Auteur, chroniqueur, homme politique municipal, gestionnaire et retraité depuis juillet dernier, Michel Labrecque aimerait écrire un livre dont le titre serait : Un petit manuel du vieux militant pour ses petits-enfants. Discussion avec un utopiste pragmatique.
Nous rencontrons Michel Labrecque au cœur de son fief du Plateau Mont-Royal. Pour discuter avec lui des… problèmes de circulation dans la ville. Au café de la Maison des cyclistes (qu’il a cofondé), à deux pas du parc La Fontaine et de la piste cyclable Rachel. Montréal oblige, celui-ci a été détourné en raison de travaux de réaménagement des intersections en « pôles de mobilité durable ».
“Je n’ai aucun problème à parler du vélo et à aborder la question séculaire des maudites pistes cyclables qui enlèvent de la place aux voitures et au stationnement, qui nuisent aux commerces et qui sont dégagées, l’hiver, avant les rues (insulte suprême !) et ces des cyclistes arrogants qui s’abreuvent à l’idéologie de gauche écologiste réveillée et font culpabiliser les automobilistes qui achètent les Tesla d’Elon à des prix élevés pour sauver la planète. Mais j’ai joué dans ce film il y a 30, 40 ans. »
Sauf qu’à l’époque, quand Michel Labrecque parlait du cyclisme dans les médias, tous les journalistes et présentateurs lui disaient : « Va en Hollande, et sois patient. Vous ne ferez pas faire du vélo à nos grands-mères en plein hiver ! »
Mais aujourd’hui, le journaliste veut d’abord savoir quand le vélo est devenu une idéologie. « Toujours », répond Michel Labrecque. Tout comme l’automobile est une idéologie.
— Ce n’est pas un moyen de transport ?
– Non. L’automobile est une idéologie liée à la croissance, au développement industriel et à la surconsommation. Actuellement, des centaines de milliers de voitures chinoises stationnées dans les ports d’Europe et d’Asie ne sont pas achetées. Parce que nous voulons les fabriquer. L’automobile est essentielle à la grande marche industrielle. C’est la deuxième Source de dépenses des gens ; après l’hébergement, et avant la nourriture ! »
Un cocktail de transport
Bien sûr, Michel Labrecque ne veut pas faire pédaler nos aînés dans la neige. Il aimerait cependant qu’on réfléchisse à un autre cocktail de transports, où l’on retrouve les voitures en libre-service, les transports en commun, le covoiturage, la marche, le vélo, le BIXI, etc.
Le nombre de voitures augmente en même - que l’usage du vélo. Dans le cocktail actuel, nous avons négligé les transports en commun. Pour que la motorisation ne progresse pas de manière extravagante, il faut investir des parties de rues et d’avenues. Maintenant, c’est comme si on arrachait les molaires des citoyens !
Michael Labrecque
En trois décennies, avec le développement d’un réseau cyclable de qualité à Montréal et dans la région, la pratique du vélo a augmenté de façon significative et les accidents impliquant des cyclistes ont diminué, constate Michel Labrecque, non sans fierté. « Il y a une forte vague autour de la mobilité durable. Le vélo est devenu LE moyen de transport pour de nombreux citoyens, sans grande campagne de marketing, tandis que la publicité pour l’achat de voitures neuves représente une industrie multimilliardaire. »
« Je dis cela avec beaucoup de prudence. Mais rétrospectivement, nous avons gagné», se réjouit Michel Labrecque. En même -, il ne veut pas culpabiliser le conducteur de la voiture. Selon lui, la société industrielle a organisé nos vies pour nous rendre dépendants de l’automobile.
Les gens sont pressés. Ils rentrent du travail et se dépêchent de se rendre au CPE. Ils s’arrêtent au centre commercial avant le dîner, puis vont emmener les enfants au foot… La voiture est un véhicule d’impatience.
Michael Labrecque
Alors, comment concilier le conducteur pressé et le cycliste invétéré ?
