Le site d’Huningue est également la plus ancienne usine de biomédecine de France. C’est le chimiste suisse Ciba, dont les origines remontent à la fin du XIXème siècle et à la naissance de l’industrie des colorants chimiques, qui a lancé sa construction en 1994, deux ans avant de fusionner avec Sandoz pour créer le géant pharmaceutique Novartis. “Ciba a été visionnaire et a investi à risque, bien en amont, dans ce domaine des anticorps monoclonaux», relate Imre Bajusz, directeur du site Huningue. Il dit même que l’usine s’est retrouvée «complètement fermé pendant quatre ans» dans les premières années, mais il était prêt lorsque les premiers médicaments biotechnologiques de Novartis sont entrés en production. Il parle alors «d’une explosion, avec un premier transfert industriel en 2002, les premiers lots commerciaux en 2005, puis un deuxième produit à partir de 2007».
Quatre biomédicaments
Aujourd’hui, quatre médicaments sont produits au sein des trois lignes de production installées, avec de multiples indications telles que l’asthme sévère, le psoriasis, le rejet de greffe de rein ou encore des maladies auto-immunes rares. Avant le gigantisme des bioréacteurs de 15 000 litres, tout commençait à une échelle bien plus modeste. Le processus commence dans une salle blanche avec un accès extrêmement sécurisé. Loïc Millot, directeur de production, explique que tout commence »avec des ampoules de quelques millilitres provenant de la banque de cellules Novartis et contenant des cellules de mammifères modifiées. Ils sont décongelés et ajoutés à un milieu de culture pour l’amplification cellulaire».
Dans l’usine alsacienne Novartis, les premières cellules obtenues sont sur le point d’entamer un long processus au cours duquel elles continueront à se multiplier dans des bioréacteurs de plus en plus grands. © En tant que Sittler
Cette phase est l’un des deux seuls moments où les opérateurs sont en contact direct avec le produit, ce qui nécessite des exigences drastiques de propreté, avec des équipements de protection très stricts et un véritable rituel d’habillage et de décontamination. Durant une dizaine de jours, ces cellules vont se multiplier dans leurs milieux de culture, sachant qu’une cellule se divise en 24 heures. Ils sortent de cette première étape dans un spinner, sorte de pot d’une capacité d’environ trois litres, sous la forme d’une solution rose-orange. S’en suit un voyage à travers plusieurs bioréacteurs toujours plus grands, de 25 à 2500 litres avant le grand plongeon dans un 15 000 litres, dans des milieux de culture toujours plus frais et imposants pour nourrir et multiplier ces cellules.
10 à 15 millions d’euros investis par an pour la maintenance et les équipements
A Huningue, comme dans d’autres usines d’anticorps monoclonaux, il faut être patient. “C’est plus lent qu’avec la production chimique», souligne Imre Bajusz. C’est aussi très délicat, donc très cher. La fabrication d’un lot peut prendre plusieurs mois au total, et tout échec dans la configuration peut entraîner des factures très importantes. Chaque année, Novartis investit «entre 10 et 15 millions d’euros» pour l’entretien et l’équipement de l’usine afin de garantir les meilleures conditions de production, note le directeur du site.
Du haut des bioréacteurs de 15 000 litres, tous les paramètres sont surveillés en permanence via une forte digitalisation des équipements. © En tant que Sittler
Ces cellules cultivées ne sont pas utilisées telles quelles en médecine. Après leur voyage, ils arrivent dans les plus grands bioréacteurs où, au bout de quelques jours, «on va générer du stress – qui n’est pas forcément négatif au sens biologique – comme l’ajout d’ingrédients, le changement de certains paramètres, comme la température ou le pH, qui vont modifier le comportement des cellules», explique Loïc Millot. Ces changements de conditions stoppent la division cellulaire et transforment les cellules en mini-usines. Ils agissent alors pour exprimer la protéine d’intérêt recherchée, et ainsi produire, biologiquement, le principe actif de la future biomédecine.
Les dernières étapes de fabrication se déroulent avec des phases de purification, avec des étapes de chromatographie et de filtration pour ne conserver que le principe actif, avant de remplir des sachets stériles puis de congeler avant d’expédier vers des sites de production secondaire pour la formulation et le conditionnement du médicament.
Après les étapes de filtration et de purification, les lots d’anticorps monoclonaux sont fractionnés dans des sacs stériles avant d’être congelés et envoyés à la formulation et au conditionnement du médicament. © En tant que Sittler
Novartis continue d’investir à Huningue mais se restructure en même temps pour sa compétitivité
Ces trois dernières années, Novartis a investi environ 500 millions d’euros en France, tant en production, principalement pour ce site de Huningue, qu’en R&D – le laboratoire suisse compte près de 2 000 salariés dans la région. Dans l’usine alsacienne, depuis 2019, le groupe a par exemple ajouté une troisième ligne de chromatographie et une deuxième unité de production, équipée de deux lignes, mises en service en 2020.
Un nouveau projet de 30 millions d’euros est également à l’étude, dans le domaine de la radiothérapie interne vectorisée. Ce segment de la médecine nucléaire consiste à amener un élément radioactif directement dans l’organisme jusqu’aux cellules tumorales pour les irradier et les éradiquer. Aujourd’hui, Novartis est le seul laboratoire au monde à disposer de deux médicaments de ce type sur ce marché, très convoité notamment par le français Orano Med.
Ce projet, qui n’a pas encore été approuvé, représenterait un relais de croissance pour le site d’Huningue, qui doit également travailler sur sa compétitivité. Actuellement, une réorganisation est à l’étude et pourrait conduire à la suppression jusqu’à 50 postes, sur les 700 recensés aujourd’hui. Novartis table actuellement sur des départs volontaires, mais pas avant fin 2025, précise la direction, alors que les départs à la retraite ne seront pas remplacés.