Cinq fois depuis le départ des Sables-d’Olonne, la direction de course a modifié les limites de la Zone d’Exclusion de l’Antarctique (ZEA). Cette zone virtuelle entoure les eaux du sud du globe, afin d’éviter que les skippers du Vendée Globe ne heurtent les icebergs. Il en est interdit d’accès, sous peine de sanctions. Pourtant, plusieurs participants ont dû slalomer entre les blocs de glace depuis le soir du mercredi 1est Janvier (heure française). Et ce, même s’ils respectaient les règles. Une première depuis Samantha Davies en 2008.
A LIRE AUSSI. Qu’est-ce que la zone d’exclusion de l’Antarctique ?
Ces pièces dérivent de l’Antarctique depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Ils sont particulièrement redoutés. “Frappez quelque chose ici et c’est fini”résume le Néo-Zélandais Conrad Colman (MS Amlin), qui en a vu un à 1h05 jeudi 2 janvier (MF). Depuis plusieurs jours, le comité d’organisation alerte sur ce danger. Impossibilité de changer la ZEA : « A partir du moment où les premiers concurrents sont passés, on ne peut plus modifier le parcours. Parce que cette dernière doit être la même pour tous les skippers »says Fabien Delahaye, assistant race director.
Face au risque, la prudence prime sur la performance
Les skippers sont informés individuellement. Mais parfois, les prévisions ne suffisent pas. Exemple à 19h15 mercredi 1est Janvier (hf), avec Sébastien Marsset (Foussier) : « L’iceberg était censé dériver vers le nord, mais il a fini par se diriger plein est. Mon alarme radar s’est déclenchée. J’ai sorti la tête (du cockpit) et je l’ai vu directement. J’allais droit dessus. Préparez-vous à vous battre ! J’avançais à 17 nœuds. J’ai dû prendre un itinéraire pour éviter de le rencontrer et je suis passé à 2,5 milles de lui. » Au point qu’Éric Bellion (Soyez unis – Altavia), qui frôlait une heure mercredi à 21 heures (mf), a pris du recul : « J’ai réalisé à quel point nous étions vernis pour avoir ces outils. Ce qui est fou, c’est la performance des pionniers du Vendée Globe, qui n’avaient ni ces outils ni nos prévisions satellites. Ils étaient au thermomètre : quand l’eau était froide, ils devenaient vigilants. » D’autant que le ZEA n’a été créé qu’en 2016 (première édition du Vendée Globe en 1989).
Face à ce risque, même ceux qui n’ont pas vu la glace de leurs propres yeux ralentissent considérablement pour éviter le pire. Guirec Soudée (Freelance.com), Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo pour un boulot) et le Japonais Kojiro Shirashi (DMG Mori Global Un) ont déclaré ouvertement qu’ils donnaient la priorité à leur sécurité plutôt qu’à leurs performances.
Difficile de se remettre dans la course une fois la peur passée
La situation, qui pourrait affecter la flotte jusqu’à vendredi, est particulièrement éprouvante pour les marins. Ils sont tenus d’être attentifs à tout moment. “Je suis coincé sur mon radar et je sors toutes les 20 minutes”testifies Guirec Soudée. “C’est beau, mais menaçant et effrayant », résume Conrad Colman, qui les a déjà croisés sur la Global Ocean Race en 2011 et sur une autre course en Class40 l’année suivante. Pour ceux qui les ont dépassés, les suites peuvent aussi être éprouvantes : « Ce n’est pas facile de se remobiliser. Ça m’a coupé la parole pattesshares Sébastien Marsset. C’est tendu, la moindre trace blanche dans l’eau donne des haut-le-cœur. » D’autant plus que, comme le souligne Conrad Colman, “il y a aussi des faux positifs”à savoir des blocs flottants identifiés même s’ils n’existent pas. Tandis que son radar peinait parfois à localiser de vrais icebergs, vidéo à l’appui.
“Ça va hanter mes rêves pendant la semaine”il prophétise. Et ce, alors que la course est loin d’être terminée pour ce groupe de concurrents, proche du Point Némo. Ou l’endroit le plus éloigné de toute terre habitée…