Rencontre avec Marie Robert, une cuisinière combattante

Au cœur de la gastronomie, Marie Robert s’est tracée sa voie avec audace et détermination. Sa créativité a porté au plus haut niveau sa maison, le Café Suisse, à Bex, où l’on vient autant pour la délicieuse cuisine, le chef attentif et son équipe que pour la touche de magie des lieux. A chaque menu, Marie transforme l’établissement : nouvelle décoration, nouveaux plats et surtout de nouvelles histoires à déguster. Une manière élégante de rebondir pour la cheffe de 35 ans, 16 points au Gault & Millau, mais qui a perdu son étoile Michelin en 2023.

Le Café Suisse fait peau neuve

Café Suisse a développé ces dernières années de nombreux thèmes qui inspirent aussi bien la cuisine que la salle à manger. Aujourd’hui rénové, l’établissement comprend un grand écran pour rendre l’expérience encore plus immersive. Avant, on allait souvent à la gastronomie ainsi qu’à la messe, maintenant c’est la fête. Marie Robert, cette grande personne sensible au caractère bien trempé, nous ouvre ses portes. Rencontre avec un chef cuisinier à qui un jour son maître dit : « Si tu apprends à te taire, tu réussiras dans ce métier. »

FEMINA Vous nous accueillez dans un tout nouvel espace. Quelle est son histoire ?
Marie Robert Après quatorze ans dans la même loi, nous voulons du changement. Refaire les travaux au restaurant a été un vrai coup de boost, un peu comme lorsqu’on change de canapé pour redonner de la vie à son salon. Fini les boiseries sombres, tout est plus lumineux. Nous avons gagné de l’espace en cuisine, ce qui est idéal pour peaufiner nos plats et améliorer notre technique. Avant, on se sentait à l’étroit, comme dans une cage à oiseaux ; nous avons maintenant l’espace nécessaire pour peaufiner les détails avec soin. Moins de trafic du personnel de service me permet aussi de capter les émotions des personnes présentes dans la salle, et c’est vraiment sympa.

© FABIAN HUGO – MAQUILLAGE : DANIELA ISABELLA VALENZI

Marie Robert, comment te sens-tu aujourd’hui ?
Je suis assez fort, avec un fort caractère, mais j’ai aussi mon côté tendre. Perdre l’étoile Michelin a été dur, tant sur le plan émotionnel que professionnel. C’est comme si ton partenaire t’avait largué. Ça fait mal à l’ego, mais j’ai ce truc en moi, je me remets toujours vite sur les rails.

Quelle est cette chose de si spéciale chez toi ?
Je vois les solutions plutôt que le problème. L’important n’est pas de tomber, mais de savoir se relever.

Je ne fais pas tout à la perfection tout le temps, mais j’ai ce trait de caractère qui me permet de toujours rebondir rapidement.

Cette résilience est une force en moi, mais être bien accompagné joue aussi un grand rôle. J’ai tendance à me dévaloriser, je me dis que je ne vaux rien et que je ferais mieux de faire autre chose. Mon entourage sait trouver les mots dans ces moments-là. Et de toute façon, quand je ne vais pas bien, ça ne dure pas !

Avez-vous cette idiotie depuis l’enfance ?
Oui, quand j’étais enfant, j’étais hyperactive, ce qui me posait beaucoup de problèmes de concentration. Mes mauvais résultats scolaires s’accumulaient et je ne comprenais pas pourquoi. Alors, j’ai agi comme un clown en classe pour me montrer et ça n’a pas plu aux professeurs. Mais mes parents étaient formidables, ils ne m’ont jamais rabaissé, ils m’ont toujours encouragé, m’ont élevé plutôt que de me rabaisser. Ils m’ont appris à transformer cette énergie en un atout.

L’arrivée de votre fille Camille, il y a un peu moins de deux ans, a bouleversé votre vie de chef ?
Mes parents m’ont soutenu dès l’annonce de ma grossesse, en me disant que ma fille ne pouvait pas être une Source d’inquiétude. Il s’agit de trouver du temps de qualité avec elle. Être maman, c’est tout un monde. Il faut s’adapter, trouver l’équilibre entre être à 100% avec sa fille et gérer un travail très exigeant. Toutes les femmes qui travaillent le savent. On veut être performant partout et on a l’impression de ne rien faire de bien nulle part ! Perdre l’étoile a été dur, mais avoir Camille m’a donné la motivation pour rebondir. Vous devez montrer à votre enfant que vous pouvez même surmonter les obstacles.

Pourtant, concilier l’organisation familiale et gérer le Café Suisse a dû vous poser des problèmes d’organisation, non ? Ce n’est pas pour rien qu’il y a très peu de femmes chefs !
J’aime ce style de vie, travailler tôt le matin et tard le soir. On commence à 8h, on termine à 15h, puis de 18h à 23h. C’est intense. Au début avec le petit, je pataugeais dans la soupe. Du coup, votre priorité est votre enfant et non plus votre travail ou votre personne. Emotionnellement, on découvre aussi l’amour inconditionnel, c’est une véritable gifle. Mais à chaque étape, vous progressez pour tout équilibrer. Ma recette est que j’ai décidé de travailler en équipe avec ma fille.

