Une colère chasse l’autre. Avec l’amélioration spectaculaire du marché du travail, les Français ont oublié le sujet du chômage ces dernières années. Dans les sondages, elle ne figure plus parmi leurs préoccupations majeures alors qu’elle a longtemps été leur préoccupation, supplantée aujourd’hui par la santé, l’éducation, l’inflation et les salaires. Sauf que l’ambiance change avec les annonces de plans sociaux des grands groupes (Michelin, Auchan) et l’hémorragie qui couve dans certains secteurs comme l’automobile, la distribution ou la chimie.
« Il y aura probablement des annonces de fermetures de sites dans les semaines et mois à venir. » a admis Marc Ferracci, le ministre de l’Industrie, sur France Inter, anticipant un rapport social qui « se compteront en milliers d’emplois ». Cette mauvaise nouvelle aura un impact sur l’opinion publique : « Le spectre du chômage avait disparu des radars. Si la série de plans sociaux se poursuit, elle pourrait réapparaître. » prédit Jérôme Fourquet, qui dirige le département Opinions et Stratégies de l’Ifop.
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Encore une colère. Le retour de cette inquiétude risque de renforcer ce profond sentiment négatif exprimé par les Français. “Le mécontentement est massif et le sentiment d’appartenance à une France en colère grandit fortement.” souligne la dernière enquête sur les « French Fractures », menée depuis onze ans par l’institut Ipsos pour le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne.
À l’automne 2023, pas moins de 45 % des Français déclaraient « proche d’une France en colère et très contestataire »soit une hausse de 9 points en un an. Et 82% considèrent que le pays est en déclin, un record depuis 2016, un diagnostic partagé par toutes les catégories de la population. Dans la prochaine édition, publiée le 2 décembre, ces indicateurs devraient être encore plus négatifs, notamment en raison du méga désordre politique que connaît le pays, provoqué par la dissolution de l’Assemblée.
La grande peur du déclassement
Même si elle n’est pas nouvelle, l’exaspération des Français s’exprime de plus en plus dans les urnes à travers un vote radical, notamment à l’extrême droite. Les dernières élections ont révélé un raz-de-marée du Rassemblement national sur l’ensemble du territoire, avec des régions (Hauts-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur) où ses candidats ont obtenu plus de 45% au premier tour. élections législatives, qui assurent une véritable domination idéologique.
Et la France a connu plusieurs flambées de violences majeures – la révolte des « gilets jaunes » en 2018, les émeutes urbaines de juin 2023 – montrant que le pays est sous une tension extrême. Une tension que la trêve estivale enchantée des JO est loin d’avoir désamorcée.
La grande peur du déclassement. C’est ce qu’expriment les catégories populaires et une partie de la classe moyenne. « De plus en plus de Français ont du mal à atteindre le standard de consommation moyenne. Lorsque vous n’y parvenez pas, cela donne lieu à un fort sentiment de déclassement. » diagnostique Jérôme Fourquet. D’où l’hypersensibilité des ménages à la crise inflationniste des trois dernières années, d’autant que les prix des produits que l’on achète souvent, comme l’alimentation, ont particulièrement grimpé en flèche. En conséquence, une nouvelle vague de consommation à bas prix a émergé, avec un boom de l’économie du bricolage : les consommateurs vendent de plus en plus d’objets sur Internet (20 % le font une fois par mois) et fréquentent assidûment centres commerciaux. -greniers et braderies.
Autun, a textbook case
Ce sentiment de déclassement est particulièrement fort dans cette France dite périphérique, cette « diagonale du vide » loin des métropoles où se concentrent les emplois. Exemple révélateur : à Autun, en Saône-et-Loire, Vincent Chauvet, le maire (MoDem) de cette ville de 13 000 habitants, visite, avec amertume, un quartier populaire, où les logements sociaux ont été… détruits.
« Dans notre pays, il y a deux décès pour chaque naissance. Ce déclin démographique change complètement la donne dans les petites villes, déplore cet élu dynamique. Il a fallu réduire le nombre de logements sociaux et fermer les services publics faute d’usagers. » La maternité, deux classes d’étudiantes et la gare SNCF ont donc fermé leurs portes. « Cela alimente le sentiment de déclin et d’impuissance de l’État. » deciphers Vincent Chauvet.
C’est également dans ces domaines que « les gens de la route »selon l’expression de Jérôme Fourquet, souffre de « harcèlements », comme les radars et la flambée des prix des voitures, y compris low cost. Des automobilistes qui deviennent de plus en plus des « RN people » : 49 % des « des personnes très dépendantes de la voiture au quotidien » ont voté pour le Rassemblement National au premier tour des dernières élections législatives, contre 28% pour ceux “pas du tout dépendant”according to Ifop.
Enfin, la colère de cette France périphérique et rurale s’illustre actuellement par les manifestations, parfois violentes, d’agriculteurs, dont beaucoup craignent de disparaître de la carte. Les chiffres sont édifiants : depuis 1988, la France a perdu plus de 600 000 exploitations et n’en reste plus que 390 000. Un gigantesque plan social.
Initiatives locales
Alors que faire ? Dans ces villes et villages oubliés, les initiatives locales ne manquent pas pour soutenir les petits commerces, rétablir l’accès aux soins, permettre de se déplacer via le covoiturage solidaire… S’ils apprécient leurs élus locaux, ces Français ont néanmoins le sentiment que les réformes lancées par les dirigeants nationaux ne les affectent pas, ni même aggravent leur situation.
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Après la crise des « gilets jaunes », Emmanuel Macron a pris conscience de cette difficulté à changer le quotidien des Français, et a chargé son gouvernement de suivre 84 OVQ (objets de la vie quotidienne) dans l’emploi, les services publics ou la sécurité. Un exercice technocratique assez futile, qui n’a pas permis d’inverser ce sentiment d’abandon. Aucun doute : la réponse politique très concrète, et non démagogique, à ces multiples colères des Français reste à inventer.