Le personnel de la sécurité publique, comme les policiers, les pompiers, les répartiteurs d’urgence et les ambulanciers paramédicaux, est parfois quotidiennement confronté à la détresse humaine, à la violence et même à la mort. Il en résulte que ces travailleurs ont un taux de suicide plus élevé que le reste de la population active.
Le suicide est un phénomène complexe, résultant de l’accumulation d’une multitude de facteurs qui interagissent entre eux, explique Laurent Corthésy-Blondin, qui a consacré sa thèse aux enjeux liés à la prévention du suicide chez les techniciens ambulanciers paramédicaux. « L’exposition répétée à des événements potentiellement traumatisants est associée à un risque de développer des troubles de santé mentale, tels que les blessures de stress post-traumatique, généralement associées aux comportements suicidaires et au suicide. On estime que dans 90 % des cas de suicide, la personne souffrait d’un trouble de santé mentale préexistant.
La littérature scientifique indique que les comportements suicidaires sont plus élevés chez les techniciens ambulanciers paramédicaux que chez les autres membres du personnel de la sécurité publique, révèle Laurent Corthésy-Blondin. « Si l’on veut orienter la prévention vers les membres d’une profession particulière, il faut d’abord analyser le risque de suicide et les facteurs de protection qui y sont associés. Cela nous donne une idée des leviers sur lesquels nous pouvons agir par la suite pour mettre en œuvre des stratégies de prévention.
Facteurs de risque individuels et organisationnels
Le questionnaire envoyé par le doctorant au personnel paramédical comprenait des questions fermées et des questions ouvertes, ces dernières permettant aux répondants de proposer à leurs pairs des pistes d’action en matière de prévention du suicide.
Sur un échantillon de 356 personnes, Laurent Corthésy-Blondin constate qu’un tiers ont indiqué avoir eu des idées suicidaires au cours de leur vie. « C’est une proportion assez élevée, qui confirme ce qu’on avait lu dans la littérature », constate le chercheur.
Difficulté à demander de l’aide
Les facteurs de risque individuels identifiés par son étude comprennent le trouble de stress post-traumatique, comme il s’y attendait, mais aussi la stigmatisation liée à la recherche d’aide. « Il y a beaucoup de tabous autour de ça, beaucoup de jugements et de calomnies envers ceux qui vivent une détresse dans ce milieu professionnel », souligne le chercheur. Cela encourage les individus à essayer de résoudre leurs problèmes par eux-mêmes ou à les cacher.
N’est-il pas paradoxal que ces personnes qui se consacrent à aider les autres aient autant de difficulté à demander de l’aide à leur tour ? « C’est triste, mais ce n’est pas si surprenant. Ces personnes, dans le cadre de leur rôle, sont censées contrôler leurs humeurs et leurs émotions en toutes circonstances, et être « fortes »… »
L’accès à des médicaments potentiellement mortels fait également partie des facteurs de risque identifiés par les répondants. « Le personnel paramédical est formé pour administrer plusieurs médicaments, dont des substances mortelles, auxquels ils ont accès. C’est l’équivalent, en termes de facteur de risque lié au suicide, de l’arme policière.
Quant aux facteurs de risque organisationnels, les recherches soulignent la surcharge de travail, les conflits interpersonnels et les problèmes d’isolement. « D’un autre côté, la perception du soutien social de la part des collègues lorsqu’ils rencontrent des problèmes personnels est associée à une probabilité réduite de signaler des idées suicidaires. C’est un facteur de protection organisationnel », note Laurent Corthésy-Blondin.
Recommandations
À partir des suggestions de 177 répondants, Laurent Corthésy-Blondin propose quatre recommandations de prévention du suicide à l’intention des techniciens ambulanciers paramédicaux. « La première recommandation est de structurer une stratégie de prévention du suicide, ce qui passe par la création d’un comité de travail mixte, l’organisation d’une communauté de pratique axée sur la prévention du suicide et l’évaluation de la mise en œuvre de mesures préventives », explique-t-il.
Le chercheur indique également la nécessité d’améliorer l’environnement psychosocial du personnel. « Nous devons nous concentrer sur la sensibilisation pour réduire la stigmatisation, mener des activités de reconnaissance pour améliorer les relations de travail et veiller à ce que les politiques anti-harcèlement soient effectivement appliquées », insiste-t-il.
Laurent Corthésy-Blondin recommande de renforcer le réseau et les ressources des ambulanciers confrontés à des problématiques communes, comme des conflits familiaux, des problèmes relationnels ou l’isolement. « Il faut développer des services psychosociaux spécifiques », souligne-t-il. Cela semble aller de soi, mais plusieurs répondants indiquent avoir consulté des intervenants, des travailleurs sociaux ou des psychologues, qui n’étaient pas suffisamment à l’aise avec les témoignages relatant des événements traumatisants. Le chercheur recommande également de mettre en place des programmes de soutien par les pairs pour pouvoir partager les moments difficiles.
La dernière recommandation s’adresse plus spécifiquement aux personnels présentant un risque élevé de suicide. “Il faudrait dresser une liste des situations où la possession de substances mortelles peut représenter un danger et évaluer la nécessité d’en restreindre l’accès, si nécessaire”, explique-t-il. Les gestionnaires et les représentants syndicaux devraient également effectuer des suivis réguliers auprès de ces personnes.
En conformité avec la loi
Aujourd’hui chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST), Laurent Corthésy-Blondin œuvre à prévenir les problèmes de santé mentale chez les travailleurs. Il souligne que la publication de sa thèse a coïncidé avec la modernisation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. « Il y a une adéquation entre les recommandations de notre étude et l’obligation légale des employeurs de prendre en compte les risques physiques et les risques psychosociaux du travail dans leurs plans et programmes de prévention », explique-t-il. Cela inclut les événements potentiellement traumatisants, le harcèlement, la violence, la surcharge de travail, le manque de soutien, de reconnaissance et d’autonomie. C’est donc l’occasion de lier la prévention du suicide à la prévention de la santé et de la sécurité au travail en général.