Au procès pour viol de Mazan, des accusés à la banalité inquiétante

Au procès pour viol de Mazan, des accusés à la banalité inquiétante
Au procès pour viol de Mazan, des accusés à la banalité inquiétante

Lorsque les psychiatres viennent témoigner au tribunal, l’audience n’est pas toujours claire ni passionnante. C’est parfois pointu, technique et finalement très abstrus. Mais ce mercredi 2 octobre, une petite lumière se dessine de l’intervention très accessible du psychiatre qui s’exprime devant le tribunal correctionnel du Vaucluse. En 2021, elle a rencontré les sept prévenus qui sont entendus cette semaine par le tribunal. Et elle parle de Jérôme V., incarcéré depuis maintenant trois ans et demi. “Il m’a dit : ‘Je suis quelqu’un qui ne fait normalement pas de mal’.” confie le psychiatre.

Et c’est toute l’histoire de ce procès où l’on juge 51 personnes qui, dans leur grande majorité, sont des personnes qui ne font de mal à personne, “en temps normal”. Dans leur histoire, les “heure normale”, c’était cette existence ordinaire qu’ils menaient au quotidien avec leur conjoint, leurs enfants, leurs amis, leurs collègues de travail, leurs voisins. Et puis dans le parcours de ces cinquante hommes, il y a eu ce moment où, un jour, leur vie a cessé d’être normale. Dans une chambre inconnue où ils ont commis des actes sexuels sur une femme endormie par son mari.

Ce procès est-il insolite ou au contraire très ordinaire en raison de la récidive effrayante du crime jugé là-bas, le viol ? Est-ce le procès de « masculinité toxique » ? Ces accusés sont-ils représentatifs de tous les hommes ? Autant de questions désormais au cœur d’un public dont l’ampleur médiatique et sociétale n’aurait pas été la même sans la décision de Gisèle Pelicot de refuser de tenir les débats à huis clos. Cette femme de 71 ans souhaite que tout soit dit sur ce que son mari et tous ces hommes lui ont fait subir pendant dix ans. Et même que tout soit montré, puisque vendredi elle a obtenu la projection à l’audience, en présence de la presse et du public, des vidéos des viols présumés, filmées par son mari.

Applause for Gisèle Pelicot

Dans ce procès, les propos sont durs, terribles, les vidéos sinistres, insupportables. Et c’est vertigineux de voir Gisèle Pelicot, chaque jour au tribunal, entendre, stoïquement, les détails les plus sordides sur sa vie privée bafouée. Midi et soir, elle quitte le palais de justice sous les applaudissements d’une trentaine de femmes et d’hommes, venus assister au procès dans une salle de diffusion attenante. Parfois, comme jeudi dernier, elle repart avec un bouquet de fleurs.

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Gisèle Pelicot (C) est escortée de ses avocats Stéphane Babonneau (D) et Antoine Camus (G) à sa sortie du tribunal correctionnel d’Avignon, dans le sud de la France, le 16 septembre 2024. / GUILLAUME HORCAJUELO / EPA/MAXPPP

Chaque jour, elle reçoit également des lettres de soutien du monde entier. « Il y en a même un qui est arrivé du Kurdistan irakien. » confie l’un de ses avocats. Une victime devenue une icône un peu malgré elle, sans avoir rien demandé, quasiment silencieuse dans les médias. Et on ne peut s’empêcher de se demander dans quel état elle se retrouvera une fois ce procès très éprouvant terminé. Une fois le soir terminé, les applaudissements ont cessé et les lettres et les fleurs de France et d’ailleurs ont cessé d’arriver.

Une fois ces 51 hommes jugés. Parmi eux, il y a bien sûr Dominique Pelicot qui, dans une tribune vitrée, suit attentivement les débats, assis avec une apparence parfois débonnaire. Il exprime régulièrement ses regrets et demande pardon à son ex-femme.. A sa manière, Dominique Pelicot s’est aussi imposé comme une sorte de garant de la vérité des débats. De sa vérité en tout cas.

Après l’interrogatoire de chaque accusé, le président lui donne la parole. Et à chaque fois, il fustige le ” mensonges “ ou le “l’oubli” de tous ces étrangers à qui il livra sa femme, rendue inconsciente par ses soins. Alors que beaucoup disent qu’ils pensaient venir pour un “trio” Classique libertin, Dominique Pelicot rétorque que tout le monde était informé que sa femme allait être endormie avec des somnifères.

