« Je vois un monde se construire où cela ne suffit pas à dire, hélas ! cet homme ne peut pas y vivre ; il pourra y vivre mais à condition d’être de moins en moins un homme “. Georges Bernanos
C’est en 2013 qu’Alexandre Postel publie « Un homme caché « . Il raconte l’histoire de Damien North, un discret professeur de philosophie à l’université accusé un jour d’avoir téléchargé des images pédophiles sur son ordinateur. Se sachant innocent, il ne réagit pas et tombe alors dans une formidable spirale. » chacun se souvient d’un geste, d’une parole qui, interprétée à la lumière de la terrible accusation, devient autant de preuves contre nous « . À la page vingt-sept, l’auteur écrit : « Entre le faux et le vrai, il y a un espace qui est celui de l’apparition du vrai. C’est l’espace de l’imposture, de la séduction, de l’opinion, de la bêtise aussi. L’apparence de la vérité est le cauchemar de la vérité. »
Le 2 septembre 2024, le procès de l’affaire Pelicot s’est ouvert devant le tribunal correctionnel du Vaucluse. Ceci alors que le cycle des plaidoiries des avocats de la défense s’est terminé le 13 décembre ; par celui de mon intrépide et fougueuse collègue Nadia El Bouroumi. Durant les plus de trois mois de cette audience (inhabituelle par la personnalité du principal accusé et le nombre de ses coaccusés ; mais certainement pas historique dans le sens où elles ont continué à le scander pendant des mois), les « féministes » (relayés sans le moindre recul par une partie importante des médias nationaux et internationaux ; mais très peu par l’opinion publique et par le personnel politique) n’ont cessé d’affirmer que « la masculinité était au cœur de ce procès » ; qu’il était ” celui de la violence contre toutes les femmes » ; celui de leur « nature systémique » ; bref, qu’il était le ” procès sur la culture du viol » qui existerait, selon eux, partout dans le pays.
« L’apparence de la vérité est le cauchemar de la vérité. »
Afin de s’assurer que tel serait bien le cas, la partie civile a immédiatement refusé le huis clos et a, au-delà, exigé avec succès que la Cour diffuse publiquement la quasi-totalité des vidéos. abattue par son ex-mari. Pour que chacun puisse assister, en différé mais jusqu’à satiété, aux actes sexuels atroces accomplis sur elle pendant que, ignominies des ignominies, elle dormait ; parce qu’elle a été endormie pendant des années par celui-là même qui était alors encore son mari et le père de ses enfants. Il est clair que la stratégie a fonctionné. Puisque Madame Pélicot a non seulement fait son entrée, au début de ce mois, dans la liste des cent femmes les plus influentes de l’année ; mais a quand même réussi à convaincre le parquet au point que ce dernier a demandé, à l’encontre de l’ensemble des coaccusés de M. Pélicot, des peines très excessives par rapport à ce qui est habituellement demandé pour punir des faits comparables.
Ceci, au terme d’un réquisitoire aussi express (sur le fond) que surprenant d’avoir été réalisé, par deux voix mitigées, pas exactement au regard du droit en vigueur (comme il aurait dû l’être. En matière pénale , la loi est – pour combien de - encore – soumise à une interprétation stricte), mais ayant invoqué, même implicitement, une loi virtuelle : celle dont Madame Pélicot et ses partisans réclament l’adoption sans plus tarder. En France. Des partisans qui ont fait valoir leurs revendications sur les murs de la ville, sur les murs des maisons situées à proximité du Palais de Justice et même sur les portes de ce dernier !
En violation de l’article 434-8 du Code pénal. Mais sans que le parquet soit déplacé. Car c’est à l’initiative des avocats de la défense que la première, dans les délais, de ces infractions a pris fin (Retrait des affiches ordonnant au Tribunal : « Vingt ans pour tout le monde »).
Les avocats de la défense, dont beaucoup ont été menacés, moqués et harcelés. D’abord pour avoir osé interroger à l’audience la partie civile emblématique, vite devenue intouchable, qu’ils auraient, ce faisant, contribué à humilier un peu plus. Deuxièmement, pour avoir l’indécence de plaider, que la situation de chacun des accusés dans ce procès devait être appréciée à la lumière de l’article 121-3 du Code pénal.
Texte qui précise – c’est pourtant une évidence dans Reason – que « il n’y a pas de crime ou de délit sans l’intention de le commettre « . Ce qui signifie qu’on ne peut pas priver quelqu’un de sa liberté sans être certain qu’il avait non seulement la volonté d’enfreindre l’interdit pénal ; mais aussi et surtout la conscience d’avoir passé cet interdit. Ce qui ne veut pas dire, dans le cas où il acquitterait certains des accusés, que le tribunal correctionnel nierait pour autant les actes sexuels commis par ceux-ci sur Madame Pélicot, contre sa volonté ; donc, que cette dernière n’aurait pas été une victime (civile) de leurs agissements infâmes commis à son encontre.
Copyright Tanguy Barthouil
« En cas de doute, liberté. »
« Dans le doute, la liberté » (« En cas de doute, liberté”). C’est la règle. Depuis l’Antiquité. Et cela doit rester la règle à l’avenir. Pour tous ceux qui sont traduits en justice ; même sous des accusations de viol et/ou d’agression sexuelle. Se défendre, contrairement à ce que tant de gens pensent sans même y avoir pensé, ce n’est pas mentir (mentir ne rapporte pas plus au tribunal que dans la vie en général).
