Un « moment historique » en trompe-l’œil : le prêt prochain à la Côte d’Ivoire d’un tambour pillé lors de la colonisation illustre la difficulté pour la France de procéder à la restitution des biens africains promise par le président Emmanuel Macron fin 2017.
Célébré la semaine dernière par Paris et Abidjan, le rapatriement du tambour Djidji Ayokwe, actuellement conservé au musée du quai Branly, prendra donc la forme d’un prêt à long terme et non d’une restitution intégrale, un choix par défaut qui ne fait pas l’unanimité.
“Cette solution n’apparaît pas (pas) satisfaisante au vu des engagements pris par la France”, estiment huit sénateurs, droite et gauche confondus, favorables à un projet de loi lié à ce tambour ivoirien.
Lors de son déplacement à Ouagadougou en octobre 2017, Emmanuel Macron entendait écrire une « nouvelle histoire » avec le continent africain en restaurant les biens culturels datant de la colonisation.
“Je ne peux pas accepter qu’une grande partie du patrimoine culturel de plusieurs pays africains se trouve en France”, a déclaré le président, qui s’est engagé à réunir, d’ici cinq ans, “les conditions” pour procéder aux restitutions. temporaire ou permanent.
Emmanuel Macron a annoncé la création d’une nouvelle loi pour encadrer la restitution des œuvres d’art en Afrique.
Un casse-tête juridico-politique
Selon un rapport de 2018, quelque 90 000 objets d’Afrique subsaharienne sont conservés dans les musées publics français, dont 79 000 au quai Branly.
Plusieurs pays ont depuis formulé des demandes de restitution mais un obstacle juridique se dresse devant eux. En France, les collections publiques sont inaliénables en vertu d’un principe formalisé après la Révolution pour éviter que les biens de la Couronne ne soient dilapidés par les monarques.
Pour chaque demande et après examen de la provenance des œuvres, une loi est donc nécessaire pour « déclasser » les biens et permettre leur retrait des collections.
Fin 2020, le Parlement a adopté une loi autorisant la restitution définitive au Bénin de 26 œuvres du trésor d’Abomey, prises sur la guerre française en 1892.
Actuellement, dix pays ont adressé des demandes à la France, précise le ministère de la Culture à l’AFP, qui distingue les demandes « ciblées » de biens spécifiques (Sénégal, Mali, Algérie…) et celles trop générales pour être instruites (Tchad ou Ethiopie).
Mais le processus patine et aucune restitution n’a été effectuée sur les trésors d’Abomey.
Les autorités françaises ont en revanche accordé des prêts, comme celui du tambour ivoirien. Cette solution a également été retenue pour restituer à Madagascar fin 2020 la couronne de la reine Ranavalona III, qui était conservée au Musée de l’Armée à Paris.
“Cette voie ne nous permet pas de régler le passé car nous disons au pays : ‘nous vous prêtons cet objet mais il ne vous appartient pas'”, avocat Pierre Noual, auteur d’un livre sur les restitutions.
La France restitue 26 œuvres d’art au Bénin
Loi-cadre
Dans le même esprit, Laurent Lafon, président centriste de la commission culture du Sénat, a cosigné un projet de loi visant à transformer le prêt du tambour ivoirien en restitution afin de « satisfaire au plus vite la demande légitime » de la Côte d’Ivoire.
Afin d’éviter ces lois spécifiques, M. Macron s’est engagé à faire adopter une loi-cadre permettant la restitution des biens culturels sans passer par le Parlement.
“Il faut définir un cadre général sur le principe des restitutions et leur méthodologie, et tout cela ne peut pas se faire à partir de lois spécifiques”, explique le sénateur Lafon à l’AFP.
Cette méthode du droit-cadre, adoptée pour les biens pillés par les nazis et les restes humains, est cependant au point mort pour les objets coloniaux. « La différence est en partie liée au fait que la colonisation est considérée par certains comme une période positive », estime Me Noual.
La semaine dernière, la ministre de la Culture Rachida Dati a assuré qu’elle ne renoncerait pas à déposer un projet de loi-cadre mais un tel texte, sur le sujet explosif de la colonisation, aurait peu de chances de prospérer au Parlement, selon Mme. Lafon.
“Il y a une réserve chez certains parlementaires sur le fait même d’aller vers une loi-cadre qui pose des conditions mais revient aussi à passer la vitesse supérieure en matière de restitution”, assure-t-il.
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