Des profils très diversifiés

Alors qui sont ces hommes âgés de 26 à 74 ans, jugés à Avignon ? Des messieurs du quotidien au regard de leur métier. Un électricien, deux commerciaux, un journaliste, deux chauffeurs routiers, un menuisier, un plâtrier, un militaire, un ancien chasseur alpin, un pompier, un chef de chantier, un gardien de prison, un ouvrier d’entretien, quelques retraités et plusieurs chômeurs…

Ce qui frappe le plus, c’est l’absence de ligne directrice permettant de les ranger dans une case. Alcool? “J’avais bu le soir des événements”, a expliqué à l’audience un accusé, devenu alcoolique après la mort de son fils. « À l’époque, j’étais ivre du matin au soir » a assuré Simoné M. Au total, une dizaine de prévenus ont déclaré une dépendance à l’alcool au cours de l’enquête. Mais dans la grande majorité, c’est alors qu’ils étaient sobres que ces hommes ont abusé de Gisèle Pelicot, suivant les instructions de son mari qui ne souhaitait pas la livrer à des personnes sous l’emprise de l’alcool.

Certains accusés ont également eu une enfance douloureuse, marquée par un manque émotionnel important et des violences familiales. Treize, dont Dominique Pelicot, ont déclaré avoir subi des abus sexuels dans leur enfance. Mais il est impossible de trouver dans ce domaine une clé qui expliquerait à elle seule les actes. Car dans le dossier, on découvre aussi pléthore d’accusés qui ont grandi dans une famille “affectueux” et “soudé”.

Même constat pour la vie sentimentale de l’accusé. Une poignée d’entre eux (six) ont été reconnus coupables de violences conjugales. Sans avoir été traduits en justice, certains ont été décrits, au cours de l’enquête, comme des hommes pouvant être “impulsif”,” jaloux “ ou “en colère”. Avec un certain détachement, Simoné M. a reconnu à l’audience avoir un jour menacé son épouse avec une hache au cours d’une dispute pour un motif totalement futile. Mais de nombreuses épouses ont également décrit, devant les juges, un mari “respectueux”, ” doux “,« calme et serviable »,“romantique”,« travailleur »,« apprécié de tous ».

Une sexualité « débordante » pour certains

Certains accusés déclarent avoir eu des relations sexuelles “débordé”, multipliant les relations extraconjugales. Au domicile de Jérôme V., les enquêteurs ont retrouvé une liste de 89 femmes. « J’avais besoin de compter mes conquêtes. C’était un défi », il a expliqué. « On dit souvent que les hommes ont deux cerveaux. Un, en haut, pour réfléchir. L’autre en bas… », a observé doctement Thierry Po., frigoriste libertin, sans qu’on sache vraiment s’il parlait de son cas précis ou des hommes en général. Mais selon leurs proches, toutes les personnes impliquées dans les viols de Mazan n’avaient pas d’addiction sexuelle et ne consultaient pas de manière compulsive la pornographie.

En fait, le seul véritable point commun entre tous les accusés est la fréquentation du site de rencontre coco.fr, fermé en juin 2024 par la justice. Certains s’y rendaient occasionnellement, d’autres y passaient leur vie. Certains recherchaient des relations extraconjugales, d’autres du libertinage.

C’est un axe de défense qui revient souvent. En se rendant au domicile du couple Pélicot, de nombreux accusés racontent qu’ils pensaient se retrouver pour un jeu libertin avec « Accord de Madame ». « Sur place, j’ai cru qu’elle faisait semblant de dormir, qu’elle allait se réveiller et participer avec nous… » » a déclaré un accusé, qui a maintenu sa version même après la diffusion d’une vidéo rendant son argument totalement inaudible.

“Ces vidéos vous font s’effondrerla thèse du viol par accident, par inattention ou par imprudence. Ce que nous voyons, ce sont des viols d’opportunité. » avait prévenu, avant la projection, Me Antoine Camus, l’un des deux avocats de Gisèle Pelicot.

L’absence d’intentionnalité au cœur de la défense

De nombreux accusés affirment aujourd’hui avoir agi sans avoir l’intention de commettre un viol. Même s’ils concèdent qu’à aucun moment Gisèle Pelicot ne leur a donné son accord. « Mais son mari était là ! “, ils se défendent en affirmant ne pas avoir imaginé que Dominique Pelicot puisse agir ainsi sans l’accord de son épouse. Le consentement du mari, seule clé pour passer à l’action. Le consentement d’un homme donné à d’autres hommes.

