La pandémie de Covid a révélé à quel point l’Europe dépend de l’Asie pour son approvisionnement en médicaments. La France a donc décidé de rapatrier totalement la production d’analgésiques sur son territoire.
Pascal Michel / ch média
Paracétamol ou ibuprofène ? Le choix de l’analgésique révèle des différences culturelles. Le premier est très populaire en Suisse. L’année dernière, les compagnies d’assurance maladie ont payé au total 430 millions d’euros pour des analgésiques, dont 56 millions pour des produits à base de paracétamol, comme le Dafalgan.
Cet actif est encore plus apprécié en France, où on le trouve systématiquement en pharmacie familiale. Nos voisins achètent 538 millions de cartons par an. La situation est bien différente en Allemagne, où le médicament le plus vendu reste l’ibuprofène.
On a compris pendant la pandémie à quel point ces préférences nationales en matière de remèdes étaient ancrées. Au début de la crise sanitaire, le ministre français de la Santé recommandait sur Twitter de ne pas avaler d’ibuprofène en cas de maladie, car cela pourrait constituer “un facteur aggravant de l’infection”. Il s’est justifié en expliquant que l’ibuprofène est plus efficace contre l’inflammation que le paracétamol.
Mais cet argument s’est révélé plus tard faux. Qu’importe, l’annonce des autorités a fait son plein effet : au printemps 2020, les Français ont acheté encore plus de paracétamol. Et pour éviter un effondrement des approvisionnements, il a fallu le limiter à deux cartons par personne.
Deux ans plus tard, lorsque l’obligation de porter un masque a été levée et que toutes sortes d’agents pathogènes ont de nouveau été libérés, la situation de l’approvisionnement est restée précaire. Il y avait toujours une pénurie d’analgésiques, notamment sous forme de sirop pour enfants. En Suisse aussi, il y avait parfois des pénuries. Depuis lors, la situation s’est quelque peu améliorée dans notre pays. Mais la situation pourrait encore rapidement empirer à l’approche de la saison des rhumes et autres rhumes.
Alors que Berne utilise les réserves obligatoires pour éviter les pénuries, le président Emmanuel Macron a choisi une autre voie. Il avait déjà annoncé pendant la pandémie qu’il ramènerait la production de paracétamol sur son sol. Il devrait à nouveau être fabriqué en France, du principe actif jusqu’au packaging, à partir de 2026. Actuellement, la base du médicament, une poudre blanche et cristalline, provient principalement de Chine et d’Inde. Cela crée une forte dépendance à l’égard de ces pays. En cas de crise, ils favoriseront leur propre population, comme nous l’avons vu récemment. L’Europe n’aura que des miettes.
Baisse de prix au piège
Le laboratoire pharmaceutique Upsa joue un rôle central dans le plan « souveraineté sanitaire » de Macron. Elle produit chaque année 450 millions de conditionnements de son médicament phare Dafalgan dans le sud, à Agen. Avec des matières premières importées principalement des États-Unis, d’Inde et de Chine. Cela devrait bientôt changer. L’État français investit 120 millions d’euros dans une nouvelle usine de paracétamol à Rousillon, les sociétés Upsa, Sanofi et Sequens. Par ailleurs, Paris renonce à une baisse de prix pendant deux ans. Aujourd’hui, une boîte de Dafalgan coûte 2,18 euros en pharmacie. Le fabricant reçoit 76 centimes.
La Suisse pourrait bénéficier de cette délocalisation vers l’Europe. Dans notre pays aussion apprécie les boîtes rouges et blanches, parmi les analgésiques les plus vendus. Toutefois, la pression sur les prix est massive. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) surveille régulièrement cette situation et milite en faveur d’une réduction – pour le bien des assurés. Mais cela provoque un effet secondaire : l’industrie pharmaceutique finit par renoncer à produire un remède lorsqu’elle ne génère plus de revenus suffisants. En Suisse, une boîte de 30 comprimés de Dafalgan (500 mg) coûte 11,60 francs en pharmacie. Seulement 2,19 francs finissent dans la poche du fabricant. Pour le sirop pour enfants, ce montant n’est même que de 1,38 franc.
«Nous ne gagnons plus rien», déclare Patrick Leimgruber, directeur d’Upsa Suisse, à CH Media. Selon lui, continuer à baisser les prix de références critiques comme Dafalgan n’est pas sans risque. Aujourd’hui déjà, les fabricants doivent dépenser de l’argent. “Si la situation persiste, les analgésiques pourraient même disparaître du marché à terme malgré une forte demande.” Le dirigeant souligne que son entreprise s’engage à approvisionner la Suisse conformément à ses besoins. Mais cela ne fonctionne pas toujours, comme le montre un coup d’œil dans la base de données du pharmacien hospitalier Enea Martinelli. Depuis le Covid, il y a des pénuries régulières de certains types de Dafalgan.
Le Conseil fédéral a fini par entendre les appels à l’aide de l’industrie pharmaceutique. Pour sécuriser les approvisionnements, le gouvernement a récemment ordonné diverses mesures : outre les facilités d’importation et l’extension des réserves obligatoires, il entend mettre un terme à la politique de tarifs douaniers bas. Concrètement, l’exécutif doit obtenir la compétence pour définir les médicaments critiques, alors exclus des vagues de baisses de prix. Le Parlement étudie actuellement cette modification de la loi.
Patrick Leimgruber salue ces initiatives. Tout comme l’idée de conclure des « contrats de capacité » avec les constructeurs. La Confédération s’engagerait ainsi à acheter des quantités prédéfinies. En échange, les fabricants garantissent la livraison.
« Nous sommes toujours prêts à discuter pour améliorer la sécurité d’approvisionnement »
Patrick Leimgruber
Intervient aux entreprises
Le Conseil fédéral va certainement bien plus proche que les projets de relocalisation d’Emmanuel Macron ou encore la demande du Parti socialiste suisse de nationaliser le géant générique Sandoz. Cela coûterait des milliards. Mais Berne peut sans aucun doute passer des paroles aux actes plus rapidement et à moindre coût.
Parce que la politique française ne peut pas non plus contrecarrer les forces des marchés mondiaux. C’est ce qu’a récemment montré une annonce du deuxième grand producteur français de paracétamol, Sanofi. Le groupe souhaite céder la majorité de sa division Opella, qui produit entre autres du Doliprane, à un fonds d’investissement américain.
Ce projet alimente les craintes de délocalisation de la célèbre tablette. Pour des raisons de sécurité, Emmanuel Macron a déjà posé des conditions à la transaction et a racheté l’entreprise avec des fonds publics d’environ 150 millions d’euros. Tout cela pour que les Français puissent encore retrouver leur cher paracétamol en pharmacie.
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(Traduit et adapté par Valentine Zenker)