Les produits pour enfants Nestlé beaucoup plus sucrés en Afrique que sur les marchés occidentaux

Les produits pour enfants Nestlé beaucoup plus sucrés en Afrique que sur les marchés occidentaux
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Boîtes de riz et de blé avec du lait de marque Nestlé dans un supermarché d’Abidjan, avril 2024. MARINE JEANNIN

« Docteur Luisa » est l’une des influenceuses ghanéennes les plus populaires du pays. Chirurgienne dentiste de profession et mère de deux enfants, elle est l’épouse d’un célèbre chanteur, Stonebwoy. Rentrée de l’école, week-end, fêtes de Noël… Face à près d’un million de followers cumulés sur Instagram et Tiktok, Luisa Satekla n’hésite pas à représenter ses enfants en train de manger un bol de porridge à base de Cerelac.

Cerelac est toujours là pour apporter à mes enfants la nutrition dont ils ont besoin », peut-on lire en description d’une photo de leur snack postée sur les réseaux sociaux. Luisa Satekla est l’un des nombreux visages promotionnels des laits infantiles de la multinationale suisse Nestlé.

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De Dakar à Djibouti, de Lagos au Cap, les laits en poudre infantiles Cerelac et Nido s’affichent partout sur les panneaux publicitaires des capitales africaines et occupent une large place dans les rayons des supermarchés. Grâce à ces deux marques, le géant suisse contrôle 20% du marché du lait maternisé : Cerelac, numéro un mondial, a obtenu à lui seul des chiffres de ventes de près d’un milliard d’euros en 2022.

Derrière ce succès, l’entreprise suisse applique une stratégie selon laquelle les produits commercialisés dans les pays africains contiennent des niveaux élevés de sucre ajouté, tandis que ceux vendus sur les marchés occidentaux contiennent peu ou pas de sucre. UN ” double standard » révèlent l’association suisse Public Eye et l’International Action Network for Baby Food (Ibfan), qui ont examiné en laboratoire 115 produits commercialisés sur les principaux marchés de Nestlé en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Solide popularité

Leurs conclusions ont été publiées le 17 avril dans une enquête intitulée « Comment Nestlé rend les enfants accros au sucre dans les pays à faible revenu « . ” Il paraît que pour Nestlé, tous les bébés ne sont pas égaux, résume Laurent Gaberell, co-auteur du rapport, rejoint par Le monde. »

Au Sénégal, au Nigeria ou en Afrique du Sud, tous les produits [de marque Nido] pour les enfants de 1 à 3 ans contiennent du sucre ajouté », note le rapport. Les auteurs estiment que la même situation prévaut sur une grande partie du continent, y compris la Côte d’Ivoire et le Ghana, où IBFAN n’a pas été en mesure de collecter des données mais où la stratégie commerciale est similaire. L’objectif, selon Nigel Rollins, scientifique à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cité par Public Eye, serait d’habituer très tôt les enfants à un taux de sucre élevé. « D’un point de vue nutritionnel, il n’y a aucune raison d’ajouter du sucre aux aliments pour bébésrappelle Laurent Gaberell. Le seul objectif de Nestlé est de créer une dépendance, de rendre les enfants accros à ses produits et d’augmenter ses ventes. »

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Les laits infantiles Nestlé jouissent d’une solide popularité dans toute l’Afrique de l’Ouest, grâce à une stratégie marketing agressive où les influenceurs s’introduisent désormais dans les cuisines des ménagères comme des amateurs de sport et de corps sculptés. Comme la TikTokeuse guinéenne Maria Officiel, qui lui garantit 2,7 millions de fans “prise de poids en cinq jours” merci à Cerelac et Nido, dont les logos apparaissent en permanence dans ses posts.

Est-il dangereux? », s’inquiète un de ses followers dans les commentaires. ” Non, c’est pour le bébé, donc c’est bon, foncez ! », a ajouté un autre. Fort d’émoticônes biceps, l’influenceur sénégalais « Djilly roi du savon » vante également « la prise de poids bu baax » (« excellente », en wolof) grâce au porridge Nido et Cerelac auprès de ses 125 000 abonnés.

« Des sucres cachés »

« En faisant la promotion des produits Cerelac auprès d’influenceurs et de professionnels de la santé, Nestlé viole le code international de l’OMS » dénonce Laurent Gaberell. Le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel de l’OMS interdit la publicité de ces produits depuis 1981.

Il a été adopté à la suite du scandale des préparations pour nourrissons Nestlé dans les années 1970, connu sous le nom de « Tueur de bébé » (« tueur de bébé »). La multinationale était déjà accusée de promouvoir dans les pays en développement les substituts du lait maternel, nocifs pour la santé des nourrissons, au détriment de l’allaitement maternel.

