l’arbre français ne doit pas cacher la forêt européenne

l’arbre français ne doit pas cacher la forêt européenne
l’arbre français ne doit pas cacher la forêt européenne

Les élections européennes de 2024 ont vu les partis de droite radicale obtenir des scores très élevés dans plusieurs pays de l’UE : c’est le cas en France, mais aussi en Allemagne et en Italie, ou encore en Autriche, en Belgique et dans les pays européens ainsi qu’en Espagne.

Ces résultats ne doivent cependant pas masquer les tendances de fond à l’œuvre dans les 27 pays de l’Union et au Parlement européen : les deux partis fondateurs de la construction européenne, le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE) ( qui, sous la forme de l’Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, a rejoint le Parti démocrate italien depuis 2009) consolident le nombre total de leurs sièges. Le PPE rassemble les démocrates chrétiens, de Konrad Adenauer à Angela Merkel et de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, tandis que le PSE rassemble depuis ses débuts les sociaux-démocrates d’Helmut Schmidt, Willy Brandt, François Mitterrand et Jacques Delors. Ce sont les groupes politiques des pères fondateurs de l’Europe.

Si les victoires en voix et en sièges du Rassemblement national et des Fratelli d’Italia attirent légitimement l’attention en France et en Italie, elles ne marquent pas, loin de là, une révolution politique à Bruxelles et à Strasbourg. Autrement dit, les arbres français, allemand et italien ne doivent pas cacher la forêt européenne : si les changements politiques sont réels, ils n’éclipsent pas les tendances structurelles à la continuité, de sorte que les effets institutionnels et politiques des élections restent encore incertains.

Chocs électoraux pour les États membres fondateurs

Faute de surprises, les élections européennes ont déclenché des chocs politiques dans plusieurs États fondateurs de l’Union, au premier rang desquels la France, l’Allemagne et la Belgique. Dans ces trois pays, les électeurs ont largement privilégié les partis ouvertement nationalistes et eurosceptiques : le Rassemblement National (31% des suffrages, 31 sièges sur 81 au total, 1euh devant Renaissance), l’Alternative für Deutschland (15% des voix, 15 sièges sur 91, 2e derrière la CDU-CSU) et les deux partis flamands (arrivés aux deux premières positions avec chacun 14% des voix et 3 sièges sur 22 au total).

Dans ces trois Länder, les dirigeants politiques nationaux sont fortement contestés : le président Macron dissout l’Assemblée, le chancelier Scholz fait face à de fortes pressions de l’opposition CDU-CSU qui exige qu’il convoque également des élections législatives anticipées et le Premier ministre De Croo démissionne. Il ne s’agit pas là de surprises mais d’un « effet de rétroaction » très puissant des élections européennes sur les gouvernements nationaux. Autrement dit, le « moteur » franco-allemand, réel ou imaginaire, est considérablement affaibli à la suite de ces élections.

Cette tendance est accentuée par la confirmation des succès des partis eurosceptiques en Italie et en Autriche. En effet, les deux partis de droite radicale italiens ont amplifié leur succès électoral par rapport aux élections générales de 2022 : Fratelli d’Italia du président du Conseil Meloni a amélioré son score (de 26% en 2022 à plus de 28% en 2024) et son nombre de sièges au sein du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) au Parlement européen. De son côté, la Ligue, dirigée par Matteo Salvini, est passée de 8,7% à 9% des voix et a obtenu 8 sièges au PE, où elle siège au sein d’un groupe concurrent emmené par le RN, Identité et Démocratie (ID).

Quant au FPÖ, en Autriche, il a terminé 1euh en nombre de voix (25,7%) et en nombre de sièges (6), légèrement devant les partis traditionnels. Là encore, il ne s’agit ni d’un tsunami ni d’une surprise, mais d’une évolution notable du centre de gravité politique des institutions européennes.

Le retrait général des partis écologistes et libéraux au Parlement européen et la montée des contingents nationalistes des groupes CRE et ID font que le Parlement européen évoluera vers la droite (classique ou radicale), malgré la bonne résistance du PSE.

Les partis classiques renforcés au niveau européen

Il ne faut surtout pas négliger, à la lecture des résultats, les éléments de continuité. Tout d’abord, le spectre de l’abstention n’a pas été écarté pour les élections européennes. Ainsi, des records ont été battus dans plusieurs États membres, comme l’Italie (51%), la Pologne (60%) et l’Espagne (50%). Plus qu’une libération politique, les élections européennes suscitent toujours l’indifférence d’une grande partie des Européens. Les passions politiques, notamment françaises, ne doivent pas masquer la lenteur des campagnes électorales sur le continent.

Quant à l’articulation entre le niveau politique européen et le niveau national, elle n’a pas substantiellement changé : les élections européennes restent le résultat de 27 élections locales où l’électeur prend parti (ou s’abstient) selon l’offre, le rythme et les enjeux politiques locaux.

Surtout, la plus grande continuité s’observe dans le nombre de sièges des deux grands partis qui ont créé, développé, renforcé et géré la construction européenne. Le PPE et le PSE ont tous deux maintenu leurs quotas respectifs de sièges sur les 720 soumis au vote : le PPE a obtenu plus de 180 sièges, comme lors du mandat précédent ; le PSE a remporté 135 sièges contre 148 lors de la dernière législature.

