Pourquoi les uniformes scolaires ne sont pas un sujet de débat aux Antilles

Abandonné en 1968 en France métropolitaine, l’uniforme reste répandu dans la plupart des écoles de Guadeloupe et de Martinique. Fruit d’une acceptation générale, il est ancré dans la société antillaise.

Haut vert et jupe bleue, comme tous les matins, Maëlisse, 10 ans, est habillée de la même façon que sa sœur. « Pas tout à fait ! Parce que je porte une jupe et elle un jean », nuance la collégienne. À l’école primaire de Rivière-Salée, en Martinique, les élèves portent ce qu’on appelle la « tenue unique » avec pour seul mot d’ordre un code couleur : vert et bleu. « J’aime mon uniforme, je m’y suis habituée ! Même si parfois j’aurais aimé m’habiller comme je veux », confie Maëlisse.

La « tenue commune » sera également expérimentée dès la rentrée 2024, qui se tient ce lundi 2 septembre, dans une centaine d’établissements en France. Alors que l’Etat envisage une éventuelle généralisation en 2026, en Guadeloupe et en Martinique, des centaines de milliers d’élèves ont l’habitude d’aller à l’école habillés pour la plupart d’un uniforme scolaire.

Hérité de l’époque coloniale, « l’uniforme s’est généralisé il y a une vingtaine d’années en Martinique suite à de nombreuses agressions dans les écoles », selon Michel Tondellier, sociologue, maître de conférences à l’Université des Antilles et auteur deL’uniforme scolaire en Martinique, questionnement sur l’évidence.

L’objectif de ce système était avant tout de « répondre à un problème de sécurité en permettant d’identifier les élèves utilisant un uniforme ». Avant cette réglementation, il était beaucoup plus facile pour des individus extérieurs de s’infiltrer dans l’enceinte de l’école. « Le plus fascinant, c’est qu’il n’a jamais été imposé par le rectorat, puisqu’il appartient à chaque établissement et aux parents d’élèves de le rendre obligatoire ou non », rappelle le sociologue.

Si le port de l’uniforme était une question de sécurité à son introduction, il est désormais monnaie courante pour les étudiants.

« Je ne le remarque même plus, je l’ai toujours porté. C’est une tradition ici, mais pour moi c’est aussi synonyme d’unité », confie Nathanaël, 14 ans, élève dans un collège de Basse-Terre (Guadeloupe).

Une opinion qui pourrait surprendre en France, mais qui traduit aussi la nécessité de « gommer les inégalités sur une île où plus de 34 % de la population vit sous le seuil de pauvreté », rappelle un parent d’élève. En Martinique et en Guadeloupe, il faut compter entre 70 et 300 euros par an pour un uniforme complet, selon les fournisseurs locaux.

« Cela représente une belle économie et un gain de temps considérable le matin ! » partage la maman d’Aliyah, 9 ans, élève de CM1 à l’école Ambroise Palix (Martinique).

Si les économies sont importantes pour les parents, l’uniforme peut parfois révéler des inégalités qu’il était censé effacer. « Dans les familles les plus pauvres, l’uniforme se transmet souvent de génération en génération, le petit frère héritant du polo du grand frère et ainsi de suite », observe Michel Tondellier. De fait, le vêtement le plus pâle ou le plus délavé devient alors l’apanage des familles les plus pauvres.

Dans le cadre de l’expérimentation de l’uniforme en France, l’ancien ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, a annoncé que la « tenue commune » serait entièrement gratuite pour les familles. Les frais seront partagés entre l’Etat et les collectivités locales.

Une initiative pour le moins « étonnante », quand on sait que la Martinique et la Guadeloupe, deux des départements les plus pauvres de France, ne disposent pas de cette aide, soutient la proviseure Marie-Clotilde Hardy-Dessources. « J’espère que nos élus se mobiliseront pour que cette aide financière soit généralisée sur l’ensemble du territoire », fustige-t-elle.

