Il y a quinze ans, son propre mentor, Philippe de Villiers, lui barrait la route vers une première expérience ministérielle. Voyant en Bruno Retailleau un rival potentiel, le fondateur du Puy du Fou avait appelé le président Nicolas Sarkozy à y opposer son veto : « Si vous le prenez, je le verrai comme une déclaration de guerre. « En 2017, l’affaire Pénélope ayant démonétisé la candidature de son nouveau champion, François Fillon, les chances du Vendéen d’occuper une place au sein de l’exécutif se sont une nouvelle fois évaporées.
Sa dernière opportunité, la plus inattendue, fut la bonne. Après deux semaines d’incroyables tractations, Michel Barnier choisit de faire de Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, l’homme fort d’un gouvernement dont la fragilité politique est évidente. Tour à tour pressenti pour le ministère de la Justice puis celui des Finances, il atterrit finalement à l’Intérieur.
Barnier face à l’axe Attal-Wauquiez
Cette nomination n’a rien de surprenant. Pour occuper l’Hôtel de Beauvau, le Premier ministre souhaitait quelqu’un avec qui il avait noué des relations de confiance. Au départ, Bruno Retailleau n’était pas sûr de vouloir y aller. D’une part, parce que l’expérience risque d’être écourtée, compte tenu de la configuration impossible à l’Assemblée nationale ; d’autre part, la situation d’un chef de file de la majorité sénatoriale est très confortable en termes de conditions de travail. Il n’y avait donc aucune raison de jouer le rapport de force pour obtenir un portefeuille. Cela tombe bien, ce n’est pas dans la nature de l’intéressé.
Au moins sur le plan professionnel ; dans la bataille des idées, il l’est bien davantage. Lui et Michel Barnier, qui se sont apprivoisés pendant la campagne de Fillon, n’ont pas le même ADN politique. L’un est issu du souverainisme et revendique avoir été l’un des rares parlementaires de son camp à voter, en 2008, contre la ratification du traité de Lisbonne. L’autre est un pur produit du néo-gaullisme et de sa branche la plus favorable au projet européen. Le Savoyard incarne l’union de la droite et du centre, honni par Bruno Retailleau, même s’il a fini par rejoindre l’UMP après sa violente brouille avec Philippe de Villiers. Le grand parti chiracien reste, à ses yeux, le point de départ de l’affaiblissement électoral de la droite française.
Cela ne l’a pas empêché, au fil des années, de s’y constituer un solide réseau tout en cultivant sa singularité. Il se voit comme un conservateur au sens britannique du terme, attaché à la liberté d’entreprendre et à la rigueur budgétaire. Né dans le Maine-et-Loire mais enraciné dans son fief de Vendée, où il a toujours pratiqué l’équitation, Bruno Retailleau a été pendant des années aux commandes de la Cinéscénie, spectacle son et lumière qui a fait du Puy du Fou un succès planétaire. Son catholicisme attaché aux traditions, qui irrigue une partie de ses convictions, se mêle à un intérêt pour les nouvelles technologies et la préservation de l’environnement.
Supported by Larcher, Fillon and Pécresse
Parmi ceux qui ont soutenu sa promotion auprès de Michel Barnier, il y a bien sûr Gérard Larcher, le président du Sénat, et l’ancien Premier ministre François Fillon, mais aussi Valérie Pécresse. Durant l’épreuve de sa campagne présidentielle de 2022, la cheffe de la région Île-de-France a apprécié le fait que Bruno Retailleau soit resté à ses côtés jusqu’au bout et a pris à cœur son rôle de technicien chargé de mettre en œuvre le programme. Ses relations avec le chef de file des députés LR, Laurent Wauquiez, longtemps teintées de défiance, se sont beaucoup améliorées. Bruno a toujours été fidèle jusqu’au bout et n’a jamais été du genre à faire des coups bas, résume un ami proche. Il en récolte les fruits. »
Même Nicolas Sarkozy ne trouverait rien à redire à sa nomination. Bruno va à Beauvau, c’est bien “, soufflait récemment l’ancien chef de l’Etat à un ami du sénateur. Quelques jours auparavant, lors d’un des nombreux échanges qu’il a eu avec son prédécesseur depuis l’arrivée de Michel Barnier à Matignon, Emmanuel Macron s’était montré plutôt élogieux à l’égard du Vendéen.” Il ne me fera rien de mal “, a-t-il lancé en substance à Nicolas Sarkozy. Occupant emblématique de ce ministère, l’ancien héraut de la droite en a néanmoins voulu à Bruno Retailleau d’avoir renié son héritage lorsqu’il a tenté d’accéder à la tête des Républicains, fin 2022.” Je comprends que tous ceux qui mettent beaucoup d’énergie pour la réélection de M. Macron ne souhaitent pas me voir devenir président de LR. “, a alors décidé l’ancien villiériste.
