Le clan al-Assad a caché sa fortune à Genève

Au lendemain de la chute du dictateur syrien Bachar al-Assad, le Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall a rendu une décision retentissante concernant la fortune du clan.Getty ImagesEurope

La vieille élite autour du dictateur déchu Bachar al-Assad avait déposé des millions à Genève. Les jugements révèlent le nom de la banque impliquée – et la réaction des autorités.

Andreas Maurer / ch médias

Le 8 décembre, après 24 ans de règne, Le dictateur syrien Bachar al-Assad a fui le pouvoir. Le lendemain, le Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall a rendu une décision retentissante en examinant la plainte de Ghada Adib Mhana, la tante d’Assad. Agée de 76 ans, elle réclame l’accès à ses millions bloqués en Suisse pour quitter la Syrie et s’installer à Dubaï.

Une tante protestataire

Dans sa plainte, Ghada se décrit comme une « femme âgée menant une vie paisible » et sans lien avec les affaires politiques ou économiques syriennes. Pourtant, en tant que veuve de Mohamad Makhlouf, oncle maternel d’Assad et patriarche du puissant clan Makhlouf, elle reste associée aux réseaux économiques du régime.

Après avoir hérité d’un compte joint chez HSBC à Genève, elle a tenté de retirer ses fonds en 2022, mais les sanctions européennes et suisses l’en ont empêchée. Ces sanctions, adoptées en 2011 lors de la répression brutale du Printemps arabe, visaient à priver l’élite syrienne de ressources financières. Les autorités craignaient que ces millions ne servent à financer les exactions du régime.

Image : Watson

Le Tribunal administratif fédéral a rejeté sa plainteaffirmant que son appartenance au clan Makhlouf suffisait à justifier les sanctions. Malgré sa séparation d’avec son mari, Ghada reste liée au système financier familial.

Image : Imago

Bloquer les fonds pour empêcher un héritage

Les gouvernements voulaient empêcher que la richesse de Makhlouf soit transmise à la génération suivante. Bien que les fils du patriarche aient signé une déclaration renonçant à réclamer des fonds à la Suisse, les autorités craignaient toujours que les millions de Genève ne soient utilisés pour les atrocités du régime. Ghada Mhana a plaidé qu’elle menait une vie indépendante depuis 2016, lorsque son mari vivait avec sa seconde épouse et leur fils. Elle dénonce une décision arbitraire privant une vieille femme de son argent au seul motif de ses liens familiaux.

Le Tribunal administratif fédéral a toutefois jugé que, selon les règles des sanctions, il suffisait d’être membre du clan Makhlouf, qui contrôlait le système économique syrien, pour être visé. Même si Ghada Mhana vivait séparée du patriarche, elle restait liée à son système financier, formant avec lui une communauté conjugale. La plainte a donc été rejetée.

Pour le grand public, il est difficile de comprendre le système syrien. La plupart des membres du clan n’ont même pas de photos en ligne, préférant exercer leur pouvoir discrètement. Des exceptions existent, comme les petits-enfants Mohammad et Ali, qui affichent leur richesse sur Instagram.

Mohammad Makhlouf

Image : instagram

Le Tribunal administratif fédéral connaît néanmoins le réseau de pouvoir de l’ancienne élite syrienne, pour avoir déjà étudié plusieurs affaires similaires impliquant des oligarques du clan Assad-Makhlouf. Tous ont tenté en vain de débloquer leurs avoirs gelés en Suisse.

An opportunist uncle: Mohamed Makhlouf

Mohamad Makhlouf, patriarche du clan, est une figure clé de l’essor économique du régime. Dans les années 1970, il profite du coup d’État de Hafez al-Assad, son beau-frère, pour obtenir des monopoles dans des secteurs stratégiques comme le pétrole, le tabac ou les banques syriennes. En 2002, il ouvre un compte chez HSBC à Genève, utilisant un passeport diplomatique attestant de son rôle au sein du ministère syrien de l’Économie.

Mohamad Makhlouf

Mohamad MakhloufImage : Facebook

Lorsque les sanctions ont été introduites en 2011, Makhlouf a tenté de transférer 10 millions de dollars vers la Syrie, prétendant être un investissement. Les autorités suisses ont bloqué la transaction, soupçonnant une manœuvre visant à contourner les sanctions.

Un cousin d’affaires : Rami Makhlouf

Rami Makhlouf, 55 ans, fils de Mohamad et cousin de Bachar, est longtemps resté l’homme le plus riche de Syrie, avec une fortune estimée à trois milliards de dollars. Présenté comme un brillant entrepreneur, il a bâti son empire sur le réseau mobile Syrietel et les licences exclusives de zones hors taxes.

