«La vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens»

«La vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens»
«La France vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens»

Sommes-nous confrontés à un ralentissement de l’activité économique ?

FRANCIS VILLEROY DE GALHAU : Selon notre récente enquête de terrain auprès de 8 500 entrepreneurs, le mot juste est « résilience ». Notre économie est actuellement dans une tendance au ralentissement de la croissance, d’environ +0,2% par trimestre, soit environ 1% par an. Au troisième trimestre, il y a eu un effet positif des Jeux olympiques avec une croissance de 0,4%, et par conséquent, au quatrième trimestre, elle sera moindre que d’habitude. L’économie résiste, mais cela ne veut pas dire que cela suffit. Ce n’est pas une récession, mais ce n’est pas encore la reprise que nous espérions. La bonne nouvelle, c’est la baisse de l’inflation : elle était de plus de 7 % début 2023, elle est repassée nettement en dessous de 2 %. Cela signifie qu’aujourd’hui, les prix augmentent en moyenne moins vite que les salaires ; cela permet également de baisser les taux d’intérêt.

Et concernant l’emploi ?

La a fait de grands progrès depuis fin 2014, créant plus de deux millions d’emplois. Le taux de chômage est passé de plus de 10 % à 7,4 % aujourd’hui. Le chômage devrait cependant augmenter un peu, probablement entre 7,5% et 8% avant de retomber vers 7%. Lors du précédent ralentissement économique de 2012-2013, le taux de chômage dépassait 11 %. Ce ne sera pas le cas en 2025.

Le plein emploi est-il un objectif inaccessible ?

Il faut maintenir le cap vers un taux de chômage de 5 %. C’est possible, plusieurs de nos voisins européens sont là. Compte tenu du ralentissement, ce ne sera pas pour 2027, mais cela est réalisable d’ici une décennie.

Dans le cadre du projet de loi de finances 2025, les collectivités voient leurs budgets considérablement réduits. Les effets dans les territoires ne pourraient-ils pas être délétères pour l’économie ?

Notre pays vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens. Aujourd’hui, nous avons le déficit le plus élevé d’Europe, avec 6 % du PIB, soit plus que l’Italie. Contrairement à nos voisins européens, notre dette publique ne diminue pas. C’est une situation anxiogène : 80 % des Français sont inquiets. Pour remédier à cette situation, nous avons besoin d’un effort équitable et partagé par tous. Cependant, chaque secteur a tendance à avoir des idées d’épargne pour les autres, mais à les refuser pour lui-même.

À quelles dépenses pensez-vous ?

Notre modèle social européen est le bon et j’y crois. Le problème, c’est que cela nous coûte nettement plus cher en France que chez nos voisins. Nous dépensons 9 % du PIB de plus qu’eux, soit 260 milliards d’euros par an. Cet écart d’efficacité concerne l’État, mais aussi certaines dépenses sociales et locales.

Que risque la France si elle ne parvient pas à réduire son déficit à 5 % ?

Ramener le déficit à 5 % l’an prochain, c’est le seuil de crédibilité de la France. Notre écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne (le « spread ») a considérablement augmenté depuis juin, passant de moins de 0,5 % à près de 0,8. Les taux d’intérêt (pour les prêts à long terme) auxquels nous empruntons sont désormais plus proches de ceux en vigueur en Italie. C’est une véritable alerte. Aujourd’hui, la France paie plus de 50 milliards d’euros d’intérêts par an, soit déjà plus que le budget de la Défense. À partir de l’année prochaine, nous paierons plus pour la dette que pour le budget de l’Éducation.

La France a-t-elle perdu sa crédibilité à cause de sa dette ?

Notre pays risque d’avoir moins de poids en Europe parce que nous n’avons pas respecté nos engagements depuis trop longtemps. Nous sommes alors nous-mêmes moins respectés, et moins crédibles.

Les faillites d’entreprises s’accélèrent-elles ?

Nous devons prendre du recul. En 2020-2021, il y a eu une forte baisse des faillites au moment du Covid grâce au soutien public extrêmement fort. Depuis, on observe une reprise significative, mais son rythme tend à ralentir. Même si les échecs ne sont pas le seul indicateur économique pertinent, nous restons bien entendu vigilants sur les situations individuelles.

Comment se porte la trésorerie de l’entreprise ?

Les entrepreneurs du secteur de l’industrie et des services commerciaux font état d’un certain sentiment de dégradation de leur trésorerie. Mais quand on regarde les chiffres objectifs, la trésorerie est en moyenne plus élevée qu’avant Covid. Une des explications de ce paradoxe est que les entreprises disposaient d’une trésorerie très abondante au temps du Covid, grâce aux prêts garantis par l’État (PGE). Au fur et à mesure que ces PGE sont remboursés, ce qui est normal, ils ont tendance à juger que leur trésorerie se dégrade.

Peut-on espérer que les taux immobiliers reviendront à des niveaux proches de 1% ?