Marie Robert est avec Camille, 14 mois, dans le champ à côté de chez elle. © FABIAN HUGO – MAQUILLAGE : DANIELA ISABELLA VALENZI

Ce est-à-dire?
Je communique beaucoup avec Camille. Déjà dans le ventre, je lui disais que je n’aurais pas la patience d’avoir une chienne. Je la vois comme un petit être qui comprend beaucoup de choses, et ça marche. Les enfants apprennent désormais à communiquer en langue des signes à la crèche et c’est une étape géniale. Ils sont moins frustrés et vous n’avez pas de petit qui fait des bruits qui vous exaspèrent en essayant de se faire comprendre. Maintenant, quand elle veut du raisin, elle sait me le faire comprendre avec ses mains. Même pas 2 ans, cette génération d’enfants est incroyable !

Gérer un restaurant gastronomique, c’est une pression folle, non ?
Il y a une bonne et une mauvaise pression. Il y a deux semaines, une dame est venue manger seule, nous avons tous paniqué en pensant que c’était le représentant du Guide Michelin. Mes genoux cognaient, j’avais peur. Ce n’était pas la pression dont nous avions besoin, nous étions tous tendus pour rien. J’ai calmé toute l’équipe en les réunissant pour leur dire que la vraie récompense, c’est la satisfaction client, pas les étoiles. Et la dame n’était même pas Michelin, à mon avis.

Avez-vous récemment été récompensé ?
Oui, j’ai reçu le Mérite culinaire suisse des mains du conseiller fédéral Guy Parmelin à Berne le 11 mars 2024, et cela fait chaud au cœur. Et aussi représenter le pays, être ancré et sentir que nous faisons quelque chose de bien.

Comment gérez-vous votre équipe ?
L’important est d’avoir les bonnes personnes aux bons postes et de s’assurer qu’elles soient heureuses de travailler. Avoir la bonne attitude avec votre équipe ainsi qu’avec vos clients est crucial. En tant que femme, il fait parfois chaud, il faut gérer sa sensibilité tout en restant forte, montrer un visage amical alors que ça bouillonne à l’intérieur. Les clients viennent chez vous pour passer un bon moment, pas pour connaître vos humeurs.

Les maîtres mots sont joie, amusement et folie dans cette maison. Mon père disait toujours : « Créez votre bonheur. » Et c’est vrai.

Quelle est l’importance du point de vue des autres ?
Celui des proches est essentiel. Il y a le premier cercle avec le papa de ma fille, mes parents et mes amis sincères. Les amis, à 16 ans, on en a 25, mais en vieillissant, on les compte sur les doigts d’une main. Heureusement, ceux qui restent sont fidèles. Lorsque vous êtes sous les projecteurs, il est inévitable que certaines personnes expriment des opinions désobligeantes à votre sujet. Quand on a moins de 30 ans, ce genre de commentaires peut être particulièrement blessant. Cependant, au fil du temps, j’ai appris à les laisser de côté et à me concentrer uniquement sur ce qui peut contribuer à mon épanouissement.

Gastronomie : Rencontre avec Marie Robert, une chef combattante
© FABIAN HUGO – MAQUILLAGE : DANIELA ISABELLA VALENZI

En tant que femme chef, avez-vous rencontré des difficultés ?
Rarement, que ce soit aujourd’hui à la tête de mon établissement ou encore plus jeune lors de ma formation. En entrant en fonction à chaque service, je mets mon masque d’intouchable. Je me fais respecter, et je fixe les limites dès le départ. Des dérapages, hors de question.

Votre direction artistique vous distingue-t-elle des autres ?
C’est mon truc, oui ! Je pense beaucoup au design de mes assiettes, car on mange d’abord avec les yeux. Actuellement, nous jouons à « Mary in Wonderland » avec ma dernière carte au restaurant. Tout commence par une gourde qui vous emmène dans mon monde… Cela nécessite d’être toujours en alerte créative. C’est du travail, mais cela en vaut la peine pour créer des expériences uniques pour mes clients, dont je veux faciliter la vie.

D’où vient votre créativité ?
Franchement, je ne sais pas. Je ne marche pas, je ne lis pas, je ne fais pas de sport. Je puise des petits bouts d’inspiration partout : une information, un sentiment, une histoire que quelqu’un me raconte. C’est dans les moments de pression que tout ressort. En gros, quand je n’ai plus de temps et que je dois décider de la déco ! C’est comme une étincelle de créativité qui s’enflamme. Et les clients en redemandent, il faut les surprendre à chaque fois.

A quoi vous sert la notoriété ?
Si mon succès peut inspirer les gens, c’est formidable. Je suis convaincu que ceux qui ont un peu de notoriété doivent l’utiliser pour une bonne raison. Donner une partie de soi ne signifie pas se montrer vulnérable mais humble. A mon niveau, je veux montrer qu’il ne faut jamais baisser les bras, surtout pour ceux qui ont abandonné l’école comme moi.

Je ne suis peut-être pas le meilleur cuisinier (même si je m’en sors !) mais je suis un battant et je sais me remettre en question. C’est la clé.

Avez-vous un modèle ?
Non mais mon partenaire Arnaud Gorse est comme un frère, il est mon pilier, nous sommes super proches, il s’occupe de la salle, du vin et bien d’autres choses au Café Suisse. Nous étions un couple il y a une douzaine d’années, mais il y a un délai de prescription. Sa femme est une amie et nous partons tous en vacances ensemble. Nous avons pu créer une amitié après notre relation et, en plus, dans un travail très intense, je trouve ça très beau. On se soutient dans ce clan.

Vous êtes résolument anticonformiste. Votre vision de la vie vous dérange-t-elle parfois ?
Peut-être, mais l’essentiel est d’être soi-même. Certaines personnes l’aimeront, d’autres non, mais je ne changerai pas. Ce qui compte, c’est mon intégrité.

 
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