“On a assisté à une sorte d’éclaircissement lors des élections car les grandes sources d’inquiétude sont toujours là”

“On a assisté à une sorte d’éclaircissement lors des élections car les grandes sources d’inquiétude sont toujours là”
“On a assisté à une sorte d’éclaircissement lors des élections car les grandes sources d’inquiétude sont toujours là”

En termes électoraux, non. Le basculement s’est déjà produit lors des élections de 2019, lorsque le score cumulé des 6 partis traditionnels (libéraux, socialistes et sociaux-chrétiens, NDLR) est tombé pour la première fois sous la barre des 50 %, et de manière assez significative (45 %). Pour le reste, le MR avait déjà dépassé le PS en Wallonie en 2007. Certes, le score des Engagés est marquant, mais le PSC, dont il est l’héritier, fut fréquemment le deuxième parti francophone jusqu’au début. des années 90. Il y a toujours eu une place au centre pour une alternative entre socialistes et libéraux. Le succès de Belang n’est pas non plus une première : en 2004, il avait obtenu 24% des voix. Le succès du PTB semble plus récent, même si en 1946, les communistes constituaient la troisième force à la Chambre. Ce qui est vraiment nouveau, voire spectaculaire, c’est la simultanéité de tous ces résultats.

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Quelles en sont les causes, selon vous ?

L’hypothèse de base est une volonté de changement, comme en témoigne la chute du parti du Premier ministre sortant, l’Open VLD. Il y a une sorte de dégagement. Les partis qui ont le plus réussi sont ceux qui ont adopté des positions claires ou nouvelles. Le Vlaams Belang promet des changements en matière d’immigration et de sécurité ; la N-VA prétend sortir l’État fédéral de l’ornière des déficits et sortir la Flandre des effets néfastes du « retard wallon » ; le président du MR a promis de mettre fin à la domination des « 50 nuances de gauche » ; Les Engagés ont présenté un programme et renouvelé des candidats… Une bonne partie des électeurs demande du changement car les grandes sources d’inquiétude sont toujours là : les coûts de l’énergie et de l’immobilier, la faiblesse des revenus qui poussent à renoncer à consulter un médecin, la drogue à Bruxelles et à Anvers, la persistance d’un nombre important de demandes d’asile, des prestations sociales dont certains considèrent qu’elles profitent à un public qui ne les mérite pas, la difficulté de trouver un emploi stable…

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Cette impression de glissement vient aussi du fait que la Wallonie s’est orientée vers la droite, comme le reste de l’Europe, même si elle a été dominée par la gauche pendant des décennies.

Il est trop tôt pour dire si l’exception wallonne a disparu. De toute façon, le PS n’est plus hégémonique. Et la tendance est structurelle. Les élections provinciales de 2018 ont donné un signal d’alarme. Depuis ce scrutin, le PS oscille entre 23 et 26% en Wallonie. Avec un tel score, vous êtes un parti fort, mais plus dominant.

Pourquoi cette érosion ?

Il y a une convergence de facteurs. D’abord, une évolution sociologique marquée par l’individualisme : le PS ne peut plus compter sur la fidélité d’électeurs inscrits, en famille, dans les organisations du pilier socialiste. Ensuite, l’électorat de gauche a devant lui une offre politique qui s’est diversifiée, avec le PTB et l’Écolo. Une partie de la base sociale du PS est aussi occasionnellement tentée par un vote à droite ou à l’extrême droite, en réaction à des phénomènes qu’elle juge choquants comme le « bien-être », l’insécurité ou la contestation des valeurs traditionnelles. On comprend que Paul Magnette (président du PS) a annoncé une refondation du PS par des débats ouverts, sans tabous, un peu à l’image du processus de transformation du CDH en Engagés.

mouette

Dans 5 ans, ces discours de rupture avec le PS n’auront plus de sens. Peut-être même que la pause sera liée au duo MR/Engagés.

Concrètement, pensez-vous que le succès des Engagés sera structurel ?