“C’est comme ça que ça se passe dans le libertinage” » ont plaidé certains prévenus, reconnaissant le poids encore écrasant du masculin dans cette pratique prétendument libérée.. « Dans le libertinage, dans 98 % des cas, ce sont les hommes qui donnent les directives, qui disent ce qui va se passer. C’est pourquoi, ce soir-là, j’ai fait confiance à M. Pelicot. a expliqué Thierry Po.

« Dans les rencontres libertines, ce sont les hommes qui parlent car ils sont protecteurs. Les femmes attendent », a ajouté Redouane E., sans préciser si cette nuit-là, à Mazan, en enlaçant le corps inerte d’une femme transformée en sextoy, il a eu le sentiment que ce mari, filmant avec son téléphone, était de type protecteur.

Dans ce procès, il y a aussi des hommes qui confient leurs regrets, leur honte, et expriment aujourd’hui à Gisèle Pelicot une empathie qu’ils n’avaient pas exprimée lors des entretiens avec le psychiatre en 2021. Une empathie parfois encore très égocentrique.. « Je vous demande pardon », murmura Redouane E. en se tournant vers Gisèle Pelicot. « À cause de cette histoire, je n’ose plus regarder ma mère dans les yeux » » a-t-il aussitôt ajouté, semblant se réfugier, comme d’autres, dans une posture encore largement victimisée.

« Je suis un homme de marque. Si après cela, je ne suis pas capable de changer, je ne changerai jamais. » a indiqué Jérôme V., assurant qu’il effectuait un travail important avec son psychologue en détention.

Un effet de masse

Des hommes capables de changer ? « À ma sortie de prison, j’aimerais créer ou rejoindre une association pour dire à tous les hommes qu’il faut respecter le consentement des femmes. » a assuré Thierry Po., sans parvenir à convaincre totalement le public. Car c’est souvent avec prudence que sont accueillis les mots de remords de certains accusés ou les promesses d’être un autre homme dans le futur. Peut-être à cause du groupe, de l’effet de masse. Et la difficulté de parvenir à maintenir un regard unique sur chacun de ces hommes, sans le noyer dans une foule indistincte d’individus présentés comme des pervers irrémédiables, compte tenu de la gravité impensable des actes commis.

Jugez chaque individu pour ce qu’il a fait, pas un groupe. C’est l’enjeu de la justice qui doit aussi rester imperméable à tout ce qui se dit en dehors du tribunal. Malgré tout, il est impossible d’éluder complètement cette question du groupe, du collectif. Car c’est aussi en regardant des vidéos envoyées par Dominique Pelicot montrant des hommes ayant déjà commis le fait que d’autres ont décidé de le faire à leur tour.

Vendredi, M. Camus a demandé que des vidéos soient diffusées pour tous les accusés. « C’est ainsi que l’on mesurera la contribution de chacun, à sa petite échelle – sans que personne ne dénonce les faits – à cette monstruosité qui a duré dix ans pour Gisèle Pelicot. A cette banalité du mal, à cette banalité du viol. »

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Les prévenus risquent vingt ans de prison

L’enquête. En septembre 2020, Dominique Pelicot avait été interpellée alors qu’elle filmait sous les jupes des clients d’un supermarché. Sur son ordinateur, la police a retrouvé 20 000 photos et vidéos. C’est ainsi qu’ils découvriront que, de juillet 2011 à octobre 2020, il a invité des hommes à abuser de sa femme, Gisèle, qu’il avait endormie. Soixante-douze hommes se seraient rendus au domicile du couple mais une cinquantaine seulement ont été formellement identifiés. La grande majorité des hommes s’y sont rendus une fois, mais quatre y sont allés six fois.

Le procès. Cinquante et un hommes, dont Dominique Pelicot, ont été jugés à Avignon du 2 septembre au 20 décembre, devant le tribunal correctionnel du Vaucluse, composé de cinq magistrats. Dix-huit prévenus comparaissent en garde à vue : seize dans le cadre de cette affaire, deux pour d’autres chefs d’accusation. Trente-trois accusés, libérés, comparaissent libres. Tous les accusés risquent vingt ans de prison pénale.

 
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