Haut-Doubs. Travailler en Suisse : le statut frontalier est-il encore un rêve ? – Doubs : toutes les informations locales

Selon l’INSEE, ce sont 7 600 frontaliers qui transitent chaque jour par le Col de Jougne ©Cassandra Tempesta

Qui n’a jamais été tenté d’aller travailler en Suisse ? Avec un salaire bien supérieur à celui de la (3’780 CHF à Neuchâtel pour 42 heures de travail), cela peut être tentant. Mais derrière cette cupidité se cache une réalité plus nuancée. «La Suisse, c’est 42 heures, 4 semaines de congés, des heures supplémentaires, un code du travail qui n’est pas du tout le même que le français. Les gens ne réalisent pas qu’ils ont une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.»prévient Michel Rivière, président de l’Amicale des Frontaliers. Et récemment, la réforme de l’assurance chômage a fait l’objet de nombreux débats.

Un projet annulé ou retardé ?

Un frontalier français cotise dans le pays qui l’emploie mais c’est le pays dans lequel il réside qui l’indemnise en cas de chômage. L’UNEDIC estime alors le surcoût à 800 millions d’euros par an pour le système d’assurance chômage. L’ancien gouvernement de Michel Barnier a donc voulu s’attaquer au problème en instaurant un coefficient de compensation selon les pays. Les allocations chômage auraient alors pu être réduites de moitié pour les Français travaillant en Suisse.

L’Amicale des Frontaliers s’est saisie du dossier et a écrit à une dizaine d’associations. Trois ont répondu à l’appel, dont l’Association d’aide aux travailleurs frontaliers. « C’est une grande discrimination car un frontalier toucherait nettement moins qu’un travailleur français. La France a signé des contrats avec des partenaires européens. Ils ont convenu que les pays paieraient jusqu’à 5 mois de contributions (si le frontalier a travaillé plus de 12 mois au cours des 24 derniers mois. En dessous, les pays versent 3 mois d’indemnisation, ndlr). Au-delà, il fallait que la France prenne le relais. C’est une mauvaise affaire, mais ils ont signé en connaissance de cause.»relate Jean-Marc Koenig, président de l’Association d’aide aux travailleurs frontaliers.

Après débat, cette mesure ne sera finalement pas appliquée. Mais la censure gouvernementale du 4 décembre rebat les cartes. Le projet est-il annulé ou retardé ? « La priorité du prochain ministre, c’est de faire revenir la France et donc d’aller chercher de l’argent. Cela ne me surprendrait pas si nous nous tournions vers les travailleurs frontaliers. On est prudent, on s’attend à ce que le projet d’allocation chômage revienne”Jean-Marc Koenig se méfie avant de poursuivre « Les travailleurs frontaliers sont souvent stigmatisés et pointés du doigt. Nous les présentons comme riches, mais dans notre association, nous voyons plutôt des frontaliers dans le besoin. Par exemple, il faut savoir qu’en Suisse, on peut être licencié parce qu’on est malade, c’est un système dangereux.».

Pour l’instant, Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l’Emploi sous la houlette de la ministre principale Catherine Vautrin, ne semble pas revenir sur cette mesure. Toutefois, un projet de décret présenté le 10 janvier par le gouvernement vise à durcir les règles d’indemnisation. Refuser deux fois deux offres d’emploi raisonnables (ORE) sans motif légitime pourrait conduire les frontaliers chômeurs à perdre leur indemnisation. « Ce sera désormais le salaire habituellement pratiqué en France qui sera un des éléments constitutifs de l’ORE et non plus les salaires pratiqués à l’étranger. », est-il indiqué dans un communiqué du ministère.

