Le calme de cette journée d’hiver dans le Donbass, région de l’est de l’Ukraine, est soudain troublé par le bruit sourd d’un canon César de la brigade « Anne de Kiev », en partie entraînée en France et actuellement en proie à des scandales.
Les hommes de cette unité luttent en effet contre deux ennemis : les Russes mais aussi les maux dont elle souffre et qui trouvent leurs origines à l’époque de l’URSS.
Nommée en l’honneur d’une princesse de Kiev devenue reine de France au Moyen Âge et inaugurée en grande pompe par le président Emmanuel Macron, la brigade était censée être la vitrine du partenariat militaire entre l’Ukraine et la France.
Mais il fait l’objet de polémiques depuis son récent retour de France, où 2 300 de ses 4 500 soldats ont été formés.
Un journaliste ukrainien, Youri Boutoussov, a multiplié les alertes, affirmant notamment que 1 700 ont déserté, la plupart avant même le déploiement de leur unité au front, dont 50 lors de leur entraînement en France.
Il a également évoqué d’importantes pertes humaines et un « Chaos organisationnel » dès les premiers jours de son engagement dans la région de Pokrovsk, ville clé du front de l’Est.
La brigade disposait de très peu de drones, pourtant indispensables, et une partie de son artillerie fut transférée vers d’autres unités, tout comme certains de ses soldats vers « boucher les trous » en termes de personnel, a déclaré le journaliste.
Un phénomène « marginal » ?
Ces révélations ont fait l’effet d’une bombe au moment où l’armée ukrainienne se trouve dans une situation très difficile et recule depuis des mois à l’Est devant les forces russes, plus nombreuses et mieux armées.
Ils ont également soulevé des questions sur l’utilité de tels projets, le président ukrainien Volodymyr Zelensky ayant appelé ses alliés occidentaux à former et équiper 14 brigades.
L’Ukraine a annoncé mercredi l’arrestation d’un commandant d’unité de brigade pour “gauche” son service et avoir “a encouragé ses hommes à le faire.”
Elle a également organisé lundi une visite de presse à la brigade pour tenter d’éteindre l’incendie, alors que Paris a reconnu “quelques dizaines” des désertions à l’entraînement, juger le phénomène “marginal”.
Devant la presse, dont l’AFP, Taras Maksimov, le nouveau commandant de brigade, est apparu tendu. « Tout ce qui est dit dans les médias est faux »a assuré le colonel, dont le prédécesseur a été démis de ses fonctions en décembre.
Mais quelques heures plus tard, son supérieur, le commandant des forces terrestres ukrainiennes, Mykhaïlo Drapaty, très respecté dans l’armée, avait un ton différent.
“Je confirme bien sûr qu’il y a eu des problèmes avec le commandement et le processus de formation”a avoué le général à plusieurs médias, dont l’AFP, mais “Peut-être pas à l’échelle […] présenté ».
« Nous prenons certaines mesures, notamment en termes de formation et de coordination, pour que cette unité militaire soit véritablement prête à remplir ses missions »il a ajouté. De tels problèmes sont « systémique pour les autres brigades »reconnut à nouveau l’officier. “Ce n’est pas un secret.”
L’héritage soviétique
Les difficultés causées par la communication verticale – notamment entre les unités de terrain, l’état-major et l’équipe du président Volodymyr Zelensky, commandant suprême des forces armées – persistent depuis le début, il y a trois ans, de l’invasion russe de l’Ukraine.
Des responsables civils se sont plaints de rapports incomplets et tardifs de l’état-major, remettant en question le travail des généraux formés lorsque l’Ukraine faisait partie de l’Union soviétique. Parfois, la présidence vérifiait même directement les informations fournies par le commandement auprès des unités.
Fin novembre, un très célèbre commandant d’unité, Pavlo Palissa, diplômé d’une école militaire américaine, a été nommé chef adjoint du cabinet de M. Zelensky, justement pour obtenir des informations de première main sur le front.
Ennemies sur le champ de bataille, les armées ukrainienne et russe partagent la même problématique héritée de leur passé soviétique, analyse Franz-Stefan Gady, chercheur indépendant rattaché à l’Institut international d’études stratégiques (IISS).
Selon lui, c’est un ordre « hautement centralisé où le pouvoir de décision repose fermement et presque entièrement entre les mains de commandants de haut rang, souvent éloignés du champ de bataille. » Pour la Russie, les conséquences de cette situation sont en partie effacées par une réserve gargantuesque d’hommes envoyés à la mort.
Il est temps de changer
L’Ukraine a déployé des efforts pour lutter contre ce fléau afin de se hisser au niveau de l’Otan depuis l’annexion en 2014 de sa péninsule de Crimée par la Russie suivie du déclenchement d’un conflit armé avec les séparatistes menés par Moscou.
Même si une nouvelle génération d’officiers a pu être formée, l’ensemble du système n’a pas été fondamentalement modifié et des scandales de corruption et d’abus de pouvoir de la part d’officiers de haut rang éclatent régulièrement.
Cette mentalité soviétique émane principalement du haut commandement et « nuit à l’efficacité opérationnelle »parce que la rigidité et la microgestion étouffent “l’initiative” et entraîner des pertes plus importantes, note Franz-Stefan Gady.
Les soldats évoquent également le problème des commandants intouchables qui rejettent toute la faute sur leurs subordonnés. « Plus votre rang est élevé, moins les lois s’appliquent à vous »a récemment décrit le sergent et influenceur Valery Markous dans une vidéo.
Il n’est pas rare que des soldats aient “peur” de leurs commandants, admet Mykhaïlo Drapaty. Ce « L’esprit post-soviétique doit être éradiqué »dit-il.
Sur le front de l’Est, le chef d’une division d’artillerie composée de canons César, Serguiï Strakhov confirme à l’AFP que des problèmes de communication persistent entre soldats au sol et officiers supérieurs.
Mais il estime que le changement a commencé et que les commandants appliquant la méthode soviétique « sont moins nombreux qu’avant. »
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