Objectivement non : ces tarifs 2020-2021 étaient absolument exceptionnels. Quand on regarde les taux immobiliers moyens depuis vingt ans, c’est plutôt entre 3 et 4%. Nous avons augmenté d’un peu plus de 4 % l’année dernière ; aujourd’hui, nous sommes redescendus autour de 3,5%. Pour ceux qui ont des projets immobiliers, c’est le bon moment pour aller tester leur banque et la mettre en concurrence avec d’autres, pour avoir les meilleurs taux.

Si la Banque centrale américaine, la Fed, arrête de baisser ses taux directeurs, faut-il s’attendre à un alignement de la BCE ?

Les décisions que nous prenons à la BCE avec Christine Lagarde sont indépendantes de celles de la Fed. La preuve, nous avons commencé à baisser les taux d’intérêt début juin et la Fed ne les a abaissés que trois mois plus tard. Avec la baisse de l’inflation, nous pourrons continuer à baisser les taux.

Quels effets l’élection présidentielle américaine pourrait-elle avoir sur l’économie européenne ?

Ce résultat accroît probablement les risques pour l’économie mondiale, et certainement la nécessité d’un réveil européen. Le programme du président élu comporte des éléments importants de protectionnisme. Cela devrait signifier plus d’inflation aux États-Unis et moins de croissance partout. Le programme d’augmentation du déficit budgétaire risque aussi de faire monter les taux à long terme (ceux auxquels les États empruntent, NDLR). Cela dit, notre destin économique européen ne dépend pas seulement de la politique américaine mais aussi de nos choix.

Selon vous, l’Europe doit reprendre son destin en main. Que veux-tu dire ?

Depuis trente ans, l’Europe a connu moins d’innovation, de productivité et de croissance que les États-Unis. Soit on continue ce long sommeil, qui risque d’être amplifié par les évolutions américaines. Soit on se réveille en croyant en nos forces. Le premier est notre marché unique européen, qui est aussi important que le marché américain. Mais elle est beaucoup moins attractive car divisée, fragmentée. Selon le FMI, si l’on réduisait de 10 % les obstacles au sein du marché unique, on pourrait gagner jusqu’à 7 points de croissance.

Comment financer les grandes transitions auxquelles l’Europe doit faire face ?

Grâce notamment à l’épargne privée, les Européens en disposent en grande quantité. Environ 32 000 milliards d’euros sont économisés en Europe. Les deux tiers de ce montant sont placés sur des produits de taux d’intérêt tels que les comptes d’épargne. Ils servent à financer des crédits et des dettes. Seul un tiers est investi en actions (c’est-à-dire financer le capital d’une entreprise, NDLR).

Les investissements sont-ils suffisamment orientés vers l’Europe ?

Chaque année, plus de 300 milliards d’euros d’épargne privée excédentaire sont investis hors d’Europe. Ces sommes vont aux Etats-Unis ou dans les pays émergents et financent leurs besoins d’investissement. Dans son rapport publié en septembre sur la compétitivité européenne, l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, recommande d’investir jusqu’à 800 milliards dans le climat et l’énergie, le numérique et la défense. En mobilisant cette épargne privée, nous pourrons financer une bonne partie de ces investissements européens.

Comment réussir à mobiliser cette épargne ?

Les particuliers n’investiront pas directement. Cela se fera par l’intermédiaire d’intermédiaires financiers, de fonds, qui mutualisent et amortissent les risques. C’est ce qui doit être développé à travers l’Union des marchés des capitaux, désormais appelée Union de l’épargne et de l’investissement.
La question des capitaux propres des entreprises est essentielle. C’est ce qu’on appelle le capital innovation ou capital risque. Les entreprises européennes ne manquent généralement pas de crédit bancaire, elles manquent de fonds propres.

C’est à dire ?

Pour prendre les risques de l’innovation, il faut se financer en fonds propres et en actions. L’investisseur sait alors qu’il existe un risque mais aussi des perspectives de gains si l’innovation réussit. C’est le modèle américain.
Aujourd’hui, alors que les fonds de capital-risque sont plus importants aux Etats-Unis, il arrive trop souvent que des entreprises européennes à succès soient rachetées par ces fonds américains, qui reprennent en quelque sorte nos startups avec notre argent.

Le taux du Livret A est bloqué jusqu’au 1er février 2025. Des changements pourraient-ils intervenir ?

Sur le Livret A, je ferai ma proposition au ministre des Finances mi-janvier. Je constate juste qu’à 3% actuellement, l’épargne sur le Livret A est très bien protégée de l’inflation qui tourne autour de 1,5%. Par ailleurs, le Compte d’épargne populaire (LEP) destiné à nos concitoyens les plus pauvres est encore mieux protégé, à 4 %. Depuis deux ans, nous l’avons considérablement développé avec près de douze millions de livrets. Mais 19 à 20 millions de Français pourraient disposer d’un LEP.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV XV de France – Maxime Lamothe et Giorgi Beria appelés dans le groupe France
NEXT Un ancien militaire soupçonné du meurtre de Fadela B., disparue depuis le 4 novembre