L’originalité de la démarche doit être soulignée. Tous les partis qui comptent en Belgique s’appuient sur une fracture structurante de la vie politique, sur un enjeu de grande ampleur sur lequel ils s’appuient et fondent leur système de valeurs. Même le CDH, malgré sa volonté de rompre avec l’image d’un parti essentiellement chrétien, reste un parti centriste d’inspiration personnaliste. Il reste quelque chose du CDH dans Les Engagés. Mais le programme des Engagés s’est construit au contact des citoyens, avec une grande liberté d’expression, et au lieu d’être composé de synthèses entre droite et gauche, il présente des propositions assez tranchées, tantôt de droite, tantôt de gauche. Ainsi, Les Engagés peuvent se targuer de s’être construits au-delà des divisions. Leur démarche a été une réussite et leur communication plus sereine que celle du MR les a aidés. Mais pour eux, le moment de vérité sera l’élection de 2029.

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La réussite des Engagés ne repose-t-elle pas sur la personnalité du président Maxime Prévot ?

Je pense que cela vient d’abord de la lucidité collective. Nous ne pouvons pas maintenir en vie un parti fondé sur un électorat catholique vieillissant. Joëlle Milquet (ancienne présidente du CDH) en était déjà consciente il y a 25 ans. Mais la transformation du CDH n’est pas allée assez loin. Le recrutement d’un professeur de l’ULB qui se revendique libre penseur (Yves Coppieters, NDLR)c’est une démarche qu’ont franchie Les Engagés, contrairement au CDH.

Même question pour les libéraux : le succès du MR ne tient-il pas principalement à la communication perturbatrice de son président, Georges-Louis Bouchez, qui se comporte comme si la Belgique disposait d’un système de vote majoritaire ?

C’est vrai qu’il a adopté un ton assez nouveau dans la francophonie. Mais, pour moi, le succès du MR tient aussi à un effet de contexte : en Wallonie, l’impression que le PS exerce une hégémonie persiste dans les esprits. En jouant la rupture avec le Parti socialiste, qui n’a passé qu’une seule législature dans l’opposition depuis 1988, tant au niveau wallon qu’au niveau fédéral, le MR a touché les franges de la population qui considèrent que leurs problèmes ne sont pas résolus. Mais dans 5 ans, ce discours de rupture n’aura plus de sens. Peut-être même que la pause sera liée au duo MR/Engagés.

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“Il est beaucoup trop tôt pour dire que la Belgique a définitivement viré à droite”

Quel regard portez-vous sur la montée du PTB et du Vlaams Belang dans les majorités communales ?

Pour Belang, c’est inquiétant. Est-il censé être durable ? On aurait tendance à dire « oui ». L’audience de Belang est forte depuis longtemps à Ninove (où il dispose de la majorité absolue) et dans d’autres communes. Quant à l’issue de son accession au pouvoir, elle est imprévisible. Le problème pour Belang est qu’une partie de son programme est inapplicable en droit. Il fera face à des recours devant la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État. Est-ce que cela lui brisera les ailes parce qu’il ne pourra pas tenir ses promesses ? Ou cela lui permettra-t-il de dénoncer davantage le système en affirmant que les lois et les juges l’empêchent d’exécuter la volonté des électeurs ? Nous n’en savons rien. Je serais moins inquiet pour le PTB. Ce parti marxiste a un programme de rupture à l’échelle mondiale, par rapport aux normes européennes et au capitalisme. Mais au niveau local, il ne pourra rien faire d’autre que promouvoir des politiques plus progressistes. Je ne vois pas pourquoi cela poserait un problème.

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Cela pourrait normaliser l’idée d’une coalition PS-Eco-PTB dans 5 ans au niveau régional…

C’est peut-être la stratégie du PTB : «Montrons qu’au niveau municipal, ça va bien ». La porte est peut-être ouverte à une grande coalition de gauche qui, au terme de 5 ans de législature de centre-droit en Wallonie, satisferait une nouvelle volonté d’alternance. Il est bien trop tôt pour affirmer que la Belgique a définitivement viré à droite.

 
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