Plus de 60 pages sur l’American Bar, le Grand Bar Lombard et l’Hôtel des Voyageurs : rarement un chapitre aura été aussi long dans les Cahiers de L’Iroise. Pourquoi avoir ressorti ces archives familiales ?
Georges Lombard, descendant of the Hôtel des Voyageurs family: « C’est à cause de l’exposition aux Capucins, à l’été 2023, sur le peintre Jim Sevellec. Avec mes deux sœurs, nous avons ressorti des photos des peintures murales qui décoraient la chambre de l’hôtel reconstruit après la guerre. Ils furent détruits lors de la rénovation complète en 1970. L’élan modernisateur de l’époque l’emporta sur l’esprit conservateur. Y a-t-il une survivance des œuvres de Sévellec dans l’établissement actuel (à l’angle de l’avenue Clemenceau et de la rue Yves-Collet) ? La nature même des travaux, le perçage des murs, laisse penser que non, mais lors de la réouverture, une partie des murs était recouverte de lambris. Alors qui sait ? Nous avions contacté le service du patrimoine et de la culture de la ville et cela a été répété aux Cahiers de l’Iroise… Nous avons accepté de contribuer mais pas seulement sur une partie de l’histoire de notre famille. Au fil des trois générations : du début vers 1888 (la reprise du Bar Américain puis du Grand Bar en 1895 et de l’Hôtel des Voyageurs en 1910) jusqu’en 1990, la retraite de mon père et le transfert du fonds aux acheteurs, soit plus plus d’un siècle.
Est-ce que parler d’institution à propos de cet établissement était galvaudé ?
« La presse l’a rapidement félicité. L’expression me rappelle le souvenir d’André Rivier, journaliste de Télégramme récemment décédé : il parlait d’une institution brestoise. C’était une grande maison familiale, très stable. Des Brestois ayant les moyens et souhaitant marquer un événement y sont venus. Même les repas funéraires n’étaient pas tristes ! Il y avait aussi cette relation avec la clientèle… Le nom Les Voyageurs, courant depuis le XIXe siècle, y a aussi contribué.
Vous dressez l’histoire de ce commerce par ordre chronologique…
« Il s’est imposé. Les deux guerres mondiales ont eu un double impact. Mes arrière-grands-parents étaient des pionniers. Jean-Baptiste meurt en 1898 et Adèle (dont les parents avaient dirigé La Baratte, à Paris, dont parle Zola dans Le Ventre de Paris) en 1904. Les deux aînés, Auguste et Élisa, reprennent l’affaire et ont l’audace de la perturber. la tranquillité du marché de Brest. L’hôtel était alors au 16 rue de Siam. Nous y avons trouvé tout le confort moderne de l’époque. Il y avait d’autres fleurons mais pas dans cette rue : le Moderne et le Continental qui se trouvait déjà à son adresse actuelle. Ils regardaient ces jeunes du coin de l’œil… Auguste est mort pour la France. Deux jeunes frères entrent dans l’entreprise en 1919. En 1928, après une restructuration, il ne reste plus que Georges, mon grand-père (il y a trois Georges dans la famille, avec mon oncle, ancien sénateur et maire). Il y a apporté l’art déco. Il y avait dans la rue de Siam une effervescence que l’on n’a plus retrouvée après la Seconde Guerre mondiale. Le Café des Voyageurs a eu presque autant de succès que le restaurant… ».
Parmi les spécialités, il y avait les filets de sole, la soupe de poisson de Brest, le homard, le homard. Bref, la grosse cavalerie de l’époque !
Et Brest a été bombardée…
« L’établissement fut pulvérisé à l’été 1944. Mon grand-père avait une cinquantaine d’années. Il trouve des locaux à Saint-Martin, pour un café-restaurant éphémère de 1946 à 1951. Les urbanistes envisagent d’animer le quartier de la gare avec un hôtel, un café, un restaurant. La rue pour aller à la gare n’était pas très praticable mais il s’y est installé, à côté de Charles Muzy, de Vauban (le grand-père de Charles Muzy, l’actuel propriétaire de cet établissement qui a succédé à l’hôtel Cheval Blanc, situé rue Algésiras, NDLR ). À la mort de mon grand-père, au tout début des années 1960, mon père a pris la relève. Lui aussi s’appelait Auguste. Depuis la vente en 1990, pas mal de nouveaux propriétaires se sont succédé. Aujourd’hui, dans le même bâtiment, se trouvent trois commerces : le restaurant Le Clemenceau ; à l’étage, on trouve l’Étage, également restaurant, et côté Yves-Collet, l’hôtel Mercure Brest Centre Les Voyageurs. Ils ont gardé le nom. Certains de ceux qui l’ont connu avant 1990 continuent de dire, lorsqu’ils vont au restaurant, qu’ils vont aux Voyageurs… C’est aussi pourquoi c’était le bon moment pour écrire cet article dans les Cahiers de l’Iroise.
On raconte que le général De Gaulle lorgnait sur les digestifs mais sa femme lui a donné un coup de coude !
Quels ont été les faits marquants de l’après-guerre ?
« En 1959, sous le nom du restaurant L’Ancre d’Or, fut créée la première étoile Michelin à Brest et longtemps la seule ! Le restaurant suit la mode des années 1950 sur la rôtissoire, autour d’une grande cheminée et d’un mur vertical incandescent. Le service à table se faisait sur des guéridons poussés, avec la coupe de volaille. Parmi les spécialités, il y avait les filets de sole, la soupe de poisson de Brest, le homard, le homard. Bref, la grosse cavalerie de l’époque ! Interviewé par Le Télégramme en 1996, sur le fait qu’il n’y avait pas d’autre star à Brest, mon père s’est montré assez cinglant. Il a dit que le succès était dû en grande partie à un travail acharné. Ensuite la cohésion de tous les intervenants, le service, la cuisine, avec une grande stabilité. Puis des produits de qualité supérieure. Le tout en respectant toutes les saveurs, dans des assiettes généreusement portionnées. Ils ont dit que Lombard était copieux ! Il y avait une générosité. Autre moment fort : le restaurant a cuisiné des plats pour le général De Gaulle en février 1969, la veille de son célèbre discours de Quimper. Il n’y a eu ni indigestion ni empoisonnement ! On dit qu’il lorgnait sur les digestifs mais sa femme lui a donné un coup de coude ! « .
Pourquoi la quatrième génération n’a-t-elle pas suivi ?
« Mon père n’a pas choisi de succéder au sien. C’est une contrainte qui lui a pesé toute sa vie. Il nous a toujours découragé de le faire. Nous aurions peut-être accepté s’il avait insisté mais il ne voulait pas avoir la même attitude. On s’est rendu compte aussi de la catastrophe pour la vie de famille, avec une absence totale du père. Je suis convaincu qu’en moins de six mois, nous aurions fait naufrage ! Mais j’y travaillais comme saisonnier et je voyais mon père au travail. Je suis vraiment content de ça. Cela compensait l’aspect familial.
Pratique
Georges Lombard animera une conférence ce jeudi 19 décembre 2024 à 18h, salle Yves-Moraud, faculté Segalen à Brest : « Trois générations d’hôteliers et restaurateurs à Brest : l’American Bar, le Grand Bar Lombard et l’Hôtel des Voyageurs ». ENTRÉE LIBRE.
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