Cette dénonciation féroce du macronisme, dont il n’a jamais dérogé depuis 2017, l’intéressé va devoir l’amender. Dans l’équipe gouvernementale qui s’est constituée, de nombreux membres sont estampillés Renaissance, parti dont les députés sont encadrés par Gabriel Attal. Côté centriste, Bruno Retailleau a noué des liens fluides. Leur chef de file au Sénat, Hervé Marseille, travaille efficacement avec son homologue de droite, même s’il peste parfois contre ses rigidités doctrinales. Bruno fait partie de cette catégorie dépassée de politiciens qui lisent des livres et ont des idées, même si on n’est pas d’accord avec elles, décrit l’élu des Hauts-de-Seine. Il est atypique parce qu’il est cultivé et qu’il travaille. Ce n’est pas courant. »
Pour ceux qui se réclament encore du chef de l’Etat, c’est une tout autre affaire. Lors de l’ultime réunion organisée jeudi par Michel Barnier, à laquelle participaient les chefs de la fragile coalition qui était en train de naître, Bruno Retailleau a laissé entendre qu’en cas d’échec du Premier ministre, les conséquences retomberaient en premier lieu sur Emmanuel Macron. Après lui avoir demandé de se répéter, Gabriel Attal s’est lancé dans l’éloge funèbre du président. Une manière de déterrer d’emblée des lignes de front. Et que dire des ex-LR passés sous le drapeau macroniste, comme Catherine Vautrin ou Rachida Dati ? La ministre de la Culture n’a jamais apprécié sa future collègue. Aux yeux de Rachida Dati, Bruno Retailleau est un réactionnaire obtus, et il ne voit en elle qu’une opportuniste.
Le « laxisme » des Macronistes
” Retailleau est quelqu’un qui sait respecter les accords, qualifie-t-on de pilier de Renaissance, mais sa nomination à Beauvau est une erreur de calcul de la part de Barnier. L’élément majeur qui pourrait détruire notre accord, c’est l’immigration. Quand on voit les dégâts causés par le texte des sénateurs LR l’an dernier, y mettre une pièce, c’est la garantie d’un suicide politique.. » Sur ce dossier comme sur la sécurité, les remèdes de l’élu vendéen sont connus pour leur dureté. Au Palais du Luxembourg, où il siège depuis vingt ans, Bruno Retailleau a porté des textes qui ont suscité de vifs débats.
Il y a eu la proposition de loi « anti-émeutiers », promulguée par le gouvernement Philippe en 2019, dont la première version, sabrée par le Conseil constitutionnel, donnait au préfet le pouvoir d’interdire à certaines personnes de manifester. Au printemps 2023, le chef de file de la droite sénatoriale avait défendu une batterie de mesures visant à durcir la politique migratoire. Les émeutes urbaines déclenchées par la mort du jeune Nahel lui ont permis de les inclure dans le projet de loi évoqué plus haut, endossé par Gérald Darmanin.
Les dispositions les plus sévères, censurées par le juge constitutionnel, ont été réintroduites par Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez dans leur « pacte législatif » de juillet. A l’époque, Les Républicains ne s’attendaient pas à devoir gouverner avec ceux dont ils avaient tant dénoncé le « laxisme ». Une fois sur le banc du gouvernement, l’ancien président de la région Pays de la Loire tiendra-t-il le même discours ? Son cahier des charges est très strict, il ne pourra pas faire de réformes majeures, s’inquiète un conseiller politique de LR. De plus, le risque est grand que le RN l’applaudit à l’Assemblée pour contrarier les macronistes. » Avant même de commencer, Bruno Retailleau sait qu’il entre dans un champ de mines.