Pavel Sivakov (UAE-Emirates) conclura-t-il la saison extraordinaire de son équipe en remportant la dernière course de la saison, le Tour du Guangxi ? S’il conserve la forme qu’il avait samedi lors du Tour de Lombardie, le Français a des raisons d’y croire. Sixième du dernier Monument de la saison, Sivakov a participé au nouveau spectacle de Tadej Pogacar. Dans une interview accordée vendredi dernier à Eurosport, il évoque son leader, son plaisir retrouvé et les difficultés mentales qu’il a déjà rencontrées dans sa carrière.
Pavel, après une fin d’aventure compliquée, tu donnes l’impression d’avoir repris une grande confiance chez UAE-Emirates…
Pavel Sivakov : Non, je ne dirais pas que c’était compliqué, je suis parti en très bons termes avec INEOS. Mais c’est sûr que je m’épanouit un peu plus cette saison. J’ai l’impression de progresser. Je m’amuse vraiment sur le vélo. Je m’épanouis beaucoup et je suis super content de cette saison. J’ai l’impression que l’équipe me fait confiance aussi.
Après le contre, le coup de grâce ? Pogacar part seul avec Sivakov
Il n’y a donc aucun regret après avoir rejoint les Émirats arabes unis…
PS : Non, je ne le regrette vraiment pas. J’ai des opportunités sur certaines courses mais il vaut mieux être coéquipier avec des coureurs comme (Tadej) Pogacar que de lutter contre eux. Au final, cela crée beaucoup d’opportunités. On peut prendre l’exemple de Sepp Kuss qui a remporté une Vuelta. S’il n’avait pas été un équipier de ses leaders, je ne pense pas qu’il aurait gagné la course. Dans une équipe de très haut niveau, c’est toujours difficile de trouver sa place mais quand on arrive à se créer des opportunités, c’est toujours plus facile.
Le constat que vous faites, c’est qu’il y a des coureurs qui sont trop au dessus des autres pour leur faire face et qu’il vaut mieux être avec eux, n’est-ce pas ?
PS : On ne va pas le cacher, ils sont au top aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’ambition personnelle, que je n’ai pas envie de progresser personnellement, mais oui, c’est un constat. Je pense que beaucoup de coureurs pensent la même chose que moi.
Êtes-vous satisfait de la façon dont vous avez saisi les quelques opportunités que vous avez eues en tant que leader ?
PS : J’étais coéquipier dans les courses que j’ai courues avec Tadej (Catalogne, Tour de France et Lombardie). On pense que j’étais le plus souvent équipier, car ce sont les courses les plus exposées comme la Grande Boucle. J’ai eu des opportunités, sur la Vuelta par exemple. Je suis plus ou moins content de ma saison. Il y a une petite déception, c’est le Dauphiné. Je suis tombé malade, je n’ai pas vraiment fait la course que je voulais. Sur la Vuelta, je n’ai aucun regret. J’ai vraiment beaucoup essayé. Cela n’a pas toujours été payant, mais j’ai essayé.
A un moment donné, je n’aimais plus faire du vélo, c’était stressant d’aller courir
Votre Vuelta s’est terminée par une 9ème place, exactement la même que lors du Giro 2019. Nous vous avons ensuite qualifié de talent à suivre avec un rôle de leadership dans une grande équipe à venir. Comment expliquez-vous vos difficultés à confirmer ?
PS : Je pense que je me suis mis beaucoup de pression, personnellement. Peut-être que je n’étais pas mentalement préparé à être aussi performant à tout moment. J’ai fait un très bon résultat, j’ai fait une très bonne saison 2019. Ensuite, ça a été compliqué pour moi, plus mentalement que physiquement. J’ai toujours eu du mal, j’ai toujours eu des petits pépins physiques. C’est ce qui faisait que je n’étais pas capable de m’exprimer à 100% de mes capacités. J’ai l’impression que les choses reviennent vraiment bien. Je suis plutôt quelqu’un qui mûrira plus tard.