Derrière ces enjeux, il y a aussi une dimension plus « réglementaire ».

« Grâce à l’uniforme, les écoles pensent pouvoir redorer leur image en effaçant ce qu’elles considèrent comme une image de mauvais garçon ou ‘fille facile’”, analyse Michel Tondellier.

Les équipes pédagogiques vont ensuite tenter de corriger ces stéréotypes qu’elles projettent sur les élèves en bannissant ce qu’elles considèrent comme faisant partie de ces clichés, comme « les jupes trop courtes » et « le port du pantalon en dessous des fesses ». Avec un double objectif du point de vue des établissements : « Empêcher l’érotisation des jeunes filles tout en éloignant les garçons d’une culture de la rue », décrypte la sociologue.

Mais ce n’est pas tout. Pour certains directeurs, l’uniforme est aussi une manière de préparer les élèves à la vie active. « On leur apprend qu’à l’école, comme au travail, une tenue correcte est de mise. Cela reflète des valeurs importantes comme le respect et l’appartenance à un groupe », suggère Marie-Clotilde Hardy-Dessources, proviseure du lycée AMEP Martinique.

Dans certains règlements intérieurs d’écoles, on retrouve également la mention « cheveux propres, correctement coiffés et sans excentricité ». Des points qui correspondent, pour Michel Tondellier, à l’idée – discutable – que l’école se fait du « bon élève ». « Tous ces règlements sont finalement la cristallisation de normes sociales promues par l’équipe éducative ».

« Faire passer la pilule »

Pour inciter les élèves à adhérer à l’uniforme, certains établissements ont pris le pari d’associer les principales parties prenantes. En 2010, la direction du lycée Acajou II en Martinique a lancé un concours scolaire pour permettre aux élèves de choisir les couleurs et le logo de leur établissement.

« Parmi plusieurs polos conçus par des lycéens, nous avons dû élire à la majorité l’uniforme qui nous convenait le mieux », explique Mathéo, un ancien élève. Polo blanc, rayures rouges et « Acajou II » soigneusement écrit au dos, il était l’œuvre d’un élève de première année de Lettres qui l’avait finalement remporté à l’époque.

« L’idée était de fédérer les élèves autour d’un uniforme scolaire et de les rendre acteurs de leur uniforme à travers un projet ludique », se souvient un enseignant du lycée Acajou II.

« Une stratégie qui s’est avérée payante » selon Mathéo, et qui a permis « de faire passer la pilule plus facilement ». « Je me souviens qu’il y avait une sorte d’effervescence autour de cet événement, car pour la première fois, notre avis était pris en compte ».

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Students at the Acajou II high school in Martinique (illustrative photo). © Lycée Acajou II

Manque de données scientifiques

A ce jour, aucune étude scientifique n’atteste des effets des uniformes scolaires en France. « Tout simplement parce que jusqu’à présent ce n’était pas un sujet pour la France », explique Michel Tondellier.

Dans la littérature anglophone, beaucoup plus riche sur le sujet, certains chercheurs comme David Brunsman se sont penchés sur la question. Dans un article publié par The Journal of Educational Research en 1998, le sociologue suggère même que l’uniforme peut avoir des effets négatifs, creusant encore davantage les inégalités sociales.

En effet, la plupart des écoles publiques américaines où l’uniforme est obligatoire regroupent majoritairement des élèves issus de milieux défavorisés et sont donc facilement identifiables par leur uniforme scolaire.au contraireles établissements plus riches l’exigent moins souvent.

Selon le chercheur américain, ce phénomène se fonde sur la croyance selon laquelle les uniformes auraient des effets positifs sur l’environnement scolaire et les résultats des élèves. Ce consensus apparent sur les uniformes, que l’on retrouve également aux Antilles, « repose avant tout sur l’opinion des habitants », estime Michel Tondellier, sans qu’aucune étude scientifique ne vienne le soutenir.

 
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