Le samedi 21 décembre 2024, l’auditorium du Musée des civilisations noires (MCN) de Dakar a été le théâtre d’une conférence commémorative marquant le 80e anniversaire des massacres de tirailleurs sénégalais à Thiaroye. Le thème de ce colloque intitulé « De Sétif à Thiaroye : les ombres de l’histoire, les archives dans la mémoire des violences coloniales », a réuni des universitaires, des archivistes-documentalistes, des bibliothécaires, des historiens, des sociologues, ainsi que des étudiants du lycée John F. Kennedy. École et grand public. Le professeur Mamadou Diouf de l’Université de Columbia, qui était président du comité de commémoration de Thiaroye 44, a honoré l’événement de sa présence. Était également présent le docteur Adama Aly Pam, maître de conférences, expert en archivistique et en histoire. Il est archiviste en chef au siège de l’UNESCO à Paris où il est en charge du service des archives historiques, de la gestion des documents administratifs et de la bibliothèque.
VIOLENCE COLONIALE SYSTÉMATIQUE
Les discussions ont mis en évidence l’ampleur de la violence infligée par le système colonial sur les plans économique, culturel et physique. Les massacres de Sétif (Algérie) et de Thiaroye (Sénégal) ont été présentés comme des épisodes emblématiques de l’injustice coloniale. Thiaroye, en particulier, apparaît comme un tournant, marquant un tournant dans la répression des revendications des tirailleurs rapatriés. Ceux-ci, après avoir combattu sous le drapeau français, furent trahis, assassinés et enterrés en silence. Le docteur Adama Aly Pam, responsable des archives de l’Unesco à Paris, a posé au début de sa présentation la question suivante à l’auditoire : « Pourquoi plus d’un million de morts entre 1944 et 1962 sont-ils tombés dans l’oubli quasi total ? dans les consciences collectives des pays victimes des massacres coloniaux ? Selon l’archiviste en chef de l’UNESCO, « pour moi, c’est avant tout la colonialité. Car l’une des principales caractéristiques de la colonialité est de faire oublier. Il a également souligné que la colonisation était en soi une forme de violence, imposant une administration étrangère et exploitant les ressources locales tout en perturbant les identités culturelles. Ces dynamiques ont été renforcées par une stratégie d’élimination méthodique des traces historiques, visant à contrôler le récit et à imposer une mémoire favorable aux autorités coloniales.
LES ARCHIVES : OUTILS DE POUVOIR ET DE RÉSILIENCE
« Les archives sont des témoins silencieux du passé », a déclaré le Dr Pam, rappelant que ces documents sont essentiels pour comprendre et analyser la violence coloniale. Il a expliqué que les archives, loin d’être neutres, reflètent des luttes de pouvoir et constituent un enjeu de pouvoir. Leur accès limité et leur manipulation historique par les anciens colonisateurs ont contribué à produire l’oubli.
Par ailleurs, le responsable des archives de l’UNESCO a fustigé la notion d’archives de souveraineté. Selon lui, cela reflète la volonté de domination de l’entreprise coloniale en monopolisant les éléments d’archives pour cacher les atrocités commises. Et celui de « gestion des archives » ne veut rien dire. « Malgré ces obstacles, des initiatives voient le jour pour rétablir la vérité. De récentes missions de chercheurs dans les archives françaises ont permis d’identifier les noms et visages de tirailleurs jusqu’alors réduits à des chiffres. Ces efforts illustrent la capacité des archives à ressusciter des histoires oubliées et à rétablir la mémoire collective.
UN APPEL À LA JUSTICE ET À LA RÉCONCILIATION
Dans son discours, le conseiller technique n°1 du ministre des Sports et de la Culture, représentant les autorités sénégalaises, a annoncé des mesures significatives pour ancrer cet épisode tragique dans l’histoire nationale. La création d’un Conseil national de la mémoire et d’une Maison des archives a été proposée. Ces initiatives visent à préserver le patrimoine historique et à promouvoir une réconciliation durable. Le Dr Pam a également appelé au renforcement des institutions patrimoniales et à l’intégration de Thiaroye dans les programmes scolaires. « Il ne suffit pas de se souvenir lors des commémorations. Nos enfants doivent apprendre cette histoire pour mieux comprendre leur présent et construire leur avenir », a-t-il déclaré.
La conférence a conclu sur l’importance de transcender les divisions nationales pour faire de la mémoire de la violence coloniale un problème mondial. Les intervenants ont souligné la responsabilité collective de préserver cette mémoire, non seulement pour honorer les victimes, mais aussi pour déconstruire les mécanismes de domination qui persistent aujourd’hui. Cet événement a réaffirmé que se réapproprier son histoire est un acte de résilience et de justice. Thiaroye n’est pas seulement un lieu, mais un symbole puissant des luttes pour la dignité et l’émancipation.