FIGAROVOX/MAINTENANCE – Dans ses Portrait moderne de la gauche françaisequi apparaît ce 24 janvier, le politologue Adrien Broche déchiffre les nouveaux débats internes à gauche en matière d’économie, d’identité, de laïcité, des années 2010 à nos jours.
Adrien Broche est un sondeur, chef des études politiques au Viavoice Institute et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès. Il publie Portrait moderne de la gauche française (Éditions de l’Aube, 2025).
Le Figaro. – Votre analyse de la gauche s’étend des années 2010 à nos jours. Le Terra Nova rapporte-t-il, un an avant l’élection présidentielle de 2012, marque-t-il l’abandon de la gauche du social en faveur de la société? Cette observation sous-tend la délimitation chronologique de votre réflexion?
Adrien BROCHE. – Les choses sont, à mon avis, plus complexes: la transition du social à la société est moins une réalité qu’un débat en tant que tel à gauche. Dans mon livre, j’essaie de reproduire les arguments de chaque camp du mieux possible. Incontestablement, la célèbre note de Terra Nova a proposé une coalition électorale composée d’habitants urbains instruits, de jeunes et de résidents de quartiers de la classe ouvrière, assez étrangers à l’ADN de la gauche socialiste. Si je commence mon reflet de ça “moment”C’est parce qu’il me semble que cette note active une discussion intense et à part entière à gauche et même parmi les personnes impliquées dans le débat des idées en France.
En réalité, le rapport Terra Nova doit sa postérité aux nombreuses critiques qui lui ont été adressées. En tout cas, cette séquence ouvre des débats importants sur la relation de la gauche à sa sociologie électorale: devrait-il continuer à aborder les catégories populaires? Si oui, par motivation stratégique ou par motivation morale? Dans mon livre, je distingue deux principales familles de critiques adressées à la proposition Terra Nova. Le premier vient de l’idée socialiste, proposant la reconquête des catégories populaires à travers le réinvestissement de la question sociale, c’est plus ou moins ce que François Ruffin propose aujourd’hui. Une seconde concerne l’idée républicaine en ce qu’elle propose de souligner la valorisation, parfois considérée comme abstraite, des marqueurs de notre identité républicaine collective.
La deuxième partie est consacrée aux divisions d’identité de la gauche. Comment la vague d’attaques en 2015 a-t-elle constitué un tournant dans l’identité à gauche?
Le moment 2015 est en effet un bouleversement en ce qu’il accélère la transformation des soi-disant problèmes “culturel”Au sens large, c’est-à-dire qui ne relèvent pas du domaine socio-économique. LE «Société» se recentr sur l’identité, et la question de la question de l’identité augmente à droite et à gauche. Il faut également des formes significativement différentes en fonction des traditions politiques: à droite, le débat tourne davantage sur la question de la civilisation lorsque, à gauche, il cristallise sur la question de la laïcité. L’événement majeur des attaques de 2015 frappe une famille idéologique qui est en partie imprégnée de ce que certains ont décrit comme«Économisme». Cela ouvrira également un débat très vivant sur la gauche et au-delà.
La position dite «laïque» est aujourd’hui associée à la gauche libérale tandis que la position «flexible» fait référence aux franges les plus radicales. Ceci est un renversement majeur
Adrien Broche
Plusieurs lectures seront en conflit. Une partie de la gauche, une minorité, adhère à la lecture de “Lone Wolf” qui évacue les ressorts collectifs qui pourraient expliquer la transition vers la violence. Un autre est tenté d’expliquer le djihadisme par l’origine sociale lorsqu’un dernier, incarné par Manuel Valls, alors le Premier ministre, refuse toute explication, au motif que cela équivaudrait à des terroristes excuser. Les choses s’aggravent considérablement depuis en réaction à une soi-disant lecture “économiste”Une fraction de la gauche vient de considérer la question de l’identité comme ayant pris la priorité sur la question sociale: nous devons donc concentrer notre action à ce sujet. Problème: Une grande partie de cette fraction, elle-même convaincue de la primauté de la question de l’identité sur la question sociale, a l’intention en même temps de lutter contre l’identitarisme… D’où la difficulté rencontrée par Manuel Valls, dont l’ambition semblait néanmoins résulte d’une intuition correcte.
En termes de laïcité, “Les termes du débat sont confus” vous écrivez. Pour quoi ?
