De Normand Marineau à DuneGrâce aux Jeux olympiques, la mémosphère a connu ses classiques en 2024. Pourtant, au plus profond d’elle-même, elle vivait une forme de « crise d’identité »… qui s’est avérée positive, analyse Jean-Michel Berthiaume, docteur en sémiologie. Retour sur les mèmes de l’année.
Qu’est-ce qu’un mème ?
Contenu à caractère culturel (concept, image, texte, vidéo, personnage, etc.) qui se propage de manière virale sur le web et dans les réseaux sociaux et qui fait l’objet de nombreuses déclinaisons généralement humoristiques.
En février, la page News in memes, suivie par près de 55 000 abonnés sur Facebook, publiait un statut qui donnait le ton pour l’année 2024 : J’ai oublié comment créer des mèmes
dit son créateur.
Cette affirmation ne surprend pas Jean-Michel Berthiaume, spécialiste de la culture populaire : le blocage de l’information sur les plateformes Meta (Instagram, Facebook) et sa mise à distance marquée des contenus politiques font qu’il un lieu de moins en moins accueillant et bienveillant pour les personnes désireuses d’expérimenter
comme les artistes mèmes.
L’expert souligne le travail de Fruiter, une page de mèmes historique au Québec, qui s’est pour sa part tournée vers le réseau social LinkedIn, où on n’aurait jamais cru voir des mèmes. En investissant dans ce temple publicité individuelle
Avec les blagues corporatives, Fruiter a fait preuve d’une grande débrouillardise, note Jean-Michel Berthiaume.
La page mème Fruiter a repris avec brio la plateforme LinkedIn cette année, selon Jean-Michel Berthiaume.
Photo: Fruiter
Dans ce mouvement, il est normal que certains remettent en question leurs pratiques
ajoute-t-il.
Normand Marineau, le mème de l’année
La mémosphère a néanmoins rapidement trouvé un point d’ancrage dans cette angoisse identitaire avec le mème de Normand Marineau, que Jean-Michel Berthiaume qualifie de matériel viral en conserve
.
Le mème provient d’une vidéo publiée sur TikTok par les Archives de -, dans laquelle une équipe de jeunes joueurs de hockey appelle à tour de rôle un journaliste. Un des jeunes joueurs se démarque : Normand Marineau. Il raconte sa saison extraordinaire, en chevauchant son r
…un peu trop près du micro.
Le jeune hockeyeur Normand Marineau, en 1962.
Photo : - / Archives de -
Il n’en fallait pas plus pour charmer la toile. Sur les réseaux sociaux, les internautes ont repris l’extrait pour faire une synchronisation labiale (synchronisation labiale) sur les noms des joueurs. La tendance a même été reprise par Québec solidaire.
Cette viralité a aussi transcendé le web : à la radio, Annie Desrochers, l’animatrice de l’émission 15-18 sur ICI Première, a diffusé l’extrait à l’antenne, attirant l’attention de Normand Marineau lui-même. Il a été invité quelques minutes à son micro, où il a bien fait fais attention à ne pas trop rouler ton “r”
.
Normand Marineau, qui a fait carrière en psychologie et non en tant que joueur de hockey professionnel, a finalement fait une apparition sur le petit écran lors du Gala des Prix Gémeaux en septembre.
Tout le monde reconnaît ce petit garçon immédiatement attachant.
Normand Marineau tellement vite et durement rattrapé que, très peu de temps après, nous en sommes revenus et sommes passés à autre chose
explique Jean-Michel Berthiaume. Une transition qui s’est faite dans le respect et la bienveillance.
Devenir un mème du jour au lendemain n’est pas toujours amusant. Normand Marineau est l’exception qui confirme la règle.
Par exemple, la fermeture du Cabaret La Tulipe à Montréal – une institution culturelle centenaire de la métropole – à la suite d’une plainte d’un voisin a fait grand bruit en septembre, créant un meme buzz
dégradant envers le plaignant.
Les 1001 expressions de Bernard Drainville
La scène mème québécoise n’a pas abandonné ses classiques. Bernard Drainville est la personnalité la plus méfiante depuis plusieurs années, au coude à coude avec François Legault
estime le spécialiste de la culture populaire.
Il a un visage tellement expressif que c’est un super “mème”. On peut retrouver toutes les captures d’écran possibles pour toutes les réactions.
Une page de mèmes s’est par exemple amusée à reprendre l’image de Bernard Drainville qui semble plisser les yeux en regardant, sans protection, le soleil. Il s’agit d’un clin d’œil aux écoles et garderies qui ont été fermées le 8 avril, jour de l’éclipse totale de Soleil, pour prévenir les blessures aux yeux, une décision qui a choqué de nombreux parents et familles. Les internautes.
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On pourrait voir le ministre de l’Éducation plisser les yeux face aux nouvelles relatives au manque de personnel dans les écoles à la rentrée par exemple.
Le retour de Dune
La deuxième partie du film Dune, du réalisateur québécois Denis Villeneuve, a également vu son lot de mèmes, à commencer par le personnage de Stilgar, interprété par Javier Bardem.
Celui-ci lance haut et fort Oral al-Gaib
pour chaque geste – même le plus petit – que fait Paul Atréides, interprété par Timothée Chalamet. Dans l’univers de DuneLisan al-Gaib est le nom donné au prophète par le peuple des Fremen.
