Pics, barres, grilles, rochers… La Fondation Abbé Pierre dénonce la multiplication des mesures destinées à lutter contre la présence de sans-abri dans l’espace public ou devant les vitrines des magasins et des banques. Elle organise une nouvelle édition des Pics d’or, une cérémonie satirique contre ce phénomène.
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Quatre dispositifs anti-sans-abri parisiens ont l’honneur d’être nominés aux Pics d’or 2024 : des pics pointus installés devant une pancarte au 40 rue de Sévigné, dans le 3e arrondissement, dans la catégorie « sans scrupules » ; des barreaux érigés devant une école au 6 allée Darius Milhaud, dans le 19e arrondissement, dans la catégorie « imposteur » ; une plaque discrètement vissée devant une fenêtre au 11 rue Hautefeuille, dans le 6e arrondissement, dans la catégorie « ni vu ni connu » ; et enfin des murs construits sous des arches au 154 boulevard de la Villette, dans le 19e arrondissement, pour le prix du public.
Pour sa 3ème édition organisée ce lundi soir au Théâtre de l’Atelier par la Fondation Abbé Pierre, la cérémonie continue de «dénoncer les installations hostiles qui empêchent les personnes les plus démunies de s’abriter ou de se reposer un peu dans l’espace public, tout en les rendant invisibles et en les éloignant toujours plus des centres-villes« .
Lors de l’événement, qui vise à « »récompenser de manière satirique les mesures anti-sans-abri qui ne cessent de se multiplier en France», les comédiens Blanche Gardin, Amelle Chahbi et Guillaume Meurice sont notamment invités à remettre les prix aux lauréats.
Devant l’une des adresses de la capitale retenues pour cette édition, une vendeuse explique que l’appareil «vient des propriétaires du bâtiment, pas du magasin« . “Ce n’est vraiment pas sympa, et ce n’est pas du tout utile. Ici, les gens ne s’assoient pas au bord des magasins, c’est vide. Et en plus, ce n’est pas pratique pour nous de nettoyer», réagit-elle.
Dans le quartier, les avis divergent. “C’est grave, les sans-abri ne peuvent pas « vivre », ils n’ont pas d’endroit où se loger. C’est pour s’assurer que c’est propre, qu’il n’y a personne dans la rue. Pour qu’on ne s’en rende pas compte», déplore Sasha. “Et l’État n’agit pas. C’est une discrimination contre les pauvres», ajoute Shirel.
“D’un côté, je trouve normal qu’on ne veuille pas que les gens dorment devant les magasins et se salissent. Mais en attendant, c’est triste d’en arriver là, à les empêcher de dormir dans certains endroits, et ça montre qu’il y a beaucoup de monde dans les rues. C’est absurde, les gens ne devraient pas dormir dehors. Ce n’est pas normal qu’il y ait autant de sans-abri», a estimé pour la part Elisa.
“Je suis pour. J’avoue que je n’aime pas voir des SDF devant les magasins, c’est vrai. Honnêtement, ça donne une mauvaise image. Sinon ça devient vite une porcherie, tout est dégueulasse. Je ne blâme pas les sans-abri. C’est une question d’hygiène, de propreté, de sécurité. Il devrait y avoir davantage de places dédiées aux sans-abri, mais je ne suis pas favorable à ce qu’ils restent sur la voie publique“, defends Béatrice.
De son côté, la Fondation Abbé Pierre «dénonce les choix qui conduisent de plus en plus à faire de la ville, de la rue, un lieu inhospitalier et dangereux pour les personnes qui y sont contraintes“, pointant”ces appareils inhumains« . Noria Derdek, responsable juridique de la fondation, rappelle que «les principales victimes sont les sans-abri. Ces rebords peuvent leur permettre de se reposer après une journée d’errance et éventuellement d’y rester longtemps, étant donné qu’ils ne disposent pas d’espace privatif, pas de canapé chaleureux.“
“Ce n’est pas un phénomène récent, on voyait déjà ce type d’appareil dans les années 1990, précise-t-elle. Mais ce sont des procédés de plus en plus utilisés dans les espaces publics et privés, ainsi que sur les bancs. Et ils deviennent de plus en plus agressifs. Et les dispositifs se superposent : on pose déjà des pierres, puis des grilles, puis des blocs… On constate un certain acharnement. Certains appareils peuvent être dangereux, vous pouvez vous blesser sur une pointe si vous trébuchez en regardant votre téléphone par exemple. C’est aussi un moyen de les faire supprimer en s’adressant à la municipalité. On y trouve parfois des lames très tranchantes, et même des fils barbelés.“
Camille Gardesse, sociologue à l’École d’urbanisme de Paris, souligne «une logique de dissuasion et de répression de l’occupation de l’espace public par les plus précaires“, avec “dimension systémique« . “Il s’agit bien d’une logique d’aménagement de l’espace urbain, pour prévenir des usages jugés indésirables par les sans-abri : s’abriter, dormir, déployer des moyens de subsistance comme la mendicité. Certains appareils sont plus discrets que d’autres et ressemblent à du mobilier urbain», explique-t-elle.
La Fondation Abbé Pierre, qui «exhorte les pouvoirs publics à agir», appelle également « tous les citoyens » à lutter contre ces dispositifs en les signalant sur le lieu de la cérémonie, et en «alerter les élus locaux« notamment »pour qu’ils soient attentifs lors de l’attribution des marchés publics” et “afin qu’ils mettent en place des mesures de reporting pour les propriétaires et les commerçants lorsque des appareils sont installés dans des bâtiments privés« .
La fondation appelle également à produire davantage de logements sociaux en les attribuant »donner la priorité aux personnes les plus défavorisées“, a “mobiliser le parc privé pour compléter l’offre de logements abordables“, pour assurer”accueil digne des migrants», et de mettre un terme au «expulsions locatives sans solution« .
Avec Didier Morel et Gaëlle Darengosse.