La longue quête d’identité de Romain, né sous X, finit par le conduire en Loire-Atlantique

Par

Vincent Malboeuf

Publié le

15 janvier 2025 à 18h42

La croix en bois ne tient plus debout. Ici repose, sous un monticule de terre, Didier Tombois, décédé en 2006 à l’âge de 47 ans.

Romain se rassemble devant. Déposez un petit bouquet de fleurs acheté le matin. C’est son père. Ce qu’il n’a jamais connu.

La première fois qu’il est venu au cimetière Saint-Gilles de Clisson (en Loire-Atlantique), il y a cinq ans, les larmes avaient coulé.

La deuxième fois, c’était ce lundi 23 décembre 2024. L’émotion se lit sur son visage. Romain Favre, résidant à Mâcon (en Saône-et-Loire), a traversé la pour venir acheter la concession du tombeau de son père biologique afin de « conserver sa mémoire ».


Son père est mort dans la rue à Clisson en 2006

Ce dernier avait été enterré indigent par la mairie de Clisson 19 ans plus tôt. Il était sans abri. Il est mort dans la rue, un soir d’hiver de février 2006. Précisément à la Garenne Valentin.

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Sa mort a déclenché une forte émotion à Clisson et a fait couler beaucoup d’encre dans les pages de notre journal L’Hebdomadaire de Sèvre et Maine (lire dans l’encadré ci-dessous).

Romain a découvert son existence en 2019, à l’âge de 38 ans. L’homme aux yeux bleu vif est né sous X le 4 décembre 1981 à Saint-Quentin dans l’Aisne. Il a été adopté à l’âge de 4 mois par une famille de Saône-et-Loire.

J’ai toujours apprécié l’amour de ma famille mais c’est en tant qu’adulte, après la naissance de mon fils (en 2004), que j’ai eu besoin de connaître les raisons de mon abandon.

Romain Favre, né sous
Romain Favre a conservé les actes de naissance et de décès de son père biologique. ©HSM

Première recherche en 2007, à l’âge de 25 ans

Nous sommes en 2007. Ainsi commence un long et fastidieux travail de recherche pour ce chauffeur de bus. Qui est son père ? Qui est également sa mère qui lui a donné naissance ?

Après consultation de votre dossier auprès de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales), les premières surprises apparaissent. Son lieu de naissance n’est pas le même que celui indiqué sur sa carte d’identité. Ses trois prénoms sont différents des trois qu’il porte.

Et enfin, c’est maman biologique n’avait que 16 ans lorsqu’elle a accouché et a elle-même fait l’objet d’une adoption, puis d’un placement en famille d’accueil « suite à des problèmes personnels importants ».

Romain veut savoir si elle est en vie. Vient ensuite la réponse du CNAOP (Centre national d’accès aux origines personnelles) l’année suivante.

Ils me disent qu’ils ont retrouvé ma mère biologique et l’ont informée de mes recherches mais qu’elle nie avoir accouché. Je pensais que le CNAOP s’était trompé de personne. Mais il m’a dit qu’aucune autre personne ne pouvait être ma mère et que le déni arrive souvent dans ces cas-là.

Romain Favre

Sauf que l’Histoire prouvera que la structure était bel et bien erronée.

Dépression et troubles de l’abandon en 2016

Romain a assimilé ce qu’il pensait être un rejet jusqu’en 2016, “sans vraiment réagir”. Cette année-là, le père de deux garçons tomba dans la dépression et fut victime de troubles d’abandon. Une maladie forcément liée à son passé.

Durant ses congés, il trouve la force de relancer le CNAOP et de se rendre à plusieurs reprises à l’ASE (Aide sociale à l’enfance) de l’Aisne. Si l’administration lui donne des « éléments flous », il obtient des « bribes » de la DDASS selon lesquelles sa mère « était brune, type sudiste ». Que son père avait 23 ans à sa naissance et n’a pas été informé de sa paternité.

Pas de nom, pas de visage. Son enquête échoue. Mais Romain persiste.

Romain Favre est né sous X en 1981. ©HSM

Dépliants, appels, emails, porte à porte…

Entre 2016 et 2018, il a raconté son histoire sur son site Internet. Distribue plus de 20 000 dépliants dans les parkings de Saint-Quentin et de Laon, et dans de nombreux commerces de l’Aisne pour faire connaître leur quête d’identité. Passe des dizaines d’appels téléphoniques, fait du porte-à-porte pour interroger le quartier, envoie des centaines de mails à des sites de recherches et des associations, consulte les archives départementales…

“Je fais aussi un test ADN parce que je découvre que je pourrais avoir un lien de parenté avec un grand-père américain.” Fausse piste.