Au-delà des controverses, le débat sur la laïcité se révèle complètement des eaux troublées dans lesquelles certains esprits à gauche, et même à droite, nagent. La tradition socialiste, soutenue par les contributions de la sociologie, consiste à annuler le mythe du sujet souverain et parfaitement libre dans ses choix que la lecture libérale propose, d’aller rapidement. D’où la nécessité de provoquer une conception de la liberté qui autorise les interventions pour corriger ces déterminismes et ces influences qui guident et pèsent sur les choix des individus.
-Problème: Si cette lecture est suivie en ce qui concerne, par exemple, l’influence des facteurs sociaux sur la survenue d’émeutes en juillet 2023, ou l’influence des déterminismes de genre ou de classe sur les choix et les chances des jeunes, ce paradigme est complètement gouverné En ce qui concerne le port de symboles religieux. Ainsi, les femmes qui portent le hijab ou l’Abaya sont faites, par certaines lectures importantes à gauche, parfaitement responsables d’un choix fait valable simplement parce qu’il est exprimé. Cet argument n’est pas surprenant lorsqu’il est fait d’un point de vue libéral. Cependant, il me semble difficile de le coder dans une tradition socialiste ou dans une tradition républicaine.
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D’où une incohérence fondamentale qui affecte toute la sphère politique. Dans le même temps, donc une famille idéologique qui partage un effet socialiste, mais aussi un droit censé adhérer à une philosophie libérale à partir de laquelle il évacue une grande partie du système pour la limiter au domaine économique. Pendant longtemps, la gauche radicale a été profondément imprégnée d’anticléricalisme, lorsqu’une gauche plus libérale (donc associée à la droite de la gauche) semblait moins stricte sur cette séparation de la religion et de la politique. Ce modèle a été inversé: la soi-disant position “laïque” est aujourd’hui associé à la gauche libérale lorsque la position “flexible” fait référence aux franges les plus radicales. Il s’agit d’un renversement majeur.
À votre avis, les conflits en Ukraine et Gaza ont réactivé une ancienne ligne de démarcation autour de l’anti-totalitarisme. Pour quoi ?
Cette fracture, très importante dans les années 60, 70 et 80, avait évidemment diminué depuis la chute du mur et le bloc soviétique. Cependant, la fracture s’opposant à une gauche attachée à la promotion des droits de l’homme à une gauche qui y voit, suivant la tradition marxiste, les droits formels s’opposant à la conquête de «Droits réels»a refait surface récemment. Il a structuré la campagne européenne autour de la question ukrainienne. Le problème de Gaza complique les choses car l’attention qui lui a accordée au nom des droits de l’homme par une partie de la gauche, principalement rebelle, est en contradiction directe avec les sympathies qu’il cultive en même temps pour Vladimir Poutine ou Bashar al-Assad.
Je crois que l’évolution contemporaine de La France insouise témoigne d’une pénétration des effets réactionnaires dans la gauche radicale
Adrien Broche
Vous interprétez le positionnement de LFI comme un signe d’un «Nationaliste inconscient» même réactionnaire. Jean-Luc Mélenchon est-il le dernier politicien, à gauche, d’incarner une certaine idée de la nation?
Je parle d’un «Nationaliste inconscient»Pas d’un inconscient national. Je ne crois pas que nous puissions dire que la gauche a oublié la nation: une partie, fidèle à la tradition socialiste et républicaine, en revanche le conçoit moins comme un patrimoine d’identité que comme le cadre nécessaire des interconnexions sociales, en valorisant plus Une grammaire républicaine qu’une grammaire patriotique. Le cas de Jean-Luc Mélenchon est toujours différent pour moi. Sa transformation récente englobe une stratégie électorale de coalition de colère en exploitant les réserves de votes qui sont en sommeil dans les quartiers de la classe ouvrière.
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Mais, contrairement à ce pour quoi certaines personnes le critiquent, je ne souscris pas à une lecture qui le décrit comme un déconstruit de la France ou le promoteur du progressisme effréné. Au contraire, je crois que l’évolution contemporaine de La France Insoumise témoigne d’une pénétration des effets réactionnaires dans la gauche radicale. Ceci est démontré en particulier par ses positions sur la scène internationale et plus récemment par la méfiance envers toute irrévérence envers les croyances, et pas seulement en ce qui concerne l’islam! Pour preuve, je prends sa réaction à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Alors que nous voyons souvent dans une partie d’une soi-disant gauche «Réformiste-républicain»que Manuel Valls incarnait pendant une bonne partie de la dernière décennie, symbole de la perméabilité de certains progressistes à des idées réactionnaires, je crois que la question n’est pas si simple.