Non ! Se défendre, c’est tenter de convaincre les juges de l’existence objective d’un doute (à condition qu’il y en ait un) ou, lorsque cette voie est fermée parce que les faits sont incontestables et/ou parce que l’accusé les a reconnus, cela explique, au mieux autant que possible, comment il pourrait y arriver. Les juges prononcent volontairement la peine exactement adaptée à la situation qui leur est présentée.
Instaurer un débat contradictoire
Espérer obtenir un résultat prodigieux. Que justice soit dite ! Qui est la quatrième des vertus cardinales (définies par Platon, étudiées par Aristote, puis reprises par la tradition chrétienne, après la Force, la Prudence et la Tempérance). Il existe depuis des - immémoriaux un corpus de règles (procédure pénale) orientées vers un seul but : permettre l’établissement de in fine un débat contradictoire, égalitaire, sans concessions et donc on ne peut plus loyal, devant le juge et à son attention exclusive. ” Tiers impartial et désintéressé» (Éth. NicolasV, 4) ce dernier, gardant le silence, voit et écoute tous les participants au procès.
Non seulement les témoins et les experts, non seulement la partie civile, assistée de son Conseil (dont il ne faut jamais perdre de vue qu’elle n’est pas l’objet, et donc ne doit pas être le centre, du procès pénal – qui est exclusivement entre l’accusateur et l’accusé); mais aussi le Parquet dans toutes ses questions, observations, objections et réquisitoires, puis enfin l’accusé et son avocat. Lesquels parlent en dernier. Après avoir ordonné la clôture des débats, le juge se retire. Protéger secrètement, avec de bonnes intentions, son indépendance – délibéré. Avant de rendre un verdict.
Dans quel état d’esprit doit-il le faire ? Dans ce qui est ordonné par l’article 353 du Code de procédure pénale. Texte, sublime et apparemment écrit par Stendhal, qui prévoit ceci au paragraphe 2 : « Sous réserve de l’obligation de motiver la décision, la loi ne demande pas à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises de rendre compte des moyens par lesquels ils ont été convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles auxquelles ils doivent se conformer. dépendent particulièrement de la plénitude et de la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger, dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression les témoignages ont apportés contre l’accusé, et les moyens de sa défense. » La loi ne leur pose que cette unique question, qui contient toute l’étendue de leurs devoirs : « Avez-vous une conviction profonde ? ».
C’est ce que, depuis Rome, letravail de justice. L’œuvre collective de la Justice qui seule peut garantir nos libertés fondamentales ; parmi lesquels se trouve avant tout la présomption d’innocence. C’est ce que vous, « féministes », aveuglés par votre idéologie, allez détruire sans même vous en rendre compte. L’œuvre de justice, gens habillés, est le trésor que nous avons reçu de ceux qui nous ont formés dans les universités et que nous avons le devoir insigne de défendre, ensemble. Contre toute attente s’il le faut. Pour éviter que le pays ne sombre dans l’arbitraire.
Nous savons depuis des décennies que nous pouvons faire voter n’importe quoi au Parlement. Il est donc possible qu’un jour, cette dernière, arguant notamment (ce qui est pourtant faux) qu’on ne pourrait, en l’état du droit positif actuel, punir le viol d’une victime en état de stupéfaction, adopte, comme l’Allemagne, Espagne ou Suède, une loi qui exigerait que toute personne accusée de viol ou d’agression sexuelle fournisse la preuve positive (verbale, physique !?) du consentement qui lui a été donné par son accusateur concomitamment à la relation sexuelle rétrospectivement contestée. » assura alors Maelström. En raison de ses effets sans doute dévastateurs sur l’équilibre même de la société ; dont la confiance, essentielle entre les membres, serait dès le début et à jamais miné.
« Les lois ne sont pas de purs actes de pouvoir ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur exerce moins d’autorité qu’un sacerdoce. Il ne faut pas perdre de vue (…) qu’il faut être sobre face aux nouveaux développements en matière de législation, car s’il est possible, dans une nouvelle institution, de calculer les avantages que nous offre la théorie, ce n’est pas possible. ce n’est pas connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut laisser le bien, si l’on doute du meilleur ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction elle-même », écrit Portalis, dans son Discours préliminaire du premier projet de Code civil, prononcé le 2 janvier 1801. Il convient de le rappeler aujourd’hui, car l’argument, intemporel, vaut bien entendu aussi pour le législateur criminel.
« Les lois ne sont pas de purs actes de pouvoir ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. »
Le 24 février 2025 débutera à Vannes le procès de quatre mois de l’ex-chirurgien Joël Le Scouarnec ; accusé de 300 viols et agressions sexuelles perpétrés pendant des décennies, principalement contre des mineurs. J’ose croire que la cause de ces victimes mobilisera au moins autant (mais sans vocifération et demande de condamnation) a priori) que celle de Madame Pélicot. Car lorsqu’un navire fait naufrage, comme les canots de sauvetage sont lancés en panique, on n’entend pas les cris : Les femmes d’abord ! les femmes d’abord ! » ; plus ” Femmes et les enfants Tout d’abord ! Femmes et les enfants Tout d’abord« .
« Ils veulent être libres et ne savent pas comment être justes » déplorait l’abbé Sieyès lors de son discours à l’Assemblée constituante du 10 août 1789. Cela mérite réflexion, je pense.
Tanguy Barthouil, avocat au barreau d’Avignon