Même si certains s’accordent à les appeler « les émeutes de décembre 1952 », les soulèvements incendiaires qui ont secoué Casablanca cette année ont été le paroxysme d’un cauchemar on ne peut plus macabre.
Pour mesurer l’ampleur de ces événements, un zoom arrière sur leur cause principale s’impose : en Tunisie, Farhat Hached, héros syndical et nationaliste de premier rang, est assassiné le 5 décembre 1952 près de Radès. Selon plusieurs historiens marocains interrogés, ce leader indépendantiste aurait été assassiné par la Main Rouge, une organisation armée européenne.
Dès l’annonce de son assassinat par les médias, une marée humaine a noirci tout le Maghreb. Dans le même -, l’Union générale des syndicats marocains, en accord avec le parti de l’Istiqlal, a appelé à une grève générale pour protester contre cet acte ignoble. Aussitôt dit, aussitôt fait : les 7 et 8 décembre, Casablanca était au bord de l’apocalypse.
Une ville aux accents apocalyptiques
Pour la France, l’image des vives réactions était trop importante pour être ignorée. Mais elle a à peine eu le - de commenter le sujet que des manifestations pacifiques ont rempli Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech, Agadir et au-delà le 7 décembre.
Mais c’est dans la Ville Blanche que les émeutes atteignent leur paroxysme, débordant sur la Légion étrangère et l’armée. Lequel a eu le mauvais réflexe de tirer à bout portant, voire à bout portant, sur les manifestants, faisant cent à trois cents morts, selon les historiens marocains. Le Résident Général au Maroc dissout l’Istiqlal et arrête ses dirigeants. De nouveaux affrontements rythment l’été 1955 dans cette même ville et se multiplient dans tout le Maroc.
Les événements de Fès, cette bombe à retardement
Jusqu’en 1947, la ville de Fès avait été le théâtre incontournable de la révolte socio-économique des nationaux, mais Casablanca était, dans ces années-là, la ville où la périodicité et la gravité des incidents étaient les plus phénoménales, survenus dans un climat de transition sociale alimentée par les revendications de réformes politiques à la violence du mouvement nationaliste contre l’ordre colonial.
En octobre 1951, les représentations arabes à l’ONU allèrent jusqu’à critiquer la France pour violation des principes de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration des droits de l’homme au Maroc, mais leur démarche fut rejetée par 28 voix contre 23, l’ONU Les États s’y opposent. Cette démarche a été mal accueillie par le ministre Robert Schuman, qui s’est indigné et a estimé qu’il fallait trouver, coûte que coûte, une issue à la torture du peuple marocain.
La demande des États arabes à l’ONU fut néanmoins réitérée en 1952, tant pour le Maroc que pour la Tunisie, et cette fois les Américains acceptèrent de la soutenir, en échange de quoi les résolutions furent formulées sur un ton ferme mais modéré, invitant aux pourparlers. « en vue de l’accession des Tunisiens à la capacité de s’administrer eux-mêmes » et « en vue de développer les institutions politiques libres du peuple marocain ».
Ces interventions à l’ONU ont, selon les responsables français, réconforté « les fauteurs de troubles à Tunis » comme à Casablanca, tandis que les syndicats et partis marocains se sont concentrés sur l’impact maghrébin de l’assassinat du leader tunisien. Ferhat Hached à la veille du premier jour d’agitation.
Le 26 mars 1952, sans recevoir le moindre signe de Paris, le Résident d’Hauteclocque fait déporter Chénik et trois autres ministres du gouvernement tunisien pour les faire remplacer par le pro-français Baccouche, dans une politique que les historiens ont qualifiée de « coup d’État par la force et le fait accompli » et qui a aggravé le climat social non seulement en Tunisie, mais aussi au Maroc.
Le 30 mars 1952, quatrième jour du quarantième anniversaire du protectorat français au Maroc, les manifestations avec des drapeaux se multiplient dans toute la ville, provoquant des vitres brisées, des blessés et des tirs de mitrailleuses. Telle une bouteille jetée à la mer, ces cris de détresse et appels à l’aide ont été relayés dans tout le Maghreb.
En Tunisie, le plan proposé par le Premier ministre français Antoine Pinay est rejeté par les Tunisiens et, à la mi-novembre 1952, les questions marocaine et tunisienne sont inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies. Ces événements auraient pu continuer, mais grâce à l’intervention décisive de l’Istiqlal, la situation s’est rapidement stabilisée. Le parti, malgré l’arrestation de ses dirigeants, réussit à canaliser le mécontentement populaire et à organiser la résistance nationale, préparant ainsi le terrain pour la libération du pays. Bientôt, la pression sur le gouvernement colonial s’accentua, précipitant les négociations pour l’indépendance.