Au nouveau Parlement européen (2024-2029), le PPE, le PSE et les centristes de Renew Europe restent les trois premiers partis en termes de nombre de sièges.
Verian, pour le Parlement européenCC BY-NC-ND

Quant aux partis d’extrême droite, ils restent divisés entre CRE et ID au niveau du Parlement européen. Si les groupes CRE et ID ne se recomposent pas, au PE 2024 ces groupes disposeront respectivement de 73 sièges (contre 69 au PE précédent) et 59 sièges (contre 51 au PE précédent).

Cette division n’est pas cosmétique : elle recouvre des luttes très âpres qui ont conduit à des exclusions et des scissions lors du mandat 20219-2024. La désunion des partis de droite radicale rend difficile la formation d’alliances fortes au sein du Parlement européen. Il existe plus d’une différence fondamentale entre Fratelli d’Italia, AfD, FPÖ, PiS, Rassemblement National, Vox ou Vlaams Belang. L’incapacité à fédérer au-delà de quelques sujets emblématiques de politique publique restera, pour ces partis, une constante du PE 2024-2029.

Annoncer une révolution politique à Bruxelles et à Strasbourg est donc exagéré ou prématuré. Comme toute démocratie complexe et vaste sur le plan territorial, l’UE connaît une restructuration électorale et des développements politiques. 2024 ne marque qu’une rupture partisane majeure dans certains Etats membres. La France est susceptible de voir le RN accéder aux responsabilités gouvernementales, mais l’Union n’est pas submergée par une vague brune.

Vers une deuxième Commission von der Leyen

Les premières conséquences de ces élections seront, mécaniquement, les nominations à la tête des principales institutions de l’Union européenne et l’évolution des alliances politiques au sein des groupes parlementaires du Parlement européen.

La nomination des principaux dirigeants de l’UE est un processus complexe influencé par les résultats des élections européennes. La candidature de l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à la présidence de la Commission pourrait perdre de sa force en raison des résultats français. Le président Macron avait en effet lancé une campagne en sa faveur.

En revanche, il semble que les perspectives s’améliorent pour Ursula von der Leyen, présidente sortante de la Commission, qui gagne en crédibilité pour un second mandat grâce à la victoire du PPE. Sa gestion des crises récentes, comme la pandémie de Covid-19, la mise en œuvre du Green Deal européen ou encore sa posture lors de la guerre en Ukraine, pourraient renforcer sa position. De plus, son rapprochement, bien que très critiqué, avec Giorgia Meloni augmente ses chances d’être reconduite à la tête de la Commission.

Corrélativement, l’influence française risque de diminuer dans le processus décisionnel européen, tant au Conseil qu’au Parlement. L’affaiblissement de la position d’Emmanuel Macron pourrait réduire la capacité de Paris à orienter les décisions au niveau du Conseil : comment faire avancer des propositions audacieuses sur la guerre en Ukraine si le président français n’est pas écouté dans son propre pays ? Et comment rattraper le retard inévitable dans la mise en place par les pouvoirs publics français d’un programme de travail ? Au Parlement, la situation n’est guère plus encourageante, puisque les postes clés de président et de vice-président de commissions importantes sont souvent déterminés par un mélange de mérite et d’ancienneté. Le profil des députés européens français pourrait clairement les désavantager pour de futures nominations.

La fin du Green Deal et le soutien à l’Ukraine ?

Contrairement à ce que pourrait laisser penser un rapide tour d’horizon, l’affaiblissement politique d’Emmanuel Macron et d’Olaf Scholz ne signifie pas nécessairement un affaiblissement de l’UE dans son ensemble. Toutefois, cela pourrait aboutir à un recentrage des deux dirigeants sur les affaires intérieures respectivement de la France et de l’Allemagne. Cela pourrait réduire leur capacité à exercer une influence décisive sur les politiques européennes à court terme, ouvrant la voie à d’autres États membres pour jouer un rôle plus central dans le processus décisionnel de l’UE.

Quoi qu’il en soit, les nouvelles majorités au Parlement européen risquent d’être moins stables que par le passé, lorsque le PPE et le PSE gouvernaient en copropriété. Cette instabilité pourrait rendre difficile la mise en œuvre de politiques cohérentes et potentiellement retarder l’adoption de nouvelles législations importantes. Certains devraient être surveillés plus particulièrement.

Ainsi, la politique de défense de l’UE et le soutien militaire à l’Ukraine seront probablement remis en question après les résultats des élections. Même si ces politiques dépendent en partie des institutions européennes, la composition du Parlement influencera les débats et les priorités. De nouvelles alliances politiques pourraient conduire à une réévaluation du soutien militaire et des engagements de défense de l’UE.

Par ailleurs, le Green Deal pour l’Europe, pierre angulaire de la première présidence d’Ursula von der Leyen, pourrait être remis en cause par les nouveaux équilibres politiques. Paradoxalement, von der Leyen pourrait rester à son poste mais avec pour mandat de réviser, voire de démanteler, certaines des politiques environnementales qu’elle avait initialement promues. Une résistance politique croissante et des priorités changeantes pourraient affaiblir les objectifs ambitieux de lutte contre le changement climatique.

Enfin, le récent Pacte sur la migration et l’asile, adopté après de difficiles négociations en mai 2024, risque également d’être remis en question. Les partis politiques opposés à des politiques d’immigration plus libérales pourraient chercher à les détruire ou à les modifier substantiellement, ce qui rendrait leur application moins efficace. Cela pourrait conduire à des divergences accrues entre les États membres sur la gestion des flux migratoires et les politiques d’asile.

 
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