En quelques mots, comment présenteriez-vous l’œuvre de Marcel Pagnol à une jeune génération qui ne connaît pas ce grand cinéaste des années 1930 à 1950 ?
Marcel est l’un des plus grands créateurs du XXe siècle, que ce soit au théâtre, au cinéma ou en littérature. Il a créé une mythologie de la Provence et du cinéma d’auteur. « Marius » est le premier film d’art et d’essai. Dans les années 1930, il est le cinéaste français le plus connu au monde grâce à sa trilogie marseillaise, « La Femme du boulanger » ou « Le Schpountz ». Il découvre Raimu et Fernandel, est le cinéaste du bonheur, de la vie… Le mouvement cinématographique qu’il crée inspirera la Nouvelle Vague et le néoréalisme italien.
Dans quel environnement le jeune Marcel a-t-il grandi ?
Son grand-père était maître tailleur de pierre. Son père était instituteur, sa mère couturière, son milieu appartenait donc à la classe moyenne, mais avec un grand prestige intellectuel car au début du XXe siècle, l’instituteur faisait partie des autorités d’un village, aux côtés du maire et du curé. Son père et sa mère ont réussi à éveiller sa curiosité pour le monde par divers stratagèmes, que ce soit par le bricolage ou les conversations opposant son père, laïciste, et son oncle Jules, catholique et royaliste. Il a ainsi toujours été plongé dans un monde de débats d’idées, avec une grande sensibilité pour de nombreux domaines que ce soit la nature, les sciences, l’étude de grands textes, comme ceux d’Homère, d’Ovide, de Shakespeare et bien sûr, cette pièce qui lui donnera envie d’être un homme de théâtre, « Cyrano de Bergerac ». Marcel voulait devenir Edmond Rostand !
Dans le programme
Les cinéphiles ont rendez-vous jusqu’au 7 juillet pour cette 52e édition du Festival du cinéma de La Rochelle, la plus fréquentée de France après Cannes avec 90 000 entrées enregistrées en 2023, 200 films et 300 séances présentées cette année. Et des hommages attendus à Marcel Pagnol, Chantal Akerman, Natalie Wood, Michael Haneke et Françoise Fabian…
« Marcel Pagnol est l’un des plus grands créateurs du XXe siècle, que ce soit au théâtre, au cinéma ou dans la littérature », estime son petit-fils Nicolas Pagnol.
Fondation Marcel Pagnol
Écrivain et dramaturge célèbre, comment est-il passé du théâtre au cinéma ?
Fin 1929, il voit « Broadway Melody » à Londres et comprend que le théâtre va décliner face au cinéma parlant, car ce dernier permet des ellipses, d’entrer dans la confiance des acteurs. Il y voit aussi le potentiel commercial, au sens de la diffusion d’une œuvre. Bob Kane, qui est le producteur de la Paramount France, accepte de produire « Marius » et lui ouvre les portes des studios de Joinville. Là, Marcel apprendra tous les métiers, de la conduite de la caméra à la prise de son, en passant par le développement. Bob Kane appellera Alexander Korda pour réaliser « Marius ». Il aura l’intelligence de dire à Marcel qu’il s’occupera de la réalisation du film, et qu’il dirigera les acteurs parlants. Tous deux apprendront ensemble à faire du cinéma parlant. C’est ainsi que tout commence.
Avec « Jofroi », premier film tourné entièrement en décor naturel, Pagnol pose les bases d’un cinéma sonore et naturaliste.
Il sera le premier à sortir les caméras des studios, à les planter en Provence, à tourner en milieu naturel, en sonorisation live et inventera le camion sonore. « Jofroi », c’est aussi un film tourné, comme c’est souvent le cas, avec des acteurs non professionnels. Le rôle principal reviendra à son ami Vincent Scotto, grand compositeur de « J’ai deux amours »… Marcel y pose les bases de son cinéma, qui connaîtra un succès considérable de par son quasi naturalisme. Les gens n’avaient jamais vu ça.
Il y a dans les films de Pagnol ces dialogues pittoresques, cette chaleur humaine qui apporte du comique à des histoires souvent dramatiques. Pourquoi tenait-il tant à superposer légèreté et tragédie ?
Marcel est un formidable décodeur des relations humaines, des sources de l’âme… Il nous présente un monde idéalisé, où des hommes et des femmes traversent des choses très dures, mais ne se laissent jamais abattre et continuent de vivre avec ce caractère provençal : nous parler beaucoup en disant peu. Nous plaisantons, de manière très imaginative, en révélant très peu de nous-mêmes. Ce sont les événements qui racontent le drame.
Nicolas Pagnol se consacre depuis plus de quinze ans à la direction de l’œuvre de son grand-père.
Fondation Marcel Pagnol
Il connaissait les petits défauts et les faiblesses des hommes, sans jamais désespérer de l’humanité.
Quelle était sa personnalité ?
Marcel était quelqu’un de très calme, de très drôle, mais pas grimaçant. Ce n’était pas un farceur. Un grand écrivain disait de lui : « Pagnol, il a un œil gai qui regarde vers l’avenir et un œil triste qui regarde vers le passé. » Si vous regardez une photo de Pagnol, c’est exactement ça. Il y avait beaucoup de nostalgie chez lui, il n’était pas dupe du monde, il connaissait les petits travers et les travers des hommes, sans jamais désespérer de l’humanité.
Votre grand-père a su créer une famille d’acteurs, Raimu, Fernandel, Orane Demazis… Comment a-t-il rencontré Raimu et quelles relations ont-ils entretenues ?
Marcel rencontre Raimu en 1929, au théâtre de Marigny. Il avait déjà connu un immense succès mondial avec « Topaze ». Raimu a accepté de voir le scénario et l’a rappelé deux ou trois jours plus tard pour accepter « Marius ». Une grande amitié commence, faite de coups de gueule, de petits coups bas, de grandes réconciliations. A la mort de Raimu en 1946, Marcel lui écrit ses célèbres adieux : « On ne peut pas faire un discours sur la tombe d’un père, d’un fils ou d’un frère, pour moi vous étiez tous les trois à la fois ». C’est merveilleux.
Par quel film commencer pour découvrir l’oeuvre de Marcel Pagnol ? Et lequel est votre préféré ?