Il est parfois difficile d’évaluer de l’extérieur à quel point le doute s’installe chez un coureur. Comment l’avez-vous perçu ?
PS : Nous avons tous des hauts et des bas. Dans le sport, la confiance est vraiment un facteur essentiel. J’ai aussi beaucoup travaillé l’année dernière sur mon esprit pour penser de manière plus positive. Auparavant, je me concentrais davantage sur le négatif. J’ai insisté davantage sur des choses auxquelles je ne devrais pas penser. À un moment donné, je n’aimais plus le vélo, c’était stressant d’aller courir. J’avais peur d’obtenir un mauvais résultat, peur de ne pas être assez bon. C’est là que commence une spirale négative. Ce n’est pas facile de s’en sortir. J’y suis parvenu de temps en temps, obtenant de bons résultats ici et là, mais ce n’était pas à la hauteur de mes capacités. Cette saison, j’ai montré que j’étais régulier.
Qu’est-ce que ça fait de rouler pour le meilleur pilote du monde ?
PS : Je ne vais pas dire que c’est facile, car c’est quand même difficile d’être à la hauteur. Mais avec un leader comme lui, c’est plus facile d’être un coéquipier. À chaque fois, il gagne lorsque nous faisons le travail. C’est un immense plaisir pour nous de savoir que lorsqu’on prend le départ d’une course, on termine souvent par une victoire, comme on l’a fait sur le Tour de France. Au-delà de ça, c’est toujours un gars normal. On fait notre travail, on s’amuse, on rigole beaucoup. Nous avons une très bonne relation, nous avons un très bon groupe dans l’équipe.
Tadej ? La facilité avec laquelle il gagne…
Vous attendiez-vous à une saison aussi réussie de sa part ?
PS : Franchement ? Non. La facilité avec laquelle il gagne… Il a vraiment franchi un cap cette année, on l’a tous vu. Je ne m’attendais pas vraiment à tout ça. Le Tour de France, j’y croyais vraiment, mais qu’il gagne toutes les autres courses comme ça, de cette façon, c’était vraiment incroyable. Je pense qu’il a impressionné tout le monde.
Le débat PR : les victoires de Pogacar, passionnantes ou ennuyeuses ?
Comme vous l’avez mentionné, il y a des victoires mais il y a aussi de la manière. Ces raids isolés faisaient-ils tous partie de la stratégie prévue ?
PS : C’est souvent un instinct. Aux Mondiaux, on sait que c’est son instinct. Quand il décide d’y aller, il y va et il n’a pas peur. Je pense que c’est aussi ce qui fait de lui un tel champion, il ne calcule pas. Il sait ce qu’il peut faire. Il surprend souvent ses adversaires comme il a pu le faire lors du championnat du monde. Je pense que personne ne s’attendait à son attaque aux 100 kilomètres et il a vraiment fait le show.
Derrière lui, personne n’arrive jamais à revenir quand il attaque et en plus, on a honnêtement l’impression qu’on court pour la deuxième place quand il est là…
PS : Non, je ne pense pas. C’est souvent comme ça quand un coureur part seul et qu’il a les jambes. Dans le deuxième groupe, il y aura toujours un peu moins de collaboration qu’un gars qui roule seul. Au championnat du monde, tous les gars derrière étaient isolés. Ils n’avaient pas vraiment de coéquipiers. Le gars devant a toujours un avantage. Aux Mondiaux, il m’a dit : “Ils vont se regarder, c’est parti.” Il avait raison. Si j’avais ses jambes, je pense que je ferais pareil. Ce n’est pas seulement que les gars derrière tout ça sont nuls. C’est aussi tactiquement, c’est visible.
Pogacar seul au monde : Sivakov est largué à 50 km
On ne peut pas parler de votre relation sans évoquer ce championnat du monde dans lequel vous avez roulé ensemble. Vous a-t-il prévenu avant son attaque ?
