C’est une séquence qui a fait couler beaucoup d’encre. “Tu es devenu ennuyeux” : en avril 2024, quand l’acteur et humoriste Artus déclare, dans l’émission Quelle époque !qu’il a arrêté de boire de l’alcool, la réaction de la journaliste Léa Salamé fait polémique.
A tel point que face au déluge de critiques, la présentatrice a dû mettre de l’eau dans son vin et lui faire ma faute sur une remarque typiquement « franchouillard ».
Un « épisode révélateur », regrette Mickael Naassila, addictologue et président de la Société française d’alcoolologie. C’est lui qui a importé en France le Dry January, une initiative britannique lancée en 2013 pour inciter nos voisins d’outre-Manche à expérimenter eux-mêmes les bienfaits, pour leur santé et leur bien-être, d’une pause d’un mois dans leur consommation d’alcool, avec une dimension « ludique et non moraliste », plus efficace qu’une simple information sur les risques.
Un livre intitulé J’arrête de boire sans m’ennuyer
Depuis 2019, le mois sans alcool, Dry January – ou January Challenge – s’est imposé dans le paysage français. Non sans difficulté, car « la France a un problème persistant avec l’alcool », écrit le professeur Naassila dans un guide intitulé J’arrête de boire sans m’ennuyer (Solaire), à paraître le 2 janvier 2025.
Dans notre société, l’alcool est la norme. Du président de la République, qui demandait, en 2018, qu’on arrête « d’embêter les Français avec ces conneries », au puissant lobby du vin, qui s’appuie sur un secteur économique représentant 600 000 emplois et qui a tout fait pour en minimiser les effets. De la loi Evin, à travers un Janvier Sec soutenu par les associations, mais pas par les pouvoirs publics, le pays résiste…
Le « French Paradox », « une hérésie »
Mentalités et croyances aussi. L’idée d’un effet protecteur du vin sur la bonne santé de notre cœur et de nos artères coronaires, selon une étude publiée dans la revue La Lancette en 1992, reste bien vivant.
“Fake news”, dénonce Mickaël Naassila : le “French Paradox”, selon lequel bien que mangeant gras, les Français sont protégés des maladies cardiovasculaires par leur consommation de vin rouge, est “une hérésie qui contribue à normaliser la consommation d’alcool”.
Dans un tel contexte, ceux qui veulent arrêter ou limiter la « consommation d’alcool », même pour trente jours seulement, ont du mérite, encore exposés aux sarcasmes et aux signes d’incompréhension. Ce choix, surtout s’il va au-delà de l’expérimentation de janvier, risque de les faire paraître « ennuyeux », pour des personnes qui ne savent pas profiter de la vie.
Face aux attentes et à la pression de notre entourage, la sobriété est un « défi de société ». Cependant, l’essayer offre la possibilité de réfléchir à sa consommation, même si elle ne semble pas problématique et relève des troubles liés à l’usage de l’alcool (AUD).
Quel buveur es-tu ?
Alors, quand boit-on trop ? Pourquoi buvons-nous ? Quel type de consommateur sommes-nous ?
Dans son ouvrage, Mickael Naassila décrit cinq profils, autres que celui de l’alcoolique : le buveur « occasionnel », qui ne refuse pas un verre par besoin d’intégration, le « social », qui boit chez ses collègues et lors de soirées avec lui. amis, sans tomber dans l’excès, mais avec un côté bon vivant, « régulier », qui boit presque tous les jours sans remettre en cause cette habitude, « fêtard », c’est-à-dire façon « binge drinker » (6 à 7 verres standards d’alcool consommés en moins de deux heures), avec des épisodes d’excès. Sommes-nous finalement des buveurs « stressés », qui boivent de temps en temps pour décompresser et calmer notre anxiété ?
“Un risque pour sa santé”
A petite ou forte dose, sans être forcément pathologique, « l’alcool n’est pas anodin », rappelle le chercheur.
Si le message de « modération » nous donne bonne conscience, ce spécialiste, qui dirige le groupe de recherche sur les dépendances à l’alcool et aux drogues à l’Inserm, rappelle que les dernières études scientifiques ont démontré que « toute consommation d’alcool comporte un risque pour sa santé. Et cela passe d’un verre par jour. Exemple : 28 000 nouveaux cas de cancer par an sont imputables, en France, à la consommation d’alcool, qui est aussi la première cause évitable de cancer du sein…
Sans diaboliser l’alcool, ce risque doit donc être connu, et il reste limité « tant que la consommation d’alcool reste un plaisir et respecte les repères » (ne pas boire plus de deux verres par jour, s’abstenir au minimum deux jours par semaine) .
Quant à ceux qui ne boivent plus du tout, Mickaël Naassila appelle à ce qu’ils soient respectés au même titre que ceux qui ont arrêté de fumer et que leur choix soit… banalisé.
Apprendre encore plus. J’arrête de boire sans m’ennuyer, Le guide pour changer son rapport à l’alcool et préserver sa santé (Solaire), de Michael Naassila, 224 pages, 1 €
Helene Pommier