« Le clou dans le cercueil de la démocratie »

Les Tunisiens s’apprêtent à voter dimanche 6 octobre pour leur prochain président, mais les dés semblent pipés. L’actuel président, Kaïs Saïed, qui a resserré tous les pouvoirs entre ses mains, devrait être réélu sans difficulté : ses deux opposants autorisés sont soit peu connus, soit en prison.

Mais comment en est-on arrivé là ? La date fatidique est le 25 juillet 2021. Ce jour-là, le président Kaïs Saïed, après plusieurs mois de blocage politique, gèle le Parlement, limoge son premier ministre et lève l’immunité parlementaire de tous les députés. En pleine pandémie de Covid-19, il peut alors gouverner par décrets.

Les partis d’opposition dénoncent un coup d’État, mais une partie de la population affiche son soutien.

Les partisans de Kaïs Saïed se sont rassemblés avenue Bourguiba, au cœur de la capitale, klaxonnant ou brandissant le drapeau tunisien.

Photo : Getty Images / Anis Mili / AFP

Élu démocratiquement en 2019, Kaïs Saïed s’est dit à l’écoute des Tunisiens qui lui demandaient de mettre fin au chaos qui régnait au Parlement depuis la révolution de 2011. Il y avait alors un contexte propice à son coup d’Etat.

Les gens ne voulaient plus avoir affaire aux mafieux, aux clans, aux profiteurs qui ont sucé la Tunisie jusqu’aux os pendant des années.explique l’enseignant, journaliste et fondateur du Festival des Nuits de Carthage à Montréal, le Canado-Tunisien Ahmed Saïd Aissioui.

Il s’est octroyé le droit de juger et de condamner des personnalités politiques considérées comme intouchables, comme le leader du parti des Frères musulmans Ennahdha.ajoute-t-il.

La bonne chose, c’est qu’il a dissous l’Assemblée nationale, qui était un cirque, une mascarade, où tout le monde donnait un spectacle. Mais vous savez ce qu’on dit : « le pouvoir corrompt inévitablement ».

Une citation de Canadian-Tunisian Ahmed Saïd Aissioui
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Plusieurs centaines de personnes ont manifesté dimanche à Tunis pour dénoncer le coup d’Etat du président Kaïs Saïed.

Photo: Getty Images / AFP/FETHI BELAID

En effet, ce président, spécialiste du droit constitutionnel, ne s’est pas arrêté là. En février 2022, Kaïs Saïed dissout le Conseil supérieur de la magistrature et révoque une cinquantaine de juges. Quelques mois plus tard, il fait adopter par référendum une nouvelle Constitution, avec un faible taux de participation, qui instaure un système présidentiel fort où les pouvoirs du Parlement sont réduits et où le président n’a de comptes à rendre à aucune autorité.

En 211, j’avais 16 ans et on croyait en une démocratie, on y croyait tous, mais il y a eu une dérive. Les partis islamistes sont arrivés au pouvoir, ils sont restés 10 ans et ils n’ont rien fait au niveau économique, il y avait quelques libertés politiques, mais rien de concret, déplore le Tunisien Houssein Madhkour, qui vit au Québec depuis 10 ans et qui se présente comme un militant politique.

J’aimerais vivre à une époque où il y a la démocratie, mais nous vivons l’anarchie depuis 2011.

Une citation de Le Canadien-Tunisien Houssein Madhkour
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Le canado-tunisien Houssein Madhkour.

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Celui qui a également été animateur et chroniqueur pour des médias maghrébins à Montréal dénonce le manque de transparence dans les finances des partis politiques ces dernières années, qui a laissé la place à la corruption.

Nous devrions faire davantage de réformes, mettre en place des lois pour trouver une solution à ce problème, mais si nous mettons tout le monde dans le même panier, nous retournerons à l’autoritarisme. Nous devons trouver un juste milieu, trouver un équilibre à ce problèmeil croit.

Harcèlement et arrestations

Mais ce juste milieu ne semble pas avoir été trouvé. Les principaux opposants au président Kaïs Saïed, qui auraient pu se présenter comme candidats à l’élection présidentielle, sont aujourd’hui en prison, explique Amnesty International.

C’est une chasse aux sorcières !

Une citation de France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnesty International pour le Canada français

Les arrestations ne concernent pas uniquement les partis d’opposition. Les juges, les journalistes, les défenseurs des droits et les organisations de la société civile sont sous surveillance et il y a des arrestations et des accusations arbitraires. déplore la directrice générale d’Amnesty International pour le Canada français, France-Isabelle Langlois.

L’arrestation de l’avocate et chroniqueuse tunisienne Sonia Dahmani en est un bon exemple, selon l’organisation de défense. La scène a été filmée en direct par une caméra de France 24. Auparavant, l’avocat avait critiqué la politique migratoire des autorités sur un plateau de télévision. Elle a été arrêtée en vertu du décret 54, qui punit toute personne diffusant ou diffusant de fausses nouvelles.

