Face à une menace fantôme et à une indifférence croissante, tel est désormais le sort du petit Monde des dessinateurs de presse. Dix ans après la tuerie de « Charlie Hebdo », la plupart restent sur leurs gardes, surveillant parfois leurs arrières, toujours sur les réseaux sociaux. « Le baromètre d’un pays devenu très fragile sur un certain nombre de sujets », regrettent Julie Besombes et Simon Baert, alias Plop et KanKr.
Invité notamment dans les pages de « Sud Ouest Dimanche » et « Le Monde », le duo béarnais souligne ainsi un nouveau « paradoxe français », alors que la censure politique a longtemps été la seule chose qui empêchait de tourner en rond. « Aujourd’hui, contrairement à l’époque du « Hara-Kiri » ou aux débuts de « Charlie », nous avons le droit de tout faire, et d’ailleurs l’État, à travers ses lois, nous protège assez bien. . Or, c’est la société qui n’accepte plus cette liberté d’expression, laissant craindre une évolution prudente en ce sens. »
« Clientélisme politique »
Concepteur officiel du « Sud Ouest » au quotidien mais aussi du « Canard chainé », Urbs jure d’abord en substance que rien n’a vraiment changé depuis la tuerie du 7 janvier 2015. « En réalité, la situation avait déjà commencé à évoluer quelque peu. il y a bien longtemps», ajoute-t-il, avant de pointer également du doigt l’énorme et agaçante chambre d’écho des réseaux sociaux. « La mauvaise compréhension, pour ne pas dire l’incompréhension, de notre travail, combinée à l’immédiateté globale de la réponse, ne peut évidemment pas se passer bien. »
Par peur de déplaire ou simplement de mourir, l’autocensure serait-elle alors le pire ennemi du dessinateur de presse ?
Dénonçant au passage la multiplication des « crétins convaincus qu’un mur de glace entoure la Terre plate », le Bordelais se montre encore plus sévère envers une partie de la classe politique jouant avec le feu et le sang. « Longtemps l’extrême droite et les catholiques ont été les seuls à nous frapper pour satisfaire leurs ouailles, mais je dois reconnaître qu’aujourd’hui cette forme de clientélisme vient d’abord de la gauche et de ces députés LFI qui, par exemple, utilisez les dessins de Coco dans « Libé » ou « Charlie ». Pourtant, ils ont les clés de la compréhension. »
Par peur de déplaire ou simplement de mourir, l’autocensure serait-elle alors le pire ennemi du dessinateur de presse ? Et tordre le crayon au moment de le tremper dans la plaie et les religions. « Nous refusons obstinément de le faire », affirment Plop et KanKr malgré quelques menaces proférées à leur encontre. “Mais, pour l’instant, jamais de lynchage médiatique”, murmurent-ils, vantant un réflexe de survie au sein de la profession. « Chaque fois qu’il y a un problème, même lorsque le dessin n’est pas très réussi, il y a une grande solidarité entre collègues. Tout le monde est nerveux, inquiet. »
S’il avoue avoir un temps douté après « Charlie », Urbs a vite compris que les dessinateurs de presse n’étaient qu’une cible du terrorisme islamiste parmi d’autres. « Depuis quelques semaines, on se demandait si on n’était pas allé trop loin avec les caricatures de Mahomet. Et puis ces cinglés vont assassiner 130 non-designers au Bataclan. » Et d’affronter aujourd’hui tant bien que mal ce sinistre quotidien. « Quand vos proches sont menacés, c’est un peu différent. Mais je ne peux pas non plus aller voir la police tout le temps. »