessaires.
PM : Lesquels ?
AG : Réduire les investissements dans l’automobile et les concentrer sur les transports publics. J’ajouterais que 44% des habitants de la Ville de Genève ne possèdent pas de voiture, il ne me semble donc pas que privilégier la route soit une solution à court terme.
PM : Prenez votre vélo et sortez de la ville ! Il n’est pas possible d’investir partout dans les transports publics. Et là où il se trouve, nous avons déjà investi dans des bus offrant un haut niveau de service, qui bénéficieront également de l’élargissement de l’autoroute.
Je suis d’accord avec vous sur la vision à long terme, on ne peut pas continuer uniquement avec la voiture. Mais pour reprendre ma métaphore, nous sommes deux médecins qui essayons de soigner une maladie, sauf que nous avons une approche homéopathique.
AG : Je ne peux pas te laisser dire ça ! Lorsqu’une personne a un problème de cholestérol, elle doit arrêter de manger trop de gras. Prescrire des médicaments ne suffira pas. C’est la même chose pour la circulation automobile. Il est urgent de la ralentir pour la santé des populations.
Assez de comparaisons médicales. Si le « oui » aux urnes est voté, l’A1 ne risque-t-elle pas d’être trop large pour construire une deuxième ligne ferroviaire ?
PM: Nous avons reçu de la Confédération des garanties selon lesquelles un élargissement n’entraverait pas le développement ferroviaire. Dans certaines zones, cela faciliterait même la tâche, comme lors de la traversée de la Versoix. La troisième voie doit être couplée au développement du rail sous l’autoroute. Le rail ne pourra jamais absorber complètement la route et la route n’absorbera jamais le rail.
Le secteur automobile semble en difficulté, de grands garages ferment et les jeunes semblent se désintéresser de l’automobile. L’autoroute est-elle vraiment un projet d’avenir ?
PM : Il y a une certaine évolution sociétale, c’est vrai. Et l’offre ferroviaire doit s’adapter à cela avec des prix compétitifs. Mais malgré cela, la Confédération prévoit une augmentation de la demande de mobilité de 11% pour le transport de personnes et de 31% pour le transport de marchandises d’ici 2050. Par ailleurs, les Genevois ont voté pour la LMCE (loi pour une mobilité cohérente et équilibrée) en 2016 (ndlr : près de 68 % des voix). Celui-ci prévoit un périphérique pour favoriser les transports en commun, nous sommes obligés de respecter cette volonté populaire.
AG : Nous sommes dans une situation de crise, nous ne pouvons pas continuer ainsi. L’élargissement des routes n’est pas la solution. Au contraire, on peut changer les comportements en créant une offre différente. C’est pourquoi il est impératif d’arrêter les investissements dans l’automobile au profit des transports publics. Nous devons rééquilibrer la mobilité.
On sent que vous êtes assez tendu à ce sujet. Comment se déroulent les relations Ville-Canton dans les autres domaines ?
PM : Notre première collaboration avec M. Gomez s’est également déroulée sur les routes. Nous étions parvenus à un accord sur une question qui durait depuis des décennies. Comme ça, il n’y a pas de fatalité.
AG : Les préoccupations des Villes sont assez spécifiques, j’en conviens. Mais on arrive toujours à s’entendre avec le Canton, qui sait avoir une approche pragmatique. C’est pourquoi je suis surpris par la position du Conseil d’Etat qui va à l’encontre du bon sens sur l’A1. Il me semble que c’est purement idéologique.
PM : C’est la Constitution qui nous ordonne de le faire. Et du bon sens aussi…
« La politique genevoise »
Grands enjeux, élections, votes, vie des partis et débats : avec la newsletter « Genève Politique », retrouvez chaque semaine l’actualité de la vie politique du canton et des communes.
Autres bulletins d’information
Se connecter
Laurence Bézaguet travaille à la Tribune de Genève depuis 1995. Il a débuté sa carrière chez Courrier avant de travailler pendant six ans au quotidien La Suisse. A également été journaliste indépendant pendant dix-huit mois au Canada et a écrit un livre sur la traversée du port, publié en 1996, avec l’ancien conseiller d’État David Hiler. Plus d’informations
Avez-vous trouvé une erreur ? Merci de nous le signaler.
0 commentaires