Yeast Games, une entreprise atypique qui crée des jeux de société « les plus vertueux possibles » depuis Sort-en-Chalosse

Yeast Games, une entreprise atypique qui crée des jeux de société « les plus vertueux possibles » depuis Sort-en-Chalosse
Yeast Games, une entreprise atypique qui crée des jeux de société « les plus vertueux possibles » depuis Sort-en-Chalosse

Le confort de la maison d’Alexandre Weiss est trompeur. Au cœur de cette résidence typique de Sort-en-Chalosse, les idées foisonnent et leur rentabilité est précaire. A proximité des poules et du potager, ce quadragénaire dirige la société Yeast Games. Un projet initialement associatif perpétué avec quatre associés, dont sa compagne, Gabriela Escarcia, qui « dit toujours qu’elle n’y est pour rien parce qu’elle n’aime pas la lumière ».

Jeux sur cartes postales, jeux de société, soirées enquête : à chaque création son univers. Le SAS créé en 2021 propose un mélange des genres, entre particularités locales, histoire et univers tantôt steampunk, grunge ou encore médiéval fantasy, dans la lignée des premiers amours de ses créateurs : les jeux de rôle grandeur nature.

Gamin d’Heugas, bon à l’école, mais « plutôt rebelle aux cheveux longs qui boit des bières en forêt » durant ses années lycée, Alexandre Weiss avoue : « Heureusement qu’il y avait le club de jeu de rôle à Dax. »

Pas de fumée sans jeu

Enfant, la solitude est devenue le carburant de son imagination : « J’avais du temps et nous n’avions pas beaucoup d’argent. Je me souviens qu’un jeu était proposé en deux exemplaires de « Casus Belli », un magazine spécialisé. J’ai réussi à obtenir la première partie, je n’ai jamais eu la seconde, alors j’ai construit l’autre moitié du jeu. J’avais dessiné une carte à la main sur du liège, avec des épingles, II incarnait les factions des Diadoques (à la mort d’Alexandre le Grand en 323 avant JC, NDLR), je jouais contre moi-même avec des règles à moitié inventées. »

La grande histoire rejoint celle d’Alexandre Weiss. Son séjour en camion en Roumanie, dans les vestiges du communisme, ses voyages au Mexique avec Emiliano Zapata et son compagnon, entrecoupés d’études d’histoire par correspondance, ont fini par façonner l’esprit de ses jeux, dont les scénarios sont principalement co-écrits avec son ami d’enfance et Heugas, Franck Catoire.

Depuis trois ans, leur entreprise est rare dans les Landes, elle se démarque aussi par son local. La dernière production est un jeu de société inédit : « Les moines trappistes brassent de la bière les soirs de pleine lune car ils chassent les loups-garous (il y a aussi un canard-garou, NDLR) pour le mettre dans leur bière. » Comme les deux précédentes créations de ce type, Moonlight Brewers se veut particulièrement vertueux : « Nous produisons des jeux sans plastique, prône Alexandre Weiss. Les compétences locales sont recherchées, mais quand je parle de local, j’entends près de chez moi. On fait nos cartons à Tarnos, on va au Barrouillet à Dax pour les cartes. Et cette année, nouveauté : nous pourrons réaliser nous-mêmes la découpe. » Les jetons seront également des capsules (bière obligatoire) récupérées par un brasseur partenaire.

Mais certaines particularités ont un prix : « 17 euros de coût de production pour une boite, nous vendons le jeu 35 euros. On a fait un devis en Chine pour s’amuser, c’est 4 euros livrés, dédouanés. Le problème, nuance Alexandre Weiss, c’est que je ne veux pas exploiter des gens qui travaillent 55 heures par semaine à 1,50 € de l’heure et avec seulement huit jours de vacances par an maximum. Ma conscience me l’interdit. »


Malgré sa petite boîte, le jeu Moonlight Brewers « prend de la place » une fois déplié.

Amaury Dollez

Une forme d’activisme

Partisan du financement participatif, Yeast Games ne sait pas encore s’il proposera un jour prochainement des Moonlight Brewers à la vente. « Les jeux de société sont un environnement compétitif, les grandes entreprises, les grands éditeurs qui ont beaucoup d’argent, inondent les plateformes de financement participatif et les réseaux sociaux de sponsoring. Là où on avait de la visibilité sur les deux premiers matchs, aujourd’hui, c’est comme si on n’existait pas. »

Un combat s’engage pour réunir les trente contributeurs disparus mais Alexandre Weiss s’y connaît en combat. Ce docteur en histoire contemporaine, spécialiste de la vie quotidienne du militantisme anarchiste et syndicaliste au Mexique et aux Etats-Unis au début du siècle dernier, a même versé un peu de sa thèse dans le premier jeu de Yeast Games.

« De quel côté es-tu ? » » est un jeu de placement de pions, avec des cartes, où les participants incarnent des ouvriers immigrés à New York en 1911. « Un jeu totalement coopératif, certainement basé sur les programmes anarchistes et syndicalistes de l’époque – qui prône une commune libre à New York – mais dont le but n’est pas historique. C’est une uchronie réaliste, ajoute son co-créateur. Nous partons de l’immersion historique vers le jeu. » Et sans aucune propagande. « On ne fait pas de grands discours, on pose les choses et on laisse les joueurs les comprendre. En tout cas, on ne va pas changer le monde avec trois matchs à Sort-en-Chalosse. » Il faut un point de départ.

Version anti-gaspi

Le premier jeu de Yeast Games, « De quel côté êtes-vous ? » », est sorti à 500 exemplaires, dont la moitié en version anti-gaspi. Néophyte à sa création, l’équipe Chalosse a appris sur le tas et non sans accrocs. Problème de colorimétrie, caractères trop gros, il y avait près de 90 000 fiches à jeter, au grand désarroi de « certains contributeurs verts ». “Donc cette année, après avoir laissé un peu de temps pour écouler les stocks, nous avons sorti une version avec ces défauts d’impression, qui n’altèrent en rien la possibilité de jouer”, précise Alexandre Weiss. En ce sens, Yeast Games s’adapte à la demande d’imprimer ses copies de jeux. Son plus grand succès : Bonnie and Clyde (1 000 copies).

 
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