« Bureau du blaireau français. » « Nous ne voulons plus de cowboys dans nos campagnes. » « OFBle fumier. » L’acte II Les mobilisations agricoles ont débuté lundi 25 novembre. Parmi les coupables désignés : le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, la faiblesse des prix et des revenus agricoles et… l’Office français de la biodiversité (OFB), dont 1 700 inspecteurs veillent au respect de la réglementation environnementale.
20 novembre, « un tracteur a percuté un véhicule de service occupé par deux agents »a rapporté le END–FSU dans un communiqué de presse. La veille, une trentaine de manifestants de la Coordination rurale ont forcé les portes d’un immeuble de laOFB à Guéret (Creuse). Le 18, des manifestants ont érigé un mur en blocs de béton devant l’entrée des bureaux duOFP à Beauvais (Oise) et déversés des bennes de pneus et de fumier. Ces actes de violence sont les derniers d’une longue série. L’un d’eux aurait pu coûter la vie au directeur départemental de laOFB du Tarn-et-Garonne, qui a découvert une roue de sa voiture déverrouillée à la sortie d’une réunion organisée à la chambre d’agriculture.
L’OFB a fait l’objet de trente-six actions au premier semestre 2024, et de huit supplémentaires en octobre. Mi-novembre, elle avait annoncé avoir déposé une cinquantaine de plaintes.
Le gouvernement à l’écoute des syndicats majoritaires
Le FNSEALes Jeunes Paysans et la Coordination rurale, les trois syndicats les plus virulents de la mobilisation agricole actuelle, dénoncent des pressions de contrôle insupportables et des sanctions trop sévères. Plusieurs membres du gouvernement, soucieux de calmer la colère des agriculteurs, lui ont emboîté le pas. On est pourtant loin d’une brigade ultra-puissante. La mission interministérielle lancée en début d’année par Gabriel Attal elle-même a constaté « un écart significatif entre le sentiment de forte pression de contrôle des agriculteurs […] et la réalité des contrôles effectués sur les exploitations agricoles ».
Quoi qu’il en soit, le 11 novembre, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard annonçait sur France 3 que les agents duOFB devraient bientôt cacher leur arme de service pour qu’elle ne soit pas « provocant ». Quelques jours plus tôt, les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique confiaient à leurs organismes de contrôle respectifs « mission éclair » pour un « amélioration des relations entreOFB et le monde agricole ». Avec potentiellement moins de moyens, puisque la commission des Finances a adopté le 19 novembre un amendement prévoyant une réduction de 15 millions d’euros de la subvention auxOFB.
Les annonces de ce type se succèdent depuis le début de l’année. « Faut-il vraiment venir armé pour venir contrôler une haie ? ? »» a interrogé Gabriel Attal le 26 janvier lors d’une visite dans une ferme de Haute-Garonne.
Les préfets grondent les agents
Parmi les recommandations de l’ancien premier ministre concernant « réduire la pression » ? Placer des missions de bureau « sous le contrôle des préfets ». Début 2024, cette dernière demande aux agents duOFB pour lever le pied. Avec pour conséquence une baisse de 68 % de contrôles administratifs et un tiers d’enquêtes judiciaires au premier semestre 2024, par rapport au premier semestre 2023. En mai, les syndicats agricoles ont obtenu que les agents portent une caméra embarquée et la création d’un organe de contrôle interne, sur le modèle deIGPN pour la police.
Parlementaires Les Républicains (LR) n’ont pas tardé à surenchérir. Le 25 septembre, une mission d’information surOFB dirigé par le sénateur (LR) du Var Jean Baci a présenté une série de recommandations remettant en cause la légitimité de la fonction et contribuant à son fragilisation : « port discret » des armes, dépénalisation de certaines infractions environnementales, « rééquilibrage des missionsOFB au profit de la prévention »etc.
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Lui-même agriculteur, le sénateur (LR) de Haute-Loire Laurent Duplomb a plaidé sans détour pour la suppression duOFB dans un projet de loi présenté le 24 janvier.
Stigmatisation injuste
Les syndicats duOFB dénoncer avec force ce qu’ils perçoivent comme une stigmatisation injuste. L’OFB a deux missions, appelées à tort « contrôle »qui concernent tous les usagers de la nature. La première est une mission de contrôle administratif confiée par le préfet : par exemple vérifier que tous les habitants et usagers d’un territoire respectent un arrêté sécheresse restreignant l’usage de l’eau. La seconde est une mission de police judiciaire, exercée sous l’autorité du procureur de la République, qui consiste à détecter les infractions au code de l’environnement : épandage de pesticides à moins de 5 mètres d’un cours d’eau, drainage d’une zone humide, etc.