Les frontaliers toujours plus éloignés de leur lieu de travail

Selon la dernière étude de l’Insee, en 2021, les frontaliers de la région parcourent en moyenne 43 km pour se rendre sur leur lieu de travail, soit 8 km de plus que ceux du Grand Est et 15 km de plus que ceux du Grand Est. d’Auvergne-Rhône-Alpes. En 11 ans, le trajet moyen s’est allongé de 4 km et la part des trajets de plus de 50 km est passée de 24 % à 31 %.

Selon l’Insee, en 2021, les frontaliers de la région parcourent en moyenne 43 km pour se rendre sur leur lieu de travail ©Insee

Dans le Doubs, les frontaliers disposent alors de deux options de mobilité : le train ou la voiture. “Nous saluons la restauration de la ligne des Horlogers mais ce serait bien d’avoir un train supplémentaire pour que les gens de Morteau et de Villers-le-Lac puissent y monter”nuance Michel Rivière.

«La Région transporte 800 voyages par jour vers la Suisse. Même si nous augmentons la capacité des trains, plus de 10 000 travailleurs frontaliers traversent la frontière. Et puis, tout le monde n’habite pas à côté d’une gare”souligne Michel Neugnot, 1er vice-président en charge de la mobilité de la Région.

Selon l’INSEE, 97% des frontaliers de la région utilisent la voiture pour se rendre en Suisse. « Comme la topographie montagneuse n’est pas favorable aux transports en commun, ils sont peu développés »indique l’organisation. Et quant à la solution d’une plateforme de covoiturage ? « Il faut chercher les utilisateurs beaucoup plus loin, il serait donc préférable que les communes de la plateforme participent à son financement »» soulève le président de l’Amicale des Frontaliers.

En 2011, une action de covoiturage a été mise en place dans le Haut-Doubs, le Pays Horloger et le Haut-Jura avec des partenaires suisses : les cantons de Vaud et de Neuchâtel. Cette politique s’étend à tout l’arc jurassien et est soutenue par plusieurs fonds européens. « Nous avons fortement augmenté la pratique du covoiturage. Au départ, nous étions sur 4-5%. Maintenant, nous sommes à 25-30% »assures Philippe Pichot, director of the mixed union of Pays du Haut-Doubs.

Un site Internet a été lancé pour rassembler les travailleurs frontaliers. «L’incitation des entreprises suisses à installer des places de stationnement réservées aux covoitureurs et au versement de primes a été la plus marquante»souligne le réalisateur avant de poursuivre : « Aujourd’hui, nous sommes sur un plateau. Dans le Haut-Doubs, nous avons un flux d’origines très large. Certains frontaliers peuvent venir de Besançon et, au-delà de la frontière, cela s’étend à toute la Suisse. Il faut donc trouver au moins deux frontaliers qui viennent de la même zone et se rendent au même endroit ».

-

Des embouteillages à perte de vue

La majorité des frontaliers de la région résident dans la zone d’emploi de Pontarlier. Leur nombre augmente considérablement. « La croissance du nombre de frontaliers accroît la saturation des points de passage, peu nombreux en raison de l’aspect montagneux. Le flux de travailleurs frontaliers transitant par la commune frontalière de Villers-le-Lac, dans la zone d’emploi de Pontarlier, atteindrait 8 300 individus quotidiennement en 2021, contre 6 100 en 2010. Plus au sud, il serait de 7 600 au Col de Jougne, par rapport à il y a 4500 »indique l’Insee. Les embouteillages sont donc inévitables.

C’est notamment au poste frontière de Ferrière que les ralentissements sont observés. « Jougne-Vallorbe devient déjà un axe majeur avec une explosion des flux frontaliers mais aussi avec l’essor du trafic international de poids lourds qui s’est tourné vers la RN57 »recalls Philippe Pichot.

