Ils se sont rencontrés devant un métier à tisser lors de leur apprentissage à la manufacture des Gobelins et à la Savonnerie du Mobilier national. Charlotte Font avait auparavant étudié le russe et, captivée par les productions textiles (tapis, broderies) d’Asie centrale, avait choisi de se former à la restauration de tapis. Quant à Charlotte Romani, diplômée d’un BTS métiers de la mode et de l’habillement, elle avait effectué un stage chez une éditrice de tissus.
Formation d’excellence
Alors qu’ils ne se connaissaient pas encore, lors des journées portes ouvertes du Mobilier national, ils ont tous deux vécu un choc esthétique devant la profondeur du bleu de la moquette du stand du 14-Juillet renouvelée par le designer Christophe Pillet. Au sein de la manufacture des Gobelins et de la Savonnerie, ils ont réalisé un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) puis un certificat de métier d’artisan (BMA) Arts du tapis et lisses tapisserie. Outre la pratique du dessin et les cours d’histoire de l’art, ils ont acquis la maîtrise technique des métiers du tissage (tapisserie haute-lisse, tapisserie basse-lisse ou tapis de savonnerie), ainsi que des métiers de la restauration (tapis et tapisserie).
Charlotte Romani et Charlotte Font @Julien Weber
« On a appris à travailler la couleur dans la matière, à créer des diagonales, des cercles, des dégradés »dit Charlotte Romani. Durant le BMA, ils ont réalisé un projet créatif des artistes : l’illustrateur Pierre Mornet pour Charlotte Font et le street artiste Bebar pour Charlotte Romani. Après quatre années d’études, ils créent leur atelier en septembre 2022, dans le 18e puis le 11e arrondissement de Paris.
Les ciseaux et les épingles font partie des outils de tissage essentiels. @Julien Weber
Technique ancienne et création contemporaine
La technique de fabrication du savon, importée de Turquie en France au début du XVIIe siècle, doit son nom à une ancienne savonnerie où, sous Louis XIII, était implantée la Manufacture Royale de la Savonnerie, spécialisée dans le tissage de tapis de velours. . Depuis 1826, elle est située sur le site des Gobelins, dans le 13e arrondissement de Paris. Attachées à ce savoir-faire ancestral, Charlotte Font et Charlotte Romani l’ont choisi pour créer des pièces textiles contemporaines (tapis, panneaux muraux ou sculptures).
La technique de la Savonnerie se pratique sur un métier à tisser très lisse @Julien Weber
Dans leur atelier, ils créent une succession de nœuds symétriques sur un métier vertical. Entre chaque rang, ils passent des fils de lin pour bloquer les mailles et rendre le tapis encore plus solide. Les nœuds sont ensuite tassés à l’aide d’un peigne puis bloqués pour procéder à la tonte, opération révélant le velours de la laine. « Avec une paire de ciseaux courbes, nous découpons les boucles obtenues entre chaque nœud en guidant notre action à l’aide d’un gabarit en bois dont l’épaisseur détermine la hauteur de tonte. » précisent-ils. Un travail de patience : il faut environ 500 heures de tissage pour un mètre carré.
Les lisses sont saisies avec la main gauche, permettant aux fils de chaîne arrière de passer sur l’avant du métier, tandis que la main droite passe le fuseau de trame @Julien Weber.
Ils sculptent ensuite le velours tel un bas-relief. Pour leur première collection Métamorphoseen référence au mythe d’Arachnée raconté dans le Métamorphoses d’Ovide, ils ont imaginé une composition alliant classicisme et modernité : de grandes feuilles d’acanthe, motif décoratif caractéristique de la manufacture de Savonnerie, rencontrent un bouquet de mains tissant la toile d’Arachnée. Ils proposent un travail sur le monochrome : un bleu intense dialogue avec un écru, couleur naturelle de la laine.
Accompagnement d’un secteur
« C’est tout un secteur qui nous permet de relever des défis à la fois techniques et esthétiques. La filature Terrade, située dans la Creuse, a été à l’écoute de notre projet. Elle nous a proposé une laine Mérinos d’Arles qui permet de tondre en relief tout en ayant une bonne tenue au poil. précisent les deux créateurs. Quant à Nadia Petkovic, également basée en Creuse, elle a réalisé plusieurs essais de teinture pour obtenir le bleu intense et profond de la collection. Métamorphose.
Charlotte Font et Charlotte Romani apportent la touche finale à Métamorphose IV et Métamorphose V. @Julien Weber
Cette couleur a la particularité d’être perçue différemment selon que la lumière est naturelle ou artificielle. Pour la prochaine collection en préparation, les créateurs ont sélectionné un coeur de pissenlit safran ou un jaune orangé en laine Bizet, du Massif Central. Parmi les autres relations de confiance nouées dans la région, on peut citer la filature landaise, située dans l’Aveyron, l’une des dernières entreprises à fabriquer de grands métiers à tisser en France, et Lainamac, association du secteur promouvant la création en laine française, grâce à dont le duo a pu tisser la laine locale pour tester sa résistance et sa torsion notamment.
En moins de deux ans, Charlotte Font et Charlotte Romani ont remporté trois prix dont celui de la Jeune Création Métiers d’art des Ateliers d’art de France, ce qui leur a valu l’opportunité d’exposer au Salon International du Patrimoine Culturel. Leur approche basée sur une technique, traditionnellement utilisée pour réaliser des tapis de sol monumentaux et revisitée de manière contemporaine, ne manquera pas de séduire de nombreux architectes, décorateurs et galeristes.
FONT&ROMANI – Winner of the 2024 Savoir-Faire Trophies Epéda x Ulule