Entretien avec Awich, la star japonaise du hip-hop

Entretien avec Awich, la star japonaise du hip-hop
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Awich – « Queendom » (2022)

Awich, le rappeur d’Okinawa au succès retentissant

Depuis Tokyo (Japon), trois heures de vol suffisent pour rejoindre l’île d’Okinawa. En 1945, cet archipel multicolore situé dans la mer de Chine a connu quatre-vingt-deux jours de combats durant la Seconde Guerre mondiale. Le conflit le plus sanglant du Pacifique. Neuf bâtiments sur dix seront entièrement détruits… Paradoxalement, c’est avec un grand sourire queAkiko Urasaki raconte son enfance et l’histoire de son île natale. A 37 ans, elle est aujourd’hui l’une des rappeuses les plus populaires au Japon et compte trois albums studio à son actif : Cloison (2020), Reine (2022) et L’Union (2023). Quant au pseudonyme sous lequel elle opère, Awich, c’est la traduction littérale des caractères japonais de son prénom : « Enfant asiatique qui souhaite ». De passage à Paris, l’artiste proche de chez lui Louis Vuitton accepté de répondre aux questions de Nombre. Ce fan absolu du rappeur 2Pac évoque son île natale, les sons de son dernier album et les terribles épreuves qu’elle a endurées jusqu’à présent : il y a quelques années, son mari d’origine américaine a été abattu en pleine rue suite à une fusillade, peu après sa sortie de prison… Rencontre.

Numéro : Okinawa est associée à un terrible champ de bataille. Êtes-vous capable de parler de votre île natale tout en gardant le sourire ?

Awich : Évidemment ! Depuis que le Japon a perdu la guerre, il a cédé Okinawa à l’Amérique. [de 1945 à 1972, les États-Unis ont administré Okinawa]. Ainsi, jusqu’en 1972, nous étions Américains. Au moins, mes parents l’étaient. J’ai grandi sur une île occupée à 25 % par des bases militaires. Mais je n’ai pas vraiment vu d’armes et de chars, j’ai vu des soldats américains et leurs familles. Femmes et enfants. Nous avons tous la même vision de la guerre, vous savez. Quelque chose de monstrueux. Cependant, j’ai grandi avec des hommes en treillis qui allaient au bowling ou au théâtre, mangeaient des glaces et des pizzas. J’avais seulement quatorze ans et déjà attiré par la culture américaine. J’ai appris l’anglais très tôt grâce à un professeur de coréen marié à un soldat américain. C’est aussi Okinawa, un mélange de cultures.

Vos compositions combinent du hip-hop expérimental et des mélodies traditionnelles d’Okinawa. Quelles sont les caractéristiques musicales de l’archipel ?

C’est un mélange d’influences entre les sonorités japonaises, chinoises et la musique d’Asie du Sud-Est. On y retrouve des chants vibratoires et nos principaux instruments dont le sanshin [un luth à trois cordes]le taiko [un tambour] et le shinobue [une petite flûte traversière en bambou]. Pour L’Union, mon dernier album, nous avons notamment samplé une chanson folklorique traditionnelle d’Okinawa. Plusieurs producteurs ont collaboré avec moi pour ce disque. J’aime l’idée de travailler en équipe car je me sens souvent impuissante. Je pourrais y jouer en improvisation complète dans le seul objectif de faire des millions de streams mais ce n’est clairement pas ma façon de faire [Rires.]

Awich, 唾奇, OZworld, CHICO CARLITO – « RASEN à OKINAWA » (2023)

Laissez-moi me poser une question un peu étrange : comment définiriez-vous votre métier ?

Je suis rappeur. Une femme qui raconte des histoires en musique. Qui raconte surtout sa propre vie d’ailleurs. En tout cas, je ne me considère pas comme une diva qui vous épatera avec des mélodies vocales extraordinaires. Je suis plutôt un soldat, un combattant. Un conteur.

Qui raconte une vie… très violente.

Voulez-vous parler de la disparition de mon mari ?

Oui… Comment avez-vous surmonté ce traumatisme ?

