Un drôle d’exercice pour François Bayrou. Nommé Premier ministre mais pas encore doté de Gouvernement, le locataire de Matignon affrontait seul les « Questions au Gouvernement » ce mardi 17 décembre à l’Assemblée nationale. Un exercice d’autant plus solitaire qu’il concentre tous les tirs adverses.
Ceux-ci n’ont pas manqué alors que le choix de François Bayrou pour rester maire de Pau et présider son conseil municipal, lundi 16 décembre, a fait l’objet de nombreuses critiques. Le président macroniste de l’Assemblée a annoncé la couleur dans la matinée dans une déclaration qui raconte implicitement la nouvelle relation entre le Premier ministre et le Président. Yaël Braun-Pivet a affirmé sur Franceinfo qu’elle aurait “préféré que le Premier ministre prenne l’avion pour Mayotte”, dévastée par le cyclone Chido, plutôt que d’assister au conseil municipal de Pau.
“Personne n’a compris le message”, a déclaré Marine Tondelier, pour EELV, en s’étendant sur le poste d’édile pour le retour du cumul des mandats locaux et nationaux. Il a plutôt démontré que lorsque nous essayons de tout faire, nous faisons tout de travers. » Même ton pour Fabien Roussel, secrétaire national du PCF : « Il fait ses choix et il n’a pas fait le bon choix. Il a privilégié le local, mais, quand vous serez Premier ministre et avec une telle responsabilité nationale, vous regarderez le sort de centaines de milliers d’habitants qui sont au bord du précipice. »
“Tu n’aurais pas dû”
Alors que la séance des questions a débuté mardi après-midi, le premier magistrat de Pau s’attendait forcément à un retour de la fièvre. “Vous n’auriez pas dû aller à Pau pour conserver un mandat, mais à la réunion de crise à l’Élysée pour assumer votre nouveau rôle”, a tempêté Mathilde Panot, chef de file des députés LFI à l’Assemblée, évoquant “le mépris”.
«C’est extrêmement simple», répond François Bayrou, au micro devant les bancs des ministres désertés. J’étais à la réunion de crise avec le président de la république. J’étais là de la première à la dernière minute. Simplement, j’ai participé en visio comme le Ministre de l’Intérieur a participé en visio depuis La Réunion. » François Bayrou s’est connecté depuis la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, juste avant le conseil.
« Il y a une rupture que vous ne ressentez peut-être pas entre la vie en province et le cercle du pouvoir à Paris »
“Je dois vous dire que Pau est en France”, a poursuivi le maire Premier ministre, arguant que s’il avait été maire du 7e arrondissement de Paris ou de Neuilly, la polémique aurait été différente. « Il y a une coupure qu’on ne sent peut-être pas entre la vie en province et le cercle du pouvoir à Paris. »
Le tournage s’est poursuivi avec Boris Vallaud pour le PS ou Steevy Gustave pour les Écologistes. “Votre place n’était pas à Pau”, a insisté le socialiste landais qui a étudié au lycée Barthou, le député d’Oloron Iñaki Echaniz applaudissant à sa fenêtre. « Alors que Mayotte pleure ses morts et tant de citoyens disparus, il nous est incompréhensible que vous ayez privilégié un conseil municipal plutôt que de vous y rendre. Ce choix vous engage. »
Indifférence et mépris envers le député de Mayotte
François Bayrou se lève et répond une nouvelle fois aux ogives. « Vous dites que le Gouvernement n’était pas à Mayotte, ce n’est pas exact. Il y avait deux ministres, le ministre de l’Intérieur et le ministre de l’Outre-mer. Et le président de la République a annoncé qu’il se rendrait à Mayotte. Il n’est pas d’usage que le Premier ministre et le Président de la République quittent le territoire national en même -. » Une petite phrase que l’on peut choisir de lire avec les bonnes ou les mauvaises lunettes, selon que l’on retient que Mayotte est justement un département français ou que l’on comprend que François Bayrou parle de l’éloignement de la métropole.
Plus grinçants encore ont été les propos envoyés depuis l’océan Indien par la députée de Mayotte, Estelle Youssuffa, et lus par son chef du groupe Liot au Palais Bourbon. Après une longue introduction sur la gravité de la situation, elle a constaté : « Mayotte crie au secours, Mayotte est en détresse […]. Pourtant hier [lundi]alors que se tenait une réunion de crise cruciale pour Mayotte, vous avez préféré présider le conseil municipal de Pau. Un choix qui peut susciter indifférence et mépris envers une population en danger. Comment lui justifier ce sentiment d’abandon et d’urgence absolue ? »
“Je sais très bien que l’art de la pédagogie est l’art de la répétition, pour l’avoir pratiqué assez longtemps”, a réitéré François Bayrou dans une virgule. Je vous répète que j’ai participé à la réunion de crise. Comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous, je l’ai fait par vidéo et cette réunion a été fructueuse et précise dans les décisions prises. »
Dans cette avalanche de tirs venus de l’opposition, les observateurs auront remarqué que le Rassemblement national ne s’est pas emparé du pôle. Un signe, peut-être, que le parti de Marine Le Pen n’est pas près de voter la censure. Dans ce type d’exercice, il faut savoir apprécier les bonnes nouvelles.