“Cela n’arrivera pas”, répond-il. Nous ne sommes pas dans un processus de réconciliation. Mais en partageant un espace commun limité. Tranquillement, les gens réagissent… Ce n’est pas normal qu’un enfant soit tué par une voiture au coin d’une rue alors qu’il allait à l’école, ou alors qu’il traversait l’avenue du Parc pour faire une course pour ses parents ! Avant, on aurait dit : “C’est un accident, ça peut arriver.” Pas plus. »
Un code de rue
Interrogé sur le syndrome du cône orange et le mépris de la métropole par une partie de la population, l’ancien conseiller à l’hôtel de ville sous Gérald Tremblay s’est dit très fier d’être Montréalais.
«J’adore Montréal! Chaque fois que je reviens d’un voyage, je râle. Je me demande pourquoi nous ne sommes pas plus efficaces. Pourquoi y a-t-il tant de mauvaises choses ? Je suis grincheux, mais j’adore Montréal. Ses quartiers, ses habitants. Les Montréalais soutiennent les projets les plus fous, comme la Tour de l’île, ou Montréal en Lumière, un festival en plein air à 30 degrés sous zéro ! Nous avons le plus beau métro du monde, avec des œuvres d’art dans chaque station. Mais les lieux communs, les préjugés, c’est difficile à démêler. »
Si Michel Labrecque revenait en politique, sa priorité serait de réfléchir à un code de la rue, avec des actions concrètes pour calmer la circulation dans la ville. « Nous ne pouvons pas augmenter la motorisation et ajouter des véhicules 20 ou 30 % plus gros et plus rapides. Mathématiquement, cela ne peut pas fonctionner. »
Le partage de la voie publique est donc au cœur des débats à venir. Et pour tout le monde. « C’est certain qu’on aura toujours besoin de voitures au Québec. Bien entendu, les cyclistes n’ont pas leur place sur les trottoirs ; pas plus que des quasi-motos sur les pistes cyclables. Le vélo doit se faire en combinaison avec d’autres moyens de transport… Mais en ville nous avons privilégié un mode de transport qui tue 1000 personnes par jour dans le monde ! Nous devons ralentir. »
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Questionnaire sans filtre
Le café et moi : Le matin, c’est indispensable, s’il fait très bien ; accessoire, s’il est seulement bon ou ordinaire.
Si vous aviez un don, ce serait : Aucun. Le mot don vient de la même racine que Dieu. Et j’ai fait mien l’aphorisme de Prévert : « Dieu a besoin des hommes, mais les hommes n’ont pas besoin de lui. »
Une lecture mémorable : Tous les livres de Svetlana Alexievitch.
Un événement historique auquel j’aurais aimé assister : Être dans les coulisses de la séance photo « planifiée » du Baiser de l’hôtel de ville, by Robert Doisneau.
Une personne (morte ou vivante) qui m’inspire : Je pense très souvent à ma mère, à sa vie, à son énergie.
Si vous pouviez rassembler des personnes (mortes ou vivantes) autour d’une même table pour un dîner, qui inviteriez-vous ? Une vingtaine de personnes. Pour discuter avec chacun d’eux. Mes grands-parents et mes parents ; Svetlana Alexievitch et Nina Berberova ; les peintres Soulages, Tàpies et Goya (pour parler de l’utilisation du noir en peinture) ; Paul Bocuse (avec qui j’ai dîné quelques fois et qui avait des centaines d’anecdotes à raconter) ; l’artiste multimédia Victor Pilon et la ministre du Tourisme Caroline Proulx; puis Hannah Arendt, Jacques Prévert, Andrea Camilleri, George Orwell… Avec ma copine et moi, ça fait 20 !
Qui est Michel Labrecque?
- Cycliste et grand passionné de vélo, il a occupé divers postes au sein de Vélo Québec et a contribué à la mise sur pied de la Maison des Cyclistes, du Tour de l’île de Montréal et de la Route verte.
- Chroniqueur à la radio et à la télévision, il fait ses premiers débuts dans les médias dans l’émission Plaisirsco-hosted by Pierre Bourgault and Marie-France Bazzo, on Radio-Canada’s Première Chaîne.
- PDG de Vélo Québec de 1985 à 2000
- PDG du festival Montréal en Lumière de 2000 à 2009
- Président du conseil d’administration du Conseil régional de l’environnement de Montréal de 2003 à 2005
- Conseiller municipal, arrondissement du Plateau-Mont-Royal, district du Mile End, de 2005 à 2009
- Président du conseil d’administration de la STM de 2009 à 2013
- PDG du Parc olympique de 2014 à juillet 2024