Les frontaliers sont régulièrement confrontés à des embouteillages, comme ici, entre le pont Daillard et la douane de Vallorbe ©Facebook Info trafic Haut-Doubs

A cette douane, du côté suisse, il y a deux voies de circulation, dont une réservée aux frontaliers. Mais à la gare Ferrière, « Il n’y a qu’une seule ligne de passage. C’est inacceptable »relates Michel Rivière. Une pétition avait été lancée par l’Amicale des Frontaliers concernant cette coutume. « Beaucoup passent par la vallée, ce qui n’est pas consensuel. Le minimum serait d’avoir deux lignes. Les Suisses y sont favorables. Les communes voisines, Jougne, Vallorbe, Ballaigues, en ont marre aussi »raises Michel Rivière.

Et ce n’est pas Michel Morel qui dira le contraire. « Chaque jour, nous approchons de 10 km de bouchons. Les frontaliers mettent 45 minutes pour traverser la frontière. Alors ils traversent des petites routes, des villages et à La Ferrière, ils se frayent un chemin. Je peux les comprendre »» déplore le maire de Jougne. «La Suisse a un projet de refonte complète de la plateforme douanière qui s’élève à 5 millions d’euros. Elle est prête à en financer la moitié, alors que les deux tiers sont sur le territoire français. »se souvient Michel Morel. Il prévoit de réunir prochainement les maires de Vallorbe et Ballaigues, la DREAL ainsi que le sous-préfet pour voir ce qui peut être réalisé à ce point de passage.

« Il faut penser par type de flux. Il n’y a aucun obstacle de mon côté pour élargir les routes et créer une « voie rapide » (lire autoroute, ndlr) pour les frontaliers, comme celle qu’on trouve près de Morteau. Désormais, je n’ai aucune compétence sur la RN57 et donc sur les routes. Je participerai bien entendu aux différentes études réalisées. Ensuite, il y a un mouvement vers une dématérialisation de certaines formalités envisagée, notamment pour les camions »souligne Estelle Rocklin, directrice régionale des douanes. Il n’y aurait alors que certains poids lourds qui devraient s’arrêter, facilitant ainsi le passage des camions. “Mais ce n’est pas encore le cas”prévient-elle. «L’essentiel du trafic reste les résidents suisses qui viennent faire leurs courses en France et qui s’arrêtent à la douane pour obtenir la détaxe. En 2024, rien qu’en Franche-Comté, nous avons enregistré 90 000 bulletins de détaxe »continue-t-elle.

Créer des pôles multimodaux ?

Pour le directeur du syndicat mixte des Pays du Haut-Doubs, le problème de mobilité est très grave et va s’accentuer. « Nous avons connu une croissance démographique exceptionnelle dans le Haut-Doubs. Nous sommes à 65 000 habitants. On estime qu’elle comptera 80 000 habitants d’ici 2040-2045, tirée principalement par l’économie suisse. Nous ne résoudrons pas le problème d’un seul coup mais en combinant toutes les mobilités possibles »affirms Philippe Pichot.

Il réfléchit alors à consolider le covoiturage, à améliorer les TER, à augmenter la fréquentation des trains et à mettre en place des bus pour les frontaliers. « Il y a beaucoup de potentiel sur lequel travailler. Pour les zones de covoiturage côté français, il faut repenser l’agencement des zones. Nous réfléchissons à la création de pôles multimodaux reliant plusieurs types de transports, notamment à Labergement et au Col de Jougne. L’objectif est d’avoir un lieu pour concentrer les équipements ad hoc : bus, lignes réservées aux frontaliers, covoiturage”imagine le réalisateur.

Elle met également en évidence une complexité administrative où l’Etat, la Région, les communautés de communes ont chacun leurs compétences propres. « Nous subissons une telle pression que cela devient le problème de tout le monde. Nous devons gérer tous ensemble le problème de la mobilité et c’est pourquoi les Suisses sont prêts à soutenir les projets français.» declares Philippe Pichot.

CT

298123d635.jpg
 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

-

PREV deux groupes citoyens se disent “inquiets”, la mairie assume ses orientations
NEXT le verglas est un peu partout, voici les conditions de circulation pour ce lundi 20 janvier