« Je ne fais pas encore le bilan de mon mandat, puisqu’il reste encore huit mois », prévient Gilbert Dominique. S’il lui reste encore quelques pas à franchir d’ici août, il ne peut s’empêcher de constater le chemin parcouru depuis son premier mandat d’élu en 1997.
Cela n’a pas beaucoup changé depuis les années 1990.
» dit sans détour le chef en entrevue avec Espaces Autochtones dans son bureau de chef des Pekuakamiulnuatsh, autre nom des Ilnus de Mashteuiatsh.
La communauté est aujourd’hui perçue dans le monde autochtone comme une force administrative et dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean comme un partenaire économique majeur.
C’est sûr qu’à ces deux niveaux, c’est le jour et la nuit si on compare avec quand j’ai commencé
explique Gilbert Dominique.
Et avec sa personnalité rassembleuse et son sens des affaires, il n’est certainement pas étranger à ce retournement de situation.
Mais je n’ai rien inventé, j’ai eu la chance de pouvoir faire mes cours, d’apprendre beaucoup en observant des chefs d’orchestre importants qui ont travaillé avant moi comme Harry Kurtness ou Aurélien Gill.
dit-il.
Des dirigeants qui, selon lui, avaient aussi l’ambition de décloisonner la communauté, pour lui permettre d’occuper une place tant dans les débats publics que dans la sphère économique de la région, dans laquelle ils souhaitaient s’investir de manière réfléchie.
Promouvoir l’éducation, permettre aux membres des Pekuakamiulnuatsh d’avoir accès à un niveau de vie décent tout en protégeant nos cultures et nos modes de vie. Agir et monter des projets qui bénéficieront à tous nos adhérents et à leurs descendants, tel est l’objectif
il énumère.
Autrement dit, c’est le même immense défi que doivent relever toutes les Premières Nations du Canada : sortir d’un état de dépendance étatique sans s’assimiler.
Et pour Gilbert Dominique, y parvenir passe nécessairement par la clarification des droits spécifiques dont ils disposent sur leurs territoires ancestraux.
Les deux solitudes des années 1990-2000
Je me souviens, au début de ma carrière politique, avoir discuté avec un élu fédéral de la région qui me disait : « Tu connais Gilbert, j’ai grandi au Lac-Saint-Jean et je savais vaguement qu’il y avait des Indiens sur de l’autre côté, mais c’est tout… » On parle quand même de quelqu’un qui représentait la région à Ottawa!
rapport-t-il.
Lors de son premier mandat de conseiller, amorcé en 1997, les élus et chef Clifford Moar ont décidé de pousser à la rencontre de tous les différents acteurs de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean afin de se faire mieux connaître.
Il y avait beaucoup à faire à ce niveau. Nous ne le cacherons pas : le racisme était très présent, notamment à cause de l’incompréhension des gens quant à nos droits. Le pire s’est produit à l’époque de l’approche commune.
explique Gilbert Dominique.
Gilbert Dominique (à gauche) a participé à la signature d’une entente de principe concernant l’Approche commune avec trois autres communautés innues et les gouvernements du Canada et du Québec en 2004. (Photo d’archive)
Photo : La Presse Canadienne / Jacques Boissinot
Signée en 2003, l’Approche commune a représenté une étape importante dans la négociation en vue de la signature d’un traité entre quatre communautés innues (Mashteuiatsh, Essipit, Pessamit et Nutashkuan) et les gouvernements du Québec et du Canada.
À l’époque, cette entente de principe avait été très mal accueillie tant au Saguenay–Lac-Saint-Jean que sur la Côte-Nord.
Il y a eu des élus de régions qui ont fait de grandes sorties publiques et ont fait pression sur les gouvernements pour ne pas faire reconnaître nos droits. Surtout, il y avait beaucoup d’ignorance dans tout cela.
raconte le chef.
Je n’ai jamais cru au principe de la chaise vide. Même s’il y avait une ambiance parfois hostile, nous avons toujours continué à être présents, à nous faire connaître, à répondre aux questions. Et aujourd’hui, je suis fier de dire que la plupart des habitants de la région nous soutiennent dans nos efforts visant à clarifier nos droits par le biais d’un traité.
Autodétermination
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Le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, et le directeur général des opérations Atlantique de Rio Tinto Aluminium, Sébastien Ross, lors d’une annonce concernant une entente en 2022.
Photo : - / Laurie Gobeil
Pour le chef de Mashteuiatsh, la différence la plus notable depuis 30 ans réside dans son autonomie administrative.
Au Canada, en vertu de la Loi sur les Indiens, le financement de la plupart des secteurs qui relèvent normalement de la compétence provinciale, comme la santé et l’éducation, est géré par le gouvernement fédéral dans les communautés autochtones.
Jusqu’au milieu des années 2000, c’était Ottawa qui décidait des montants alloués selon les secteurs. Ils ont mis en place des programmes et nous avons dû les respecter pour recevoir de l’argent. C’est une façon extrêmement paternaliste de faire les choses.
explique Gilbert Dominique.
Et comme la Loi sur les Indiens contient diverses clauses qui rendent extrêmement complexe la création de revenus autonomes dans les communautés, les Premières Nations sont généralement maintenues dans ce cercle vicieux de dépendance économique à l’égard de l’État.
C’est l’une de nos grandes réussites ici. Nous avons réussi à créer des partenariats dans des projets de développement, notamment énergétiques, tant avec la région qu’avec Hydro-Québec, par exemple pour des projets de minicentrales et de lignes à haute tension, et en gérant efficacement les revenus. , nous avons réussi à prouver notre capacité à administrer nos propres affaires
se réjouit le chef Dominique.
Conscient que les évolutions ont toujours un certain impact sur l’environnement, il estime néanmoins qu’elles sont nécessaires, dans une certaine mesure.
En fait, nous devons nous poser la question de savoir pourquoi nous nous développons. Nous ne voulons pas entrer dans les objectifs d’une croissance économique absolue. Nous voulons simplement gérer adéquatement la terre et ses ressources afin de la protéger pour les générations futures tout en répondant à nos besoins.
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Le bâtiment du conseil de bande de Mashteuiatsh
Photo : - / Julien B. Gauthier
En créant et en gérant efficacement des revenus indépendants, la communauté a acquis une crédibilité qui lui permet de former de nouveaux partenariats économiques. Elle a ainsi beaucoup plus de latitude pour investir dans des projets qui lui tiennent à cœur, notamment la protection des pratiques linguistiques et culturelles.
Nous avons fait de gros efforts pour que nos membres aient accès à l’éducation, et plusieurs d’entre eux ont pu se former dans des universités. Nous avons désormais accès à de multiples expertises qui nous permettent de bien nous gérer.
explique le chef sortant.
Si le développement économique a permis d’accéder à une plus grande indépendance au cours des dernières années, un autre aspect fondamental qui concerne la préservation des spécificités culturelles des Pekuakamiulnuatsh continue de présenter des défis.
Le conseil de bande emploie plus de 400 personnes. Nous gérons les services de santé, l’éducation, les infrastructures, la police et plus encore, c’est énorme ! Nous sommes à un stade où nous sommes capables de faire tout cela. Mais pour y parvenir, nous avons dû beaucoup emprunter aux méthodes de nos voisins occidentaux.
explique le chef.
Selon lui, l’enjeu est donc de pouvoir offrir tous ces services tout en continuant à avoir une approche qui leur ressemble, ce qui est rassurant.