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La révélation de cette affaire « sucres cachés » a été perçu différemment dans les pays africains couverts par l’enquête de Public Eye. Au Ghana, comme en Côte d’Ivoire qui ne dispose pas d’associations de consommateurs, la société civile n’a pas réagi. Interrogée à la sortie d’une supérette d’Abidjan, la jeune maman d’un garçon de deux ans hausse les épaules. Elle n’en avait pas conscience, admet-elle, mais cette nouvelle ne suffira pas à changer ses habitudes de dépenses.

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Les produits Cerelac ont bon goût, ma mère me les offrait quand j’étais petite et je les donne maintenant à mon filselle dit. Je n’ai jamais remarqué qu’il y avait trop de sucre, c’est le même goût depuis des générations. Et puis Nestlé est une grande entreprise, ce sont des produits qui sont vendus partout dans le monde… Pour moi, on peut leur faire confiance. » Au Sénégal, seuls les milieux avertis et les scientifiques comme le neurologue Amadou Gallo Diop, qui alerte depuis des années sur les effets néfastes des sucres ajoutés, s’inquiètent. “Le danger est d’habituer ces enfants sortis du ventre maternel à ces circuits nocifs pour l’organisme.souligne le Dr Diop. Ces sucres ajoutés créent une dépendance et parcourent les mêmes autoroutes neuronales que les drogues. »

Les nouvelles autorités ministérielles sénégalaises, élues le 24 mars, semblent dépassées par ce scandale sanitaire. Les rares appels des consommateurs à retirer les produits Cerelac et Nido sont balayés. ” On ne fait pas de populisme mais de régulation, », élude le docteur Oumy K. Ndiaye Ndao, directeur de l’Agence de régulation pharmaceutique (ARP). Nestlé nous a informé la semaine dernière dans une lettre qu’elle se conformait à la réglementation. »

La multinationale concède de « légères variations »

L’autorité de contrôle créée en 2022 promet cependant des inspections imminentes. ” L’ARP n’est pas à la hauteur, dit une Source bien informée. En théorie, cette autorité indépendante dispose d’un pouvoir de contrôle et de saisine de la justice. En théorie, il peut inspecter les lots importés au port autonome de Dakar. Mais les douanes voient cela d’un mauvais oeil, car le port est leur territoire. »

Contacté par Le mondeNestlé assure qu’en « Afrique Centrale et de l’Ouest, l’ajout de sucres à notre gamme de céréales infantiles se fait dans le respect des réglementations locales et internationales les plus strictes. “, qui inclut ” le respect des exigences d’étiquetage et des seuils de glucides, qui incluent les sucres « .

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La multinationale concède « légères variations dans les recettes à travers le monde », mais ajoute que leur « les laits et céréales pour nourrissons et jeunes enfants sont enrichis en vitamines et minéraux comme le fer pour lutter contre la malnutrition en Afrique centrale et occidentale « .

Un argument qui indigne Laurent Gaberell. ” Nous ne parlons pas de « légères variations dans les recettes ! “, rappelle l’expert. Les taux de sucre ajouté sont très élevés : 6,8 grammes par portion au Nigeria, alors que le même produit est vendu sans sucre ajouté en Europe, c’est énorme ! » Quant à l’argument de la malnutrition, M. Gaberell le juge « complètement infondé » : l’OMS recommande au contraire de réduire la consommation de sucre à moins de 5 % de l’apport énergétique total.

L’influence des lobbyistes

Malgré les problèmes d’éthique et de santé publique soulevés par Public Eye, les pratiques de Nestlé sont légales, car les lois nationales en Afrique de l’Ouest et centrale sont particulièrement laxistes. Celles-ci s’appuient sur les normes établies par le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel, élaboré en 1981 par l’OMS, et par le Codex Alimentarius, un ensemble de normes non restrictives en matière agroalimentaire et nutritionnelle établies par une commission internationale. sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’OMS.

Cependant, les normes du Codex Alimentarius autorisent l’ajout de sucre dans les aliments pour bébés et n’obligent même pas les fabricants à déclarer la teneur en sucre ajouté de leurs produits, poursuit Laurent Gaberell. La raison pour laquelle les normes du Codex sont si permissives peut se résumer en un mot : lobbying. L’industrie a une influence énorme au Codex, elle est présente à chaque étage et dans chaque pièce où se prennent les décisions. » Lors d’une récente révision de la norme sur les laits de croissance, les lobbyistes de l’industrie représentaient plus de 40 % des participants.

Marine Jeannin (Abidjan, correspondance), Victor Cariou (Accra, correspondance) Et Abbas Assamaan (Dakar, correspondance)

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