C’est une drôle de façon de déclarer non pas un faux prophète, mais un prophète brisé.
mentionne Jean-Michel Berthiaume. En ligne, des gens ont utilisé l’image pour illustrer des prouesses du quotidien, par exemple ce collègue capable de convertir un fichier Word en PDF.
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Les Jeux Olympiques
Qui dit année olympique dit mèmes olympiques. Et les compétitions sportives parisiennes ont été particulièrement inspirantes pour les internautes.
Le tireur turc, aux cheveux poivre et sel, est arrivé à son poste de tir avec un équipement minimal, c’est-à-dire son arme, ses lunettes et ses bouchons d’oreilles. La main dans la poche, il vise la cible, tire et remporte la médaille d’argent.
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Ce modèle montrant un montage du tireur turc et d’autres tireurs a fait le tour du Web.
Photo :X
Son image a été maintes fois comparée à celle d’autres sportifs, bien plus équipés.
Il y a ce contraste entre l’athlète de la République de Corée et tout son équipement technologique sophistiqué, et celui de Turquie, un gentleman qui semble dans une totale indifférence.
Mais il s’agit de Rachael Gunn (alias Raygun ou b-girl Raygun), compétitrice australienne dans la nouvelle discipline olympique de rupturequi remporte cette année le prix des athlètes les plus méfiants.
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Rachel Gunn
Photo : Getty Images / Ezra Shaw
Ses mouvements fous, rappelant tantôt celui d’un kangourou, tantôt la colère d’un enfant au sol, sont devenus instantanément viraux.
D’un côté, nous avons le vainqueur de la discipline, un militant canadien qui a tout fait pour réussir à participer aux Jeux Olympiques, et de l’autre, le doctorant australien qui s’est inscrit […] et s’est humiliée avec une telle franchise.
Des mois après l’événement, de nouveaux mèmes la mettant en scène continuent de proliférer.
Tous les regards sont tournés vers Rafah
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L’image partagée par plus de 40 millions de personnes « Tous les regards sont tournés vers Rafah ».
Photo : Instagram
L’image sur laquelle on voit un camp de réfugiés avec des abris parfaitement alignés pour former les mots Tous les regards sont tournés vers Rafah
(tous les regards sont rivés sur Rafah) a été republié des dizaines de millions de fois sur Instagram, ce qui en fait l’un des premiers mèmes viraux générés par l’intelligence artificielle (IA).
Ce n’est pas nécessairement quelque chose qui représente le réalisme, mais cela représente le sentiment de réalisme : l’émotion liée à l’image. Tous les regards sur Rafah étaient réels.
Selon le spécialiste, la viralité de l’image peut s’expliquer par la volonté des gens de sensibiliser entre autres, de souligner qu’ils ont un reconnaissance du désastre, de la catastrophe, de la perte et du deuil
liée à la tragédie survenue à Rafah, où 45 personnes ont perdu la vie dans les bombardements israéliens.
Le rôle de la langue française dans la quête identitaire
La mémoire locale s’est peut-être souciée de son identité au début de l’année, mais elle a réussi à s’affirmer et à trouver un équilibre. Et c’est dans cette balance qu’on a vu les meilleurs mèmes de 2024
analyse Jean-Michel Berthiaume.
Cette quête d’identité s’est manifestée à travers la langue française et la culture québécoise, à travers, entre autres, des défis entre artistes mèmes. Les pages Mèmes et mots, Memes nonos inoffensives, Actualités en mèmes ainsi que McGilles jouées qui fera le meilleur mème avec une publicité pour l’anglais au Québec
mentionne le spécialiste.
Ils ont gardé le slogan Une autre bonne raison d’apprendre l’anglais
publicité et images jointes de personnalités clés. Parmi eux, on compte l’humoriste Gad Elmaleh, pour qui apprendre l’anglais serait utile afin de voler des blagues à Jerry Seinfeld
et Lord Durham, dont le rapport décrit les habitants du Bas-Canada comme un peuple sans histoire ni culture
.
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L’humoriste français Gad Elmaleh a été au cœur de controverses sur le plagiat de la part d’humoristes américains, entre autres. Il a été la cible d’un artiste mème en 2024.
Photo de : Nonos memes
Autre manifestation identitaire : un modérateur sur le forum Reddit EhBuddyHoserune page canadienne populaire de mèmes provocateurs sans contexte, appelée cacpostage ou cacapoteaux (publication de merde) en jargon, a annoncé que tous les mèmes ne seraient désormais publiés qu’en anglais, afin qu’ils puissent être compris par tout le monde.
S’en est suivi une vague de protestation pancanadienne plutôt inhabituelle, où l’on a vu des anglophones prendre la défense des francophones du pays, y compris l’Acadie.
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Sur Reddit, les internautes ont commencé à publier des mèmes éducatifs sur Chiac.
Photo : Reddit
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Sur Reddit, nombreux sont ceux qui ont pris la défense de la langue française en utilisant les mèmes du « Seigneur des Anneaux ».
Photo : Reddit
Outre la langue française, les internautes ont défendu les langues autochtones, qui constituent également une partie importante du pays. Parmi les réponses de la communauté figurait un alphabet anishinabe rudimentaire.
C’est le plus grand mouvement de soutien polyculturel que j’ai vu de ma vie. Je n’ai jamais vu autant de solidarité.
Il s’agit d’un moment utopique canadien par excellence
avec une note d’unicité qui termine en beauté cette année d’angoisse identitaire pour les pages meme, estime le spécialiste de la culture populaire.