Romain crée également des arbres généalogiques « à partir de ce que j’avais comme informations ».

Didier Tombois : un mort dans la rue et polémiques

Dans la nuit du vendredi 17 au samedi 18 février 2006, un quadragénaire a été retrouvé inerte par un passant qui promenait son chien à la Garenne Valentin, un parc de Clisson.
Faute de médecin de nuit sur la commune, un médecin d’une zone voisine a constaté le décès de ce sans-abri quatre heures plus tard, comme le révélait L’Hebdo de Sèvre et Maine quelques jours plus tard. Première polémique. “La personne était morte avant que l’alerte ne soit donnée”, a précisé la gendarmerie. Cela faisait 6-7 mois qu’elle traînait à Clisson.
Cette personne est Didier Tombois, 47 ans. Sa mort serait naturelle, écrivions-nous pour la première fois dans notre journal. Sauf que de nombreuses voix se sont élevées par rapport à ce décès, dont l’élu Franck Nicolon qui a regretté que « les moyens locaux mis à disposition pour répondre à ce type de difficultés soient notoirement insuffisants ».
Mais « Didier Tombois n’a jamais fait de demande auprès des services sociaux. Nous lui avons proposé notre aide, mais il a refusé. Cela peut paraître inconcevable mais il voulait rester sans abri», a réagi Nathalie Meillerais, assistante sociale de la ville de Clisson. « Un baroudeur pur et pur et dur, qui n’est pas mort de froid », renchérit Jean-Michel Busson, député de l’époque.
Didier Tombois avait consommé ce soir-là une quantité excessive d’alcool, quantité fatale conjuguée au froid de l’hiver. Selon des riverains, il était « déprimé après la perte de ses chiots » qui erraient.
Retrouvés, les six ont été euthanasiés, contrairement à son chien Gessie. Nouvelle polémique. L’association de défense des animaux a regretté cette action, même si la procédure avait été respectée dans cette affaire.

2019, année des retrouvailles avec sa mère biologique

Nous voici à l’été 2019. Romain continue de tracter dans les rues de Saint-Quentin. Au salon de coiffure, qui se trouve à « 50 mètres du foyer où j’étais placé », la gérante lui confie qu’elle connaît deux personnes qui travaillaient en 1981 à la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse), aujourd’hui fermée.

«C’était un couple. Je suis allé le voir en septembre. La dame connaissait ma mère biologique et, après avoir hésité à préserver son identité, a fini par la contacter et lui dire que je la cherchais.

Romain fait mouche. Il est mis en contact avec sa mère par téléphone. Un grand moment. Ce sera encore plus fort le 19 octobre 2019, jour de leur premier rendez-vous, « devant la basilique de Saint-Quentin ».

Elle était accompagnée de sa meilleure amie, moi de ma femme. Ce furent de merveilleuses retrouvailles. Je me souviens que nous nous sommes embrassés, comme si c’était naturel. Ma mère vivait dans la région de Cognac en Charente. Elle m’a alors dit qu’elle ne savait pas comment me retrouver et avait laissé un message quelques mois plus tôt, sur le site Recherche de mère biologique ou d’enfant né sous X.

Romain Favre

Il veut en savoir plus sur son père, décédé à Clisson

Sa mère l’avait abandonné parce qu’il était trop jeune et trop « souffrant ». Mais elle est vivante. Depuis, les deux hommes ne se sont jamais quittés.

Et son père ? Romain apprend aussitôt qu’il est mort. « Maman m’a donné son identité et j’ai su qu’il était mort à Clisson. Elle n’a eu aucun contact avec lui depuis ma naissance. Je comprends alors que je devrai faire des recherches sur ma famille paternelle.

C’est la ville de Clisson qui a enterré Didier Tombois comme indigent en 2006. ©HSM

En décembre 2019, il se rend pour la première fois en Loire-Atlantique pour visiter sur la tombe de Didier Tombois. «J’étais seul devant moi et je pleurais», se souvient-il cinq ans plus tard.

Sa quête n’est toujours pas terminée. Il veut en savoir plus sur ce père qu’il n’a jamais connu. Il compte sur son témoignage, ici à L’Hebdomadaire de Sèvre et Mainepour élargir ses recherches.

« Si quelqu’un a connu un peu mon père, à Clisson, n’hésitez pas à me contacter par mail », confie Romain Favre, qui s’apprêtait à rencontrer des membres de la famille de son père en janvier, notamment sa tante.

« J’ai finalement réussi à reconstituer le puzzle que l’administration m’interdisait de connaître. » Cela lui a pris plus de 10 ans.

Contacter Romain Favre : [email protected]. Site Internet : https://julien-ne-sous-xe-monsite.com/#page1.

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