France-Isabelle Langlois ajoute que le président se justifie en évoquant des menaces contre la nation ou l’influence de l’Occident. Il tient également un discours raciste et intolérant envers les migrants subsahariens, (Nouvelle fenêtre) déplore-t-elle, ce qui légitime une violente répression à leur encontre.

De sérieuses inquiétudes

Cela me rappelle beaucoup, relativement parlant, la montée d’Hitler : il s’élève par les voies démocratiques, il est populiste, il fait appel à toutes les peurs.note le professeur Karem Chokmani, qui vit au Canada depuis 30 ans et qui ne mâche pas ses mots envers le président.

Chez lui, c’est toujours le même refrain de nationalisme et de complots du dedans ou du dehors. Il dit qu’il est l’incarnation du peuple et qu’il fait ce que le peuple lui demande de faire. Il a dissous tous les organes institutionnels. Nous ne savons pas jusqu’où il peut allerse lamente-t-il.

C’est le clou dans le cercueil de la démocratie ! C’est un désastre !

Une citation de Le Canada-Tunisien Karem Chokmani
>>Le canado-tunisien Karem Chokmani porte des lunettes et affiche un sourire. Il porte une chemise et une veste.>>

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Le Canado-Tunisien Karem Chokmani.

Photo : Karem Chokmani

Karem Chokmani, qui a publié son avis sous les publications du président sur Facebook, constate que la censure est déjà mise en place.

Ma sœur [en Tunisie] m’appelle et me dit qu’un policier lui a dit de me prévenir d’être prudent : “Nous avons des rapports qui viennent d’en haut et ils demandent une enquête sur lui parce qu’il critique [le pouvoir]». Récemment, ils m’ont également bloqué l’accès à la page du présidentdit Carem Chockman.

Un pas en arrière ?

La majorité des experts s’accordent à dire que la Tunisie a pris le chemin inverse de ce que souhaitaient les Tunisiens. Après le coup d’État constitutionnel, comme on l’appelle, il y a un retour à l’autoritarisme, même s’il n’est pas encore, en termes d’intensité, comme avant la révolution.affirme Francesco Cavatorta, professeur de sciences politiques à l’Université Laval, spécialiste des questions de démocratisation et d’autoritarisme dans le monde arabe.

Malgré tout, le président Kaïs Saïed bénéficie toujours du soutien d’une partie de la population et le professeur Cavatorta estime que la situation économique du pays y est pour quelque chose.

C’est l’économie, stupide ! Vous souvenez-vous de cette phrase d’un conseiller de Bill Clinton disant qu’il fallait se concentrer sur l’économie ? Eh bien, quand on regarde la Tunisie, les résultats économiques après la révolution n’ont pas été bons, et les gouvernements successifs n’ont pas réussi à inverser la tendance. Quand les choses commençaient à s’améliorer, il y a eu la pandémie qui a fermé les frontières alors que le pays vit du tourisme et de l’exportation de minerais. En revanche, il ne faut pas croire que l’actuel président a un plan, il n’en a pas !précise-t-il.

Il ne faut pas non plus croire, selon lui, que l’Union européenne interviendra ou soutiendra l’opposition en Tunisie.

L’Union européenne est confrontée à d’autres problèmes : la guerre en Ukraine, une guerre régionale au Moyen-Orient, l’économie ne va pas bien, la droite monte partout… Alors, tant que la Tunisie bloque les migrants, ce qu’elle fait chez elle ne fonctionne pas. ça n’intéresse pas grand mondepense le professeur.

N’oubliez pas !

>>Le Canado-Tunisien Ahmed Saïd Aissioui porte un pull sur lequel il est écrit : « Sortez ! Tunisie, 14 janvier 2011''.>>

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Le canado-tunisien Ahmed Saïd Aissioui porte un pull sur lequel il est écrit : « Sortez ! Tunisie, 14 janvier 2011.

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Le Canado-Tunisien Ahmed Saïd Aissaoui reste confiant. Il est certain que les Tunisiens ne vont pas se laisser voler leurs acquis. Il porte également un pull sur lequel on peut lire Effacé ! » Tunisie, 14 janvier 2011en mémoire de la révolution du Printemps arabe.

Il n’y a pas de retour possible ! Le peuple tunisien est un peuple incorruptible. Il a déjà payé le prix fort et il vaut mieux tenir bon, car quand il gronde, c’est impitoyable !

Une citation de Canadian-Tunisian Ahmed Saïd Aissaoui

De son côté, Houssein Madhkour invite tous les Tunisiens à voter. Que ce soit pour ou contre, déposez une feuille blanche pour manifester votre mécontentement, mais allez voter !dit-il.

Karem Chokmani continuera de dénoncer la situation : C’est la seule chose que je peux faire, c’est crier au scandale !

>>Une foule brandit des pancartes, dont une indiquant : « Kaïs Saëd, dehors !>>

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Des manifestants brandissent des pancartes lors d’une manifestation contre leur président, Kaïs Saïed, le 14 janvier 2023, à Tunis.

Photo : Getty Images / FETHI BELAID

 
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