Un char Léopard. Image : clé de voûte
Le Parlement a récemment accordé un demi-milliard supplémentaire à l’armée. De l’argent qui n’a pas toujours été bien investi par le passé.
Henry Habegger / ch médias
L’armée pourra dépenser 530 millions supplémentaires l’année prochaine. C’est ce qu’a décidé le Conseil des Etats la semaine dernière, après le Conseil national. Au total, l’armée disposera de 2,7 milliards pour du matériel de guerre. Même parmi ceux qui ont voté pour l’enveloppe, on se demande si c’est vraiment une bonne chose.
Ne va-t-on pas, une fois de plus, jeter l’argent par les fenêtres ? En analysant ce qui s’est passé dans le passé, nous avons effectivement de quoi nous inquiéter.
Avions en papier
Il y a dix ans, le ministre de la Défense Ueli Maurer (UDC) était confronté à un problème plus grave. Il avait tout misé sur le Gripen, soutenant corps et âme le projet, sans même penser à un plan B.
Maurer et un mini-Gripen (archives)Image : CLÉ DE CLÉ
Mais le Gripen a explosé en plein vol lors du vote populaire de 2014. Maurer a donc fait pression sur les acheteurs pour qu’ils trouvent autant de solutions que possible en cas d’urgence. Objectif : dépenser le budget militaire. C’est ainsi qu’est né le « Programme d’armement 15+ », qui a coûté 874 millions.
Camions Duro
Le point principal de ce programme éclair était l’entretien de 2220 camions Duro – 558 millions. Pour la somme faramineuse de 250 000 francs par véhicule, GDELS-Mowag les a remis à neuf un à un, notamment en les équipant d’un nouveau moteur Fiat.
Un dur.Image : CLÉ DE CLÉ
Les drones Hermès
Des drones Hermès. Les drones israéliens Hermes ont été acquis dans le cadre du programme d’armement régulier – toujours sous l’ère Maurer – pour 250 millions. Même si là aussi, la question du calendrier peut se poser. Conséquence : des années de retards de livraison. Les six drones auraient dû arriver dès 2019. «Jusqu’à présent, nous en avons reçu cinq», explique la porte-parole d’Armasuisse, Samanta Leiser. Le dernier devrait être prêt au troisième trimestre 2025.
Mortier 16
L’armée a validé un achat de lance-mines d’une valeur de 404 millions en 2016. Il s’agissait d’une arme développée en interne, qui n’existait que sous forme de prototype. L’appareil devait remplacer le lanceur de mines blindées de 12 cm, mis hors service en 2009. Et une fois de plus, la politique a mis la pression sur le timing, à la suite de l’échec du Gripen. Le Contrôle Financier le regrettera plus tard. Le système aurait dû être introduit à partir de 2018. On parle désormais d’une livraison en 2025.
Des cas comme celui-ci ne sont pas nouveaux. Même les fichiers plus anciens ne sont pas vraiment rassurants :
Le mirage
En 1961, le Parlement vote un crédit de 871 millions pour 100 avions de combat. L’Armée de l’Air avait délibérément omis d’inclure des coûts tels que l’équipement. En 1964, le législateur refuse un crédit supplémentaire de 575 millions et crée le premier CEP de l’histoire de la Suisse. Au final, cela n’a suffi que pour 57 Mirage, et une rallonge de 150 millions était encore nécessaire.
Le char Léopard 87
A partir de 1984, la Suisse a acquis au total 380 chars de combat Leopard 2, pour un montant de 3,53 milliards. Les derniers chars étaient à peine livrés en 1998, le ministre de la Défense Adolf Ogi (UDC) déclarait au Conseil des Etats :
« Je dois en outre mentionner que nous devons démolir les 148 Leopard »
Pour des raisons économiques, après la chute du mur de Berlin. Les chars valaient 1,3 milliard chacun. Avec l’invasion russe de l’Ukraine, on a dépoussiéré les « Léos » : la Suisse en a cédé 25 à l’Allemagne.
L’obusier blindé M-109
581 exemplaires furent achetés à partir de 1968, dont 348 modernisés dans les années 90 pour 600 millions. Et cela même si les dirigeants de l’armée savaient qu’ils n’auraient besoin que de 224 machines à l’avenir, en raison de la réduction des effectifs. Un mauvais investissement de 100 millions dénoncé par le Gazette quotidienne en 2002. Le M-109 doit désormais être remplacé en 2025, un an plus tôt que prévu, par un système d’artillerie allemand : le char Piranha IV.
Des problèmes informatiques aussi
Les observateurs estiment que les risques de débâcle se sont récemment déplacés vers le numérique et qu’ils ne diminuent pas. On parle de projets trop ambitieux, actuellement poussés notamment par le chef de l’armée Thomas Süssli. Elles aboutiront encore plus probablement à une faillite financière monumentale.
- Le Système d’Information et de Contrôle des Forces Terrestres (SIC FT). Le premier du genre était également connu sous le nom de « General’s Digital Hill ». Décidé en 2006 pour un montant de 736 millions, ce mastodonte n’a jamais vraiment décollé, « faute d’infrastructures de communication suffisantes », indiquait le Contrôle financier en 2023.
- Surveillance de l’espace aérien. Le projet C2AIR fait actuellement couler beaucoup d’encre. Il doit permettre de renouveler le système Florako, obsolète et susceptible de tomber en panne à tout moment. Mais C2AIR a déjà coûté plus de 300 millions et est en retard de plusieurs années, selon la SRF. Là NZZ explique que Thomas Süssli souhaite absolument un système géré via la nouvelle plateforme de numérisation de l’armée (NDP). L’objectif : « un champ de bataille entièrement numérisé ».
Thomas Suessli, chef de l’armée.Clé de voûte
Alors, faut-il s’attendre à de futurs échecs militaires ?
Armasuisse tire la sonnette d’alarme: tout est sous contrôle
Concernant la surveillance de l’espace aérien, le porte-parole d’Armasuisse reconnaît que « mener en parallèle les deux projets complexes » de remplacement des systèmes de commandement est « très exigeant ». Et cela est dû à « la forte dépendance à l’égard d’autres systèmes et infrastructures existantes ». Mais les équipes travaillent intensément et le projet « a redémarré début décembre, après une interruption ». A suivre donc.
Armasuisse affirme toujours avoir la situation sous contrôle: «En principe, les projets sous notre responsabilité sont sur la bonne voie, tant sur le plan financier qu’en termes de délais», explique le communicant. Il n’y aura pas de dépassement des crédits accordés, mais des priorités doivent néanmoins être fixées en tenant compte des finances fédérales « ainsi que du besoin important de rattrapage pour renforcer la disponibilité de la défense ». De quoi bousculer un peu les plans.
(Traduit de l’allemand par Valentine Zenker)