Ces privilèges étaient le résultat direct du système corrompu établi par son clan. En 2020, Rami a perdu les faveurs du régime après un conflit avec la première dame syrienne, Asma al-Assad, sur la redistribution des bénéfices. Il a ensuite publiquement critiqué le régime sur Facebook, révélant des astuces pour contourner les sanctions via des sociétés écrans.

Rami Makhlouf

Rami MakhloufImage : Facebook

Cette information n’est pas fausse, mais elle donne une image déformée de la réalité. En réalité, il doit tout au système corrompu. Lorsque l’ancien dictateur Hafez Al-Assad est décédé en 2000 et a transmis le pouvoir à son fils Bashar, le pouvoir économique a également été transmis à la génération suivante parmi les Makhloufs.

Rami Makhlouf obtient ainsi une licence exclusive pour son réseau de boutiques hors taxes, qui organise les flux de marchandises à travers le pays. De même, le développement de Syrietel n’était possible qu’avec une licence d’État. Il contrôlait également des sociétés d’aviation, pétrolières, de construction, d’importation et immobilières.

C’est ainsi que Rami Makhlouf est devenu l’homme le plus riche de Syrie dans les années 2000. Sa fortune est estimée à trois milliards de dollars. Il faisait partie de l’entourage d’Al-Assad et était responsable de la gestion économique du pays, comme l’a établi le Tribunal administratif fédéral dans une décision de 2015. Le TAF a ainsi confirmé les sanctions prises à son encontre et lui a refusé l’accès à son compte en Suisse, qu’il gérait en francs.

En 2020, un événement extraordinaire s’est produit : Rami Makhlouf a perdu le soutien du régime syrien. Diverses enquêtes de presse indiquent que cela serait dû à une dispute avec la première dame syrienne, qui exigeait des Makhlouf des contributions plus élevées aux bénéfices. Elle subissait la pression d’hommes d’affaires syriens qui ne parvenaient guère à gagner de l’argent en parallèle.

Rami Makhlouf ouvre alors un compte Facebook et publie des vidéos dans lesquelles il critique le régime. Il a également révélé qu’il était très facile de contourner les sanctions en utilisant des couvertures.

Hafez Makhlouf, le bricoleur

Autre cousin d’Assad, Hafez Makhlouf a dirigé les opérations des renseignements syriens, notamment la répression sanglante des manifestations. Bien qu’il ait tenté de minimiser son rôle en prétendant se préoccuper uniquement de la lutte contre les médicaments contrefaits, le Tribunal administratif fédéral a rejeté sa défense. Il aurait également falsifié un document pour étayer ses déclarations.

Banque HSBC, le mardi 10 février 2015, sur la Paradeplatz à Zurich. Des journalistes de plus de 40 pays ont présenté lundi les résultats d'une enquête commune sous le titre

Image : CLÉ DE CLÉ

Malgré ses tentatives pour débloquer ses avoirs en Suisse – notamment trois millions de francs chez HSBC – ses demandes ont été refusées.

Bushra al-Assad, la sœur ambitieuse

Bushra al-Assad, souvent décrit comme plus intelligent que ses frères, a quitté la Syrie pour Dubaï au début du conflit, invoquant son éloignement du régime.

Le Tribunal administratif fédéral a toutefois jugé que son départ était davantage motivé par la recherche d’une meilleure éducation pour ses enfants que par un véritable désaveu politique. Ses plaintes visant à accéder à ses fonds en Suisse ont également été rejetées.

Le cliché d’un clan

La fuite de Bachar al-Assad vers Moscou a marqué un tournant dans l’histoire du clan. Certains membres, comme Ihab Makhlouf, ont tenté d’échapper au chaos. Ihab, le cousin d’Assad, a été tué par des rebelles alors qu’il fuyait vers Beyrouth. D’autres, réfugiés à Dubaï, se présentent désormais comme des opposants au régime, malgré leur implication passée.

La Suisse reste un acteur central dans ces affaires, notamment en raison de la concentration des fonds du clan chez HSBC à Genève. L’avocat genevois Eric Hess, représentant plusieurs membres du clan, a systématiquement refusé de commenter ces dossiers, invoquant le secret professionnel.

Les jugements suisses offrent un aperçu unique des mécanismes financiers d’un régime autoritaire. A travers ces affaires, la Suisse s’affirme comme un acteur clé dans l’application des sanctions internationales, révélant les limites des tentatives des élites syriennes pour protéger leur fortune. Les millions gelés à Genève témoignent de la lutte contre l’impunité des anciens oligarques du régime Assad.

Traduit de l’allemand par Anne Castella

Le point sur la situation en Syrie

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Google News Showcase va-t-il soulager les médias en Suisse ?
NEXT Une victoire qui fait du bien