Les rapports annuels montrent que nous sommes loin du harcèlement. « En 2023, sur les 21 635 contrôles administratifs effectués par leOFBseuls 2 759 agriculteurs concernés, soit moins de 13 % de cas. A ce rythme, avec une moyenne de dix-sept agents par département, la direction deOFB estime qu’un agriculteur français risque d’être contrôlé une fois tous les cent trente ans »indique leEFF–CCG. En matière de contrôles judiciaires, le syndicat a recensé 1.273 procédures concernant le monde agricole en 2023, soit 13 signalements par an et par département en moyenne.
« Cela fait beaucoup de classements sans suite »
Ce n’est pas non plus leOFB OMS « déchiré » l’agriculteur en difficulté avec la réglementation. « Nous interrogeons l’agriculteur et rédigeons un rapport. C’est le procureur de la République qui décide des mesures à prendre. »explique à Reporterre Éric [1]chef duOFB dans un département du Massif Central.
Il observe que le magistrat qui dirige le parquet se montre généralement indulgent : « Depuis que j’étais àOFBil n’y a eu aucune procédure où l’agriculteur s’est présenté à une audience. Il n’y a presque jamais eu d’amende. C’est beaucoup de non-lieu, beaucoup de rappels à la loi, beaucoup d’alternatives aux poursuites avec demandes de restauration, qui sont rarement réalisées. »
Contrôles légitimes
Même constat du côté de Guillaume Rulin, duEFF–CCG. « Sur 201 non-conformités constatées sur les exploitations agricoles en 2023, 115 ont été résolues sans poursuite, indique-t-il. Et quand les agriculteurs sont condamnés à des amendes pour non-respect des arrêtés sécheresse, il faut voir les sanctions prononcées : des amendes de 1 500 euros pour les exploitations de plusieurs centaines d’hectares. »
Les agents interrogés par Reporterre insister sur la légitimité des contrôles effectués. « Si les règles d’utilisation des produits phytosanitaires ne sont pas respectées, cela entraîne des pollutions et la fermeture des captages d’eau potable, voire une diminution des populations d’insectes avec une diminution de la fertilisation des fleurs,se souvient Adèle [2]agent de laOFB et représentant END–FSU. « L’eau et l’air sont des biens communs, personne n’est censé se les approprier ou les dégrader. »
Guillaume Rulin y voit aussi une manière de protéger les agriculteurs les plus vertueux. « Faire respecter la réglementation signifie garantir que personne ne triche et que tout le monde soit traité équitablement. » De nombreuses infractions ont également été constatées par leOFB suite à des signalements faits par des particuliers et parfois même par des agriculteurs.
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La grande majorité des contrôles agricoles se déroulent plutôt bien, selon les agents interrogés. « Souvent mieux qu’avec le monde de la chasse ou les conducteurs de véhicules automobiles dans les espaces naturels »précise Benoît Pradal, secrétaire général de Snape-FO.
Bonnes pratiques et bienveillance
L’OFB a adopté depuis longtemps un ensemble de bonnes pratiques pour pacifier ses relations avec le monde agricole. « Lorsqu’on constate une infraction d’un agriculteur, on voit avec le DDT s’il a déjà été contrôlé, s’il va mal, et nous en discutons avec le procureur. Nous essayons de ne pas ajouter de problèmes aux problèmes »dit Adèle. Dans le département où travaille Eric, leOFB n’intervient jamais le dimanche, sauf en cas de pollution grave, pour « partir [les agriculteurs] calme » ce jour-là. « Lorsqu’on doit interroger un agriculteur, on attend qu’il ait fini sa récolte, on lui demande quand il est libre et on lui propose de le voir à la gendarmerie la plus proche de son domicile plutôt que dans les bureaux départementaux de laOFB pour lui éviter de longs voyages »il témoigne.
Guillaume Rulin estime queOFB est avant tout victime d’exploitation : « A l’approche des élections des chambres d’agriculture, leOFB est utilisé comme une libération par une minorité. C’est à celui qui prendra les mesures les plus fortes pour récupérer les agriculteurs les plus en colère et les plus désespérés. »
Ceci, sous le regard complaisant d’une partie de la classe politique. « Je suis chef de projet sur les poissons migrateurs et quand, en réunion, j’alerte sur la disparition des lamproies et des saumons, on me traite de militant. Chez les politiques, nous sommes dans un système populiste mêlé d’ignorance et de climato-scepticisme, où l’on écarte les problèmes pour ne pas embêter les gens. » Plutôt que de résoudre les vrais problèmes – crise des prix agricoles, pollution de l’eau et aléas climatiques.
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