Un psychodrame politique s’est joué en quelques heures à Séoul, la capitale sud-coréenne, entre le crépuscule de mardi et l’aube du mercredi 4 décembre.
Pendant quelques heures, Séoul a ressemblé à une ville assiégée, avec une Assemblée nationale encerclée par l’armée, des hélicoptères sur le toit, des milliers de manifestants… tout cela après qu’un président soit apparu à la télévision, sans prévenir, en pleine soirée, pour annoncer l’imposition d’une loi martiale d’urgence
.
Dans ce discours, le président Yoon Suk-yeol, visiblement dans une situation désespérée, a parlé de protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes
.
Un refuge pour les criminels
Mais il a également dénoncé avec virulence les forces d’opposition en Corée du Sud même : Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d’opposition a paralysé le gouvernement à cause de mises en accusation et d’enquêtes spéciales.
Quelques heures après avoir imposé la loi martiale, le président sud-coréen change d’avis le 4 décembre 2024.
Photo : Reuters / Kim Hong-Ji
Une déclaration d’une grande violence verbale : Notre Assemblée nationale est devenue un refuge pour les criminels, un repaire de dictature législative qui cherche à paralyser les systèmes administratif et judiciaire et à renverser notre ordre démocratique libéral.
Il a même accusé les forces d’opposition de complicité avec la Corée du Nord, même s’il n’y a, dans l’actualité immédiate, aucune menace particulière venant de Pyongyang (en dehors de celle que représente en elle-même et structurellement la proximité d’une dictature dotée de l’arme nucléaire).
Depuis l’élection en avril dernier d’un Parlement de gauche (dominé par le Parti démocrate), le président de droite Yoon Suk-yeol s’est vu imposer une cohabitation
très dur. Lui-même élu d’un cheveu en mars 2022 (avec 48,6 %, contre 47,8 % pour son adversaire démocrate ; un vrai score américain !), il a entamé la lutte contre les parlementaires.
Une guérilla politique permanente
C’est un combat constant, marqué par une guérilla permanente, dans un pays connu pour ses affrontements violents, sa corruption politique, ses mobilisations monstres dans les rues, ses licenciements, ses assassinats politiques et ses taux de suicide. records (y compris ceux de personnalités éminentes, comme l’ancien président Roh Moo-hyun en 2009).
Mais tout cela sur fond de vraie démocratie, avec de vrais contre-pouvoirs, notamment judiciaires et médiatiques.
Cela fait déjà plusieurs semaines que les appels à la démission du chef de l’Etat et à la mise en place d’une enquête indépendante sur les affaires
impliquant son épouse, tels étaient les slogans des manifestations organisées par l’opposition. Dimanche dernier, le 1er décembre, 100 000 personnes ont fait pression sur le président devant le palais Gyeongbokgung, au cœur de Séoul.
Un rejet massif et immédiat
L’annonce de M. Yoon s’est immédiatement heurtée à un rejet massif : celui de la majorité des hommes politiques de l’opposition et de son propre parti, mais aussi celui d’une population qui, malgré l’heure tardive, est immédiatement descendue dans la rue. Elle scandait : Retrait immédiat de la loi martiale !
, Yoon Suk-yeol, en prison !
ou même Yoon Suk-yeol, dénuement !
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Des soldats sud-coréens tentent d’entrer au Parlement à Séoul après que le président a déclaré la loi martiale.
Photo : Getty Images / AFP/Jung Yeon-Je
L’Assemblée nationale, réunie en catastrophe en pleine nuit alors que les rues étaient pleines de manifestants, a rapidement contraint M. Yoon à faire volte-face. De retour devant les mêmes caméras de télévision six heures après sa première annonce, il a lui-même annoncé qu’il retirait la mesure et convoqué une réunion de son gouvernement pour ratifier cette nouvelle décision. Selon l’agence de presse Yonhap, le gouvernement a finalement officialisé la levée de la loi martiale au petit matin.
Dans la nuit du 3 au 4 décembre, le retour en arrière vers la dictature semble avoir été évité. Après quatre décennies de démocratie, précédées de vingt ans de dictature, il n’y aura pas de rechute, du moins cette fois-ci.
Ce que dit la Constitution
La loi martiale inscrite dans la constitution sud-coréenne n’est envisagée en principe que comme une réponse à une guerre ou à une confrontation majeure avec la Corée du Nord.
Pourtant, bien que Pyongyang ait pris des mesures inquiétantes ces derniers mois – notamment en envoyant des troupes pour aider la Russie dans la guerre en Ukraine – il n’y a actuellement aucune crise militaire nord-sud dans la péninsule qui aurait pu justifier l’urgence
invoquée par le président.
