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“Nous ne voulons pas d’un destin comme celui du JDD”

La nomination à la direction d’un ami proche du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Édouard Stérin et la décision de s’associer à Vincent Bolloré pour le rachat d’une école de journalisme n’ont pas abouti. Plusieurs actions syndicales sont prévues.

Les salariés de Bayard envisagent diverses actions pour exiger le départ d’Alban de Rostu, nommé numéro 2 du groupe, et le retrait de l’entreprise du capital d’ESJ Paris. Stéphane de Sakutin/AFP

Par Richard Sénéjoux

Publié le 27 novembre 2024 à 17h55

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«Ôje ne veux pas de destin JDD, et nous nous battrons. » L’inquiétude et la colère ne sont pas retombées parmi les salariés du groupe de presse catholique Bayard (La Croix, Le pèlerin, Notre tempset des titres pour enfants comme Okapi ou Astrapi). Ils ont appris en début de semaine la nomination d’Alban du Rostu au poste de numéro deux du groupe, ancien bras droit du milliardaire catholique conservateur Pierre-Édouard Stérin, que beaucoup comparent à Vincent Bolloré. Une décision prise sans aucune concertation par le nouveau patron de Bayard, François Morinière, aux commandes depuis le 1er novembre seulement.

Son choix a déclenché une forte mobilisation au sein de l’entreprise, d’habitude plutôt judicieuse. « Une assemblée générale s’est tenue hier : il y avait quatre-vingts personnes dans la salle, bondée, et près de quatre cents personnes en ligne, du jamais vu, dit un journaliste, quinze ans dans la maison. Personne ne souhaite voir changer notre ligne éditoriale, qui a toujours été axée sur l’ouverture d’esprit. » Propriété de la congrégation des Assomptionnistes, catholiques modérés, le groupe Bayard a toujours défendu des valeurs de tolérance et d’humanisme, loin des tendances les plus réactionnaires.

Le profil d’Alban du Rostu (ici sur CNews, le 16 décembre 2023) inquiète les salariés en raison de ses liens avec Pierre-Édouard Stérin, anti-avortement et adepte de la théorie du « grand remplacement ». Capture d’écran de CNews

Le pedigree d’Alban du Rostu est préoccupant. Jusqu’à l’été 2024, il dirige le Common Good Fund, une organisation philanthropique financée par Pierre-Édouard Stérin, adepte de la théorie raciste du « grand remplacement » et qui ne cache pas ses positions anti-avortement. Même s’il dément toute participation, Alban du Rostu aurait également joué un rôle dans la mise en place du projet « Périclès » soutenu par le même Stérin – une plateforme dotée de 150 millions d’euros sur dix ans, qui vise à former une nouvelle élite politique basée sur sur l’union de la droite et de l’extrême droite. Le sigle donne le ton : « Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes. » Par ailleurs, Pierre-Édouard Stérin ne cache plus son ambition d’investir dans les médias : il est en négociations depuis longtemps pour racheter l’hebdomadaire. Marianne, mais a finalement dû abandonner suite à la révolte de la rédaction.

Sur l’ESJ Paris, François Morinière a déclaré que notre participation était très limitée et qu’au moindre problème, nous reprendrions nos billes. Bref, il nous prend un peu pour des imbéciles.

Un journaliste de Bayard

Un autre événement, concomitant à la nomination d’Alban du Rostu, soulève de nombreuses interrogations au sein de Bayard: l’entrée du groupe dans le nouveau tour de table pour racheter l’ESJ Paris, une école de journalisme (non reconnue par la profession) en proie à des difficultés financières, aux côtés de plusieurs patrons de médias milliardaires, comme Rodolphe Saadé (BFM, RMC, Dimanche à la Tribune, Provence…), la famille Dassault (Le Figaro), Bernard Arnault (Les échos, Le Parisien, Paris-Match) or the inevitable Vincent Bolloré (Canal+, C8, CNews, Europe 1, JDD…). Beaucoup voient l’ombre de l’industriel breton ultraconservateur dans le rachat de cet établissement qui se présente comme la plus ancienne école de journalisme de . Mais ce qui ne passe pas chez les salariés de Bayard, c’est le profil de celui qui le pilotera, Vianney d’Alançon, un homme d’affaires proche de la droite radicale spécialisé dans la création de parcs. des attractions à « vocation historique », façon Puy du Fou – il en a déjà créé deux, en Auvergne et en Provence.

Vianney d’Alançon, un entrepreneur proche de la droite radicale, est le nouveau président d’ESJ Paris. Il crée le Rocher Mistral, sorte de Puy du Fou provençal, dans les Bouches-du-Rhône (photo). Photo Jérémy Suyker/Figarophoto

Du côté de la direction du groupe Bayard, qui préfère « prioriser la communication avec les employés pour le moment », il semble qu’on veuille jouer à l’apaisement. « François Morinière a rencontré toutes les entités ce mercredi pour demander de ne pas juger Alban du Rostu et de le juger sur piècesconfie ce même journaliste. Sur l’ESJ Paris, il a déclaré que notre participation était très limitée et qu’au moindre problème, nous reprendrions nos billes. Bref, il nous prend un peu pour des imbéciles. Nous avons reçu des messages de peur de la part de certains vétérans, comme l’ancien directeur éditorial de Pèlerin, René Pujol. Notre seul atout est le lien de confiance qui nous unit à nos lecteurs et à nos auteurs. Ces deux événements sont bien susceptibles de la modifier. »

Débrayage ce jeudi, grève en décembre ?

Certains voient dans ces décisions une lutte entre anciens et modernes au sein des Assomptionnistes, la nouvelle génération affichant davantage d’aspirations identitaires. François Morinière est lui-même président du fonds de dotation de la Nuit du Bien Commun depuis 2023, un événement caritatif imaginé par Pierre-Édouard Stérin. Les difficultés financières actuelles du groupe pourraient également le fragiliser, même si ses statuts ne permettent pas actuellement sa cession totale ou partielle.

Pour exiger le départ d’Alban de Rostu et le retrait du capital d’ESJ Paris, les salariés envisagent diverses actions. Une première pourrait avoir lieu ce soir au Salon du livre de Montreuil, où Bayard Jeunesse et Milan Presse sont très présents. Une grève d’une heure est également prévue demain à 14 heures au siège du groupe à Montrouge. « D’autres formes de mobilisation vous seront ensuite proposées pour le jeudi 5 décembre. » écrit l’intersyndicale (CFDT, CFTC, CFE-CGC-CSN, CGT, SNJ) dans un mail interne, que télérama a pu consulter. Autrement dit, la grève.

 
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