Cela m’a pris beaucoup de temps. Peut-être deux années complètes. A vrai dire, je ne pouvais plus rien faire. J’étais tout le temps épuisé, je dormais tout le temps. Et dès que j’ai quitté mon lit, j’étais comme… vide. Comme s’il m’était impossible de ressentir quoi que ce soit. Cependant, je n’ai jamais arrêté d’écrire. Parfois il s’agissait de paroles de chansons, parfois de poèmes. Et je n’arrêtais pas de me poser des questions. Que vais-je faire maintenant que mon mari a disparu ? Suis-je capable d’être une bonne mère et d’élever seule mon enfant ? Comment puis-je m’aimer et donner de l’amour aux autres ? Je crois avoir essayé de trouver des réponses à ces questions à travers mes propres écrits… La naissance de ma fille m’a apporté de la lumière, de l’énergie et beaucoup d’espoir. Finalement, je me sentais vivant. Avant cela, je n’étais qu’une coquille vide.

Si vous pouviez vivre une semaine entière dans l’univers d’un film, quel film choisiriez-vous ?

Puis-je choisir un roman à la place ?

Vous pouvez plutôt choisir un roman.

Je me souviens d’une histoire dans laquelle une fille veut étudier mais les femmes n’ont pas accès à l’éducation. Alors elle se fait passer pour un homme à étudier et finit par devenir diplomate pour le royaume.

Awich – « Bad B*itch » (Nene, Lana, Mari, Ai et Yuriyan Retriever) (2023)

Avez-vous l’impression de devoir vous déguiser en homme de l’industrie musicale ?

Oui, très certainement. Toute ma vie, j’ai voulu être un garçon… Je voulais sortir des sentiers battus. Si j’avais été un homme rappant en japonais, mon public serait aujourd’hui bien plus large. En tout cas, cela inclurait beaucoup plus d’hommes… Je ne me plains pas, avec le temps, le public de mes concerts devient de plus en plus mixte.

Avez-vous déjà été blessé par certaines remarques ?

Oui, même au sein de ma propre équipe. Un jour, une femme m’a dit : «porter un short sexy en plein milieu d’un spectacle quand on avait la trentaine était un peu inapproprié». Selon elle, personne ne pourrait s’identifier à moi si je portais ça. Je ne l’ai pas écoutée et elle a depuis quitté l’équipe. Je suis une mère qui veut être sexy quand elle le veut. Je suis une femme libre et intelligente qui va en boîte de nuit quand elle le souhaite. Maintenant, je suis très proche de la maison Louis Vuitton… Juste comme ça ! J’ai grandi en écoutant du rap “sale” [dont les paroles sont explicitement sexuelles]. Toutefois, la vulgarité n’est pas un mal absolu. Je ne me permettrais pas de dire des choses comme ça moi-même… mais ça fait du bien de les écouter parfois. [Rires.] Chaque artiste a un rôle. Chaque chanson aussi.

Quelles chansons recommanderiez-vous à quelqu’un qui souhaite découvrir votre musique ?

Le titre Reine (Reine, 2022). En ce moment, je travaille sur une version traduite en coréen. J’y vais souvent et j’ai beaucoup de respect pour les artistes coréens qui viennent au Japon et interprètent une version complète de leur chanson en japonais. C’est un travail tellement complexe. J’ai moi-même toute une équipe de traduction à mes côtés. Il faut vraiment éditer les textes pour s’assurer qu’ils conservent leur sens et que ce ne soit pas du coréen incompréhensible. J’aimerais vraiment que le public coréen sache que les Japonais ont beaucoup de respect pour leur scène artistique. Rasen à Okinawa (L’Union, 2023) est un morceau pour lequel j’ai demandé à trois autres rappeurs d’Okinawa de me rejoindre. Okinawa a longtemps été un paria au Japon. Nous avons clairement été victimes de discrimination. C’est de cela dont nous parlons dans cette chanson. J’encouragerais aussi les gens à découvrir la chanson Mauvaise chienne Bigaku (L’Union, 2023) d’autres rappeuses (Néné, Lana, Mari, Avoir & Yuriyan Retriever). Rarement dans l’histoire de la musique japonaise aura-t-on vu six filles spécialement là pour la déchirer. Certains sont vulgaires, certains sont philosophiques, certains sont simplement jeunes et frais. Et on adore ça !

L’Union d’Awich, disponible.

 
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