L’article 77 de la Constitution sud-coréenne donne au président le pouvoir de déclarer la loi martiale et de l’appliquer temporairement. mesures spéciales
sur la liberté d’expression, de réunion et d’autres libertés en période d’urgence nationale. Cependant, l’Assemblée nationale a également le droit d’exiger que le président annule la loi martiale, à la majorité simple.
C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait, à l’unanimité (190 contre 0), quelques heures seulement après la déclaration de M. Yoon.
Une morale politique brutale
Malgré des mœurs politiques rudes, la Corée du Sud, où la violence et le radicalisme émergent périodiquement, est un pays généralement classé comme démocratie. solide
et ce depuis trois décennies. Cependant, si l’on remonte un peu plus loin dans le passé, on retrouve également des épisodes d’autoritarisme brutal.
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Les citoyens se sont rassemblés en grand nombre mardi soir devant les portes de l’Assemblée nationale sud-coréenne, après que son président a déclaré la loi martiale dans un discours télévisé.
Photo : Reuters / Kim Hong-Ji
Dans les années 1960 et 1970, et jusqu’au milieu des années 1980, la Corée du Sud a connu des régimes militaires, principalement celui de Park Chung-hee, arrivé au pouvoir démocratiquement en 1962, mais qui a suspendu puis aboli la Constitution au début des années 1970, avant de mettre fin à la Constitution. assassiné en 1979.
La décennie suivante voit un retour progressif à la démocratie, après l’épisode tragique de Gwangju en mai 1980 (révolte populaire d’une ville contre la dictature, écrasée dans le sang par l’armée au prix de centaines de morts).
Dans la seconde moitié des années 1980 – et coïncidant avec un processus similaire à la même époque à Taiwan – un régime démocratique a été établi, avec une nouvelle Constitution garantissant la démocratie pluraliste, la liberté d’expression, etc.
Le retour du pendule
Une alternance gauche-droite a eu lieu. Sur le plan international, elle se manifeste à travers une relation plus ou moins chaleureuse avec les Etats-Unis (la droite étant plus chaud
à ce niveau) et par une relation plus ou moins agressive avec la Corée du Nord (la gauche étant plus réceptive à l’idée d’un rapprochement nord-sud).
Depuis l’élection de M. Yoon, au pouvoir depuis deux ans et huit mois, le ton utilisé avec Pyongyang a radicalement changé. On ne parle plus lyriquement deun seul peuple qui doit un jour se réunir
sur la péninsule coréenne ; nous centrons davantage le discours sur le danger communiste et le péril nucléaire représenté par la dictature grotesque de Pyongyang.
Mais ce retour du balancier signifie aussi un flirt – notamment de la part de ce président populiste élu avec une marge extrêmement étroite – avec les vieilles tendances autoritaires du pays. Avec le thème de l’ennemi de l’intérieur
ce que Yoon Suk-yeol a explicitement repris dans le premier de ses deux discours dramatiques.
La fin de Yoon Suk-yeol ?
La tentative ratée et la pitoyable volte-face de M. Yoon annoncent sans aucun doute la fin de sa présidence. Cet épisode est pour lui une véritable humiliation. Sa présidence était déjà fragilisée par la victoire éclatante de l’opposition aux élections législatives d’avril 2024, par les scandales (les cadeaux reçus par son épouse), par la longue grève des médecins et par une économie encore performante, mais ayant ralenti depuis trois ans (croissance quasi nulle en 2023), ainsi qu’avec un taux d’approbation populaire inférieur à 30 %.
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La police garde les portes de l’Assemblée nationale sud-coréenne alors que les citoyens tentent d’entrer, quelques heures après que le président Yoon Suk-yeol a déclaré la loi martiale mardi soir.
Photo : Reuters / Kim Hong-Ji
Même l’échec rapide de ce qu’on appelle déjà le coup d’État avorté
pourrait représenter le début, plutôt que la fin, d’une nouvelle crise politique en Corée du Sud.
L’épisode rappelle également les problèmes géopolitiques auxquels est confronté le pays : la folle agressivité de Pyongyang ; l’incertitude de l’alliance américaine avec un Donald Trump pas vraiment tendre avec Séoul ; alliances en Europe; et un soutien actif à Kiev, à une époque de guerre et d’implication directe de la Corée du Nord en Ukraine.
Quarante ans après la fin de la dictature à Séoul, 35 ans après la fin de la guerre froide, tout cela ressemble à un retour vers le passé.