PS : Non pas du tout. Nous étions dans des équipes différentes, nous avions des tactiques différentes. Mon rôle était d’anticiper comme je l’ai fait. J’étais super content du groupe que j’avais. Je me suis dit qu’on pouvait aller vraiment très loin. Quand je l’ai vu arriver, j’ai pensé : « Il est encore tôt. Je me suis dit que j’essaierais de le suivre. Il m’a vraiment mis dans le rouge dans la bosse. J’ai déployé un maximum d’efforts juste pour rester attaché à sa roue. Et puis, j’ai un peu collaboré avec lui. C’était ma seule chance de tenter une médaille. Pour moi, c’était la bonne tactique d’essayer de rester avec lui, de collaborer et de faire le minimum. Mais voilà, son tempo… On a vu beaucoup de coureurs cette saison essayer de le suivre et s’épuiser. Ensuite, la course est terminée.
Les Mondes ? Au début, je pensais pouvoir rester dans la roue de Tadej…
À quel moment avez-vous compris qu’il serait difficile de tenir le cap jusqu’au bout ?
PS : Au début, j’y croyais. Lorsque j’ai basculé en haut de la bosse, j’ai dû récupérer mais le circuit ne le permettait pas, même dans la descente. Je n’ai pas pu me remettre de ce premier effort. Il m’aurait fallu une longue descente, une descente de col. Mais au début, j’y ai cru. Je me suis dit : “Je suis avec lui, c’est le meilleur coureur de la course.” Je voulais faire comme (Valentin) Madouas aux JO avec Remco Evenepoel (le Français avait tenu le volant du Belge, futur champion olympique, le plus longtemps possible avant de terminer 2e, ndlr).
De retour aux Emirats Arabes Unis, avez-vous, comme nous l’avons lu, demandé à faire le Tour de France avant de signer votre contrat ?
PS : Oui, c’est vrai. C’était une des conditions. C’est vraiment une course à laquelle je voulais vraiment participer. Je n’ai eu qu’une seule opportunité de le faire chez INEOS. Cela m’a fait extrêmement plaisir d’avoir participé et d’avoir la confiance que j’avais cette année pour le Tour. Comme je l’ai dit, je suis tombé malade sur le Dauphiné donc je n’étais pas à 100% de mes capacités sur le Tour, mais j’étais quand même fort et j’ai vraiment pu faire tout ce qu’il fallait. FAIRE.
Pouvez-vous nous parler de ce que c’est que de faire partie de l’équipe qui domine le Tour de France et boucle la course ?
PS : Quand c’est comme ça, il y a une part de confiance qui circule au sein de l’équipe et tous les coureurs sont vraiment super motivés. On a vraiment une dynamique exceptionnelle. Chaque jour, nous sommes motivés à nous battre et à vraiment blesser les autres. C’est, je pense, aussi notre force, cette motivation. Cette dynamique dans l’équipe est liée à la culture de la victoire.
On imagine que Tadej Pogacar n’est pas le dernier à mettre l’ambiance…
PS : Il y avait une super ambiance au sein de l’équipe. Nous avons ri pendant trois semaines et Tadej était vraiment détendu. Il a de la pression quand il doit performer mais il savait qu’il était en bonne condition et je pense que c’est ce qui le rend fort. Il ne s’inquiète pas trop et on voit le résultat. Même après le Giro, il était à 100% dès le début du Tour.
On l’a vu la semaine dernière assumer le rôle de patron sur les Trois Vallées Varésines et ça, c’est quelque chose de nouveau…
PS : Il ne se met pas en avant mais il s’est comporté en patron car il est champion du monde et les organisateurs l’écoutent. J’ai vu beaucoup de coureurs s’approcher de lui pour lui demander de parler. Ce n’est pas non plus son rôle de décider d’annuler ou non la course. De nombreux coureurs l’ont poussé à parler et il a bien fait. C’était dangereux. Il a vraiment réussi à se comporter comme un patron. Il ne l’a pas fait, mais seulement parce qu’il